LECTURES VAGABONDES

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Irène Némirovsky : Deux/Pas de deux.

        

             Depuis l’attribution posthume du prix Renaudot à Irène Némirovsky pour Suite française, c’est avec plaisir qu’on redécouvre l’ensemble de son œuvre, cependant quelque peu inégale. Que dire donc de ce petit roman aux grandes ambitions : Deux, paru en 1936 aux éditions Albin Michel et réédité en 2011 aux mêmes éditions ?

 

          Nous sommes dans les années 20, folles années. Après l’horreur de la guerre 14-18, voici le temps de l’insouciance et de l’amusement. Cependant, Marianne tombe follement amoureuse d’Antoine qui ne l’aime pas et pour lequel elle n’est qu’une maîtresse parmi d’autres. Pour la première fois de sa vie, elle souffre et l’existence lui paraît bien lourde à porter. Contre toute attente, Antoine finit par la demander en mariage. Ce mariage change la vie de Marianne qui devient mère. Par ailleurs, le désamour s’installe assez vite en elle.

Antoine, de son côté, se met à travailler car les ressources familiales lui font défaut : il se lance donc dans une entreprise de pâte à papier qui lui prend beaucoup de temps. Question sentiments, il s’éprend follement d’Evelyne Ségré, la sœur de Marianne. Entre vie de famille sereine et passion déchainée, Antoine louvoie. Lassée de cette vie d’amour caché et désespérée par la perspective d’une vie conjugale sans passion, Evelyne se suicide. Antoine affronte courageusement ce deuil douloureux. De son côté, Marianne se lance dans une liaison de courte durée avec Dominique, un ami d’Antoine. Et la vie continue. Le couple ne s’aime plus, mais le confort de la vie de famille, c’est peut être un ciment encore plus solide que l’amour, et cette sérénité est essentielle à l’être humain. Voilà pourquoi Marianne et Antoine ne se sépareront jamais.

 

            Si Deux couvre un certain nombre d’années de la vie des personnages, qu’on ne s’y méprenne pas ! Le roman est assez court et rapide à lire. Cependant, il a l’ambition d’offrir une analyse précise et réaliste de la vie de couple et d’en brosser une vision finalement très désenchantée. D’abord, le mariage ne se base pas vraiment sur des sentiments amoureux francs et forcément partagés ; en effet, si Marianne aime follement Antoine, ce dernier le l’aime pas et décide de l’épouser parce qu’elle est disponible et possède les qualités qu’il attend d’une épouse. De la même manière, Solange, l’amie de Marianne, décide d’épouser le frère d’Antoine, Gilbert, parce qu’il l’aime et qu’il la veut si fort ! elle qui, suite à un avortement, est de santé fragile, elle qui aime Dominique, un ami d’Antoine ! Et puis, avec le temps, le désamour s’installe, implacablement. Très vite, Marianne se détache d’Antoine et se souvient avec regret des emportements passionnés qu’elle a connus. De son côté, Antoine s’éprend d’Evelyne, la sœur de son épouse. Gilbert, qui a pourtant aimé follement Solange, ne supporte plus cette épouse souffreteuse et toujours malade. Finalement, la morale de l’histoire serait peut-être qu’on désire toujours ce qu’on ne peut pas posséder, ce qui nous échappe en grande partie. Cependant, il ne faut pas oublier que l’intrigue du roman se déroule dans un milieu bourgeois, milieu social étouffant, aux principes sclérosés et sclérosants, peu propices aux emportements passionnés. Ainsi, la mentalité bourgeoise semble-t-elle particulièrement incompatible avec le bonheur individuel et amoureux car les relations officielles laissent la part belle à l’intérêt financier et familial. Par ailleurs, en contrepoint, Irène Némirovsky évoque des couples vieillissants et usés : les parents de Marianne et d’Antoine ne s’aiment plus. Pourtant, lorsque la mort emporte l’un des deux, celui qui reste dépérit dans une vie sans goût. Si le mariage ne les a pas rendus heureux, la solitude de la fin de vie n’est pas pour autant réjouissante.

            Cependant, si le roman traduit bien le désenchantement  lié au temps qui passe, et détruit les illusions et les sentiments les plus vivaces, on ne peut échapper à la sensation de superficialité et d’absence d’inspiration. Finalement, les personnages imaginés par Irène Némirovsky sont dénués de vie et de consistance ; ils n’existent que pour illustrer l’idée que l’auteure se fait du mariage et de la vie de couple, idée qu’elle n’a su ni développer ni incarner. Ainsi, si la vision douce amère de la vie de couple saisit l’esprit du lecteur, l’ensemble manque de tripes et de force car on a souvent l’impression qu’Irène Némirovsky se livre à un résumé qui livre les grandes lignes d’une œuvre plus ample, une sorte de projet qui mériterait d’être davantage maturé et mis en récit. Et je dois dire que ce n’est pas la première fois qu’Irène Némirovsky nous fait ce coup-là ! Et la mort prématurée de l’auteure  – assassinée à Auschwitz – laisse planer le doute quant au véritable aboutissement de l’œuvre qu’elle a laissée à droite et à gauche. Sans doute sommes-nous encore ici face à un roman pour lequel l’auteur prévoyait une autre mouture plus aboutie.

 



25/03/2019
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