John Irving : Une veuve de papier / beaucoup de papier, pour un plaisir sacrément endeuillé.
Aurais-je pu croire, en me plongeant dans la première partie d'une veuve de papier d'Irving que le roman finirait dans l'humble catégorie « assez plaisant » ?
En effet, si j'ai beaucoup aimé le début de l'œuvre dans lequel on retrouve Irving à son plus haut niveau, les deux suivantes sont bien ternes, ennuyeuses, et assez dénuées d'intérêt.
Le roman se découpe donc en trois parties articulées de manière chronologique. Première partie : été 1958. Eddie O Hare, jeune étudiant en littérature, débarque à Sagaponack pour un job d'appoint : devenir l'assistant de Ted Cole, auteur de contes pour enfants. Il rencontre l'épouse de l'écrivain, la belle Marion Cole qui ne couche plus avec son époux depuis la mort de leurs deux fils, tués dans un accident de voiture. Il tombe éperdument amoureux d'elle et découvrira entre ses bras les plaisirs de la chair. Mais Marion est une femme brisée par la mort de ses fils : elle décide donc de fuir cette maison hantée, le mari qu'elle n'aime plus, sa fille, Ruth, dont elle s'occupe peu, et Eddie, son jeune amant.
Cette partie est particulièrement agréable à lire et on y retrouve ce qui fait le charme d'Irving : sa capacité à évoquer des choses graves à travers des scènes assez cocasses, voire polissonnes, ce don qu'il a de suggérer les tragédies intimes à travers des détails dérisoires. Ainsi, le désespoir de Marion est-il sensible à travers la fixation qu'elle fait à propos des différents encadrements des photos de ses fils dont elle garnit toutes les pièces de la maison. A travers également les petites histoires anodines qu'elle raconte à sa fille à leur propos, et qui feront naître dans l'esprit de cette dernière une véritable mythologie.
Cependant, cette partie doit être considérée comme le préambule à toute l'histoire. En réalité, c'est Ruth, la fille de Marion qui intéresse Irving : c'est elle qui est donc le personnage principal de ce roman. On la retrouve en Automne 1990, après une ellipse de plusieurs dizaines d'années. Ici démarre une seconde partie plutôt lente et ennuyeuse. Marion est devenue écrivaine et retrouve Eddie, l'ancien amant de sa mère, devenu, lui aussi, écrivain, lors de la présentation de son dernier roman. Il ne se passe rien de plus entre eux, pour l'instant. Irving s'évertue plutôt, dans ce début de partie, à présenter les anciens et aussi de nouveaux personnages dans des chapitres distincts qui ne mêlent aucunement leurs différentes vies ou très peu, comme si l'ellipse de plusieurs années le gênait considérablement. Il se contente, dans ces chapitres de faire une mise au point statique sur leur passé et leur vie en 1990. On retrouve donc « Eddie à 48 ans », « Ruth à 36 ans », on découvre « Allan à 54 ans ».
Ensuite, Irving entame l'histoire de cet automne 90 et tente péniblement d'unir les vies de tous ses personnages. Cependant, on ne voit pas trop l'intérêt de ces bribes d'aventures dans lesquelles on trouvera surtout la narration des parties de squash et de jambes en l'air de Ruth… S'ensuit pour notre héroïne, l'écriture d'un nouveau roman dans lequel il est question de prostitution. Pour se documenter, Ruth se rend à Amsterdam et rencontre une prostituée.
La troisième partie se déroule en Automne 95. Nettement plus courte que les deux autres, elle déséquilibre un roman devenu déjà passablement ennuyeux. On retrouve les différents personnages pour un dénouement plutôt heureux.
On sent bien qu'Irving, dans une veuve de papier a voulu traiter de deux sujets ambitieux : d'abord, faire le portrait de deux femmes en proie au deuil. Marion, confrontée à l'impossible deuil de ses deux fils, et Ruth, cherchant à faire le deuil d'une mère absente, d'une mère qui a disparu en l'abandonnant aux soins d'un père coureur de jupons. La jeune femme se cherche à travers des hommes globalement plus âgés qu'elle, et ne se conçoit ni en tant que mère, ni en tant qu'épouse : un portrait de femme qui aurait pu être magnifique… mais qui s'avère hélas plutôt raté car les diverses aventures de Ruth sont traitées de manière bien superficielle et trop éclatée pour qu'on saisisse vraiment l'âme du personnage.
Le second thème qu'on peut trouver dans ce roman est celui de la création littéraire : effectivement, une veuve de papier est émaillé d'extraits des romans de Ruth, mis en abyme, dans lesquels le lecteur peut apprécier la traduction intime que fait la romancière de ses diverses expériences. Cependant, tous ces extraits m'ont paru bien longs et fastidieux. Ils ne font qu'interrompre et éclater davantage la narration.
Les critiques du livre, sur le net, sont plutôt bonnes ; cependant, on peut trouver également quelques avis négatifs de différents lecteurs, moins exhaustifs que le mien… je rejoins donc ces derniers car on est loin, à mon goût, du John Irving éblouissant du monde selon Garp ou de L'œuvre de dieu, la part du diable, deux romans que je conseille vivement et dans lesquels il faudra que je me replonge un peu afin de proposer davantage de perles rares sur ce blog !
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