LECTURES VAGABONDES

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Honoré de Balzac : Le père Goriot / Magnifique Christ de la paternité

     

   Si je ne suis pas une inconditionnelle de Balzac, si certains de ses romans me tombent des mains, je pense que Le père Goriot est un des plus grands chefs d’œuvre jamais écrits. Pour la troisième fois, j’ai lu cet incontournable roman de Balzac – paru en 1842 – afin de le faire figurer sur ce blog.

 

         Nous sommes à Paris, sous la Restauration. L’étudiant en droit, Eugène de Rastignac, vit dans une sordide pension bourgeoise : la célèbre pension Vauquer. Là, il côtoie le mystérieux Vautrin et un vieil homme sans le sou : le père Goriot. Ce dernier suscite les moqueries, mais aussi la curiosité : deux belles jeunes femmes viennent parfois lui rendre visite dans son bouge ; seraient-elles ses maitresses ? Eugène de Rastignac est bientôt convaincu qu’il s’agit-là de ses filles : Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen. Le jeune homme a rencontré Anastasie lors d’un bal et, en lui rendant visite le lendemain, a eu le malheur de parler du vieil homme, la honte de sa fille. Car Goriot est bien le père d’Anastasie et de Delphine ; c’est un ancien vermicellier qui s’est enrichi pite. sous la révolution en faisant le commerce du blé. Grâce à cet argent, Anastasie et Delphine ont fait de beaux mariages. Beaux mariage ? En tout cas, les gendres ne veulent plus entendre parler de ce roturier qui se ruine par amour pour ses filles. Rastignac, dépité par le camouflet qu’il a reçu chez Anastasie de Restaud, se rend chez sa cousine, la très en vue vicomtesse de Beauséant qui le prend sous sa protection. Elle-même est en bien mauvaise posture : son amant, le comte d’Ajuda-Pinto, s’apprête à épouser un bon parti et à la laisser tomber sous les regards de toute la bonne société. A la pension Vauquer, Vautrin se lit avec Eugène et lui propose un marché : la jeune Victorine Taillefer, également pensionnaire de maman Vauquer, est en réalité une pauvre fille déshéritée par son père qui lui préfère son fils. Il suffit de s’arranger pour supprimer celui-ci afin que la sœur rentre dans les papiers du père qui lui restituera l’héritage. Vautrin veut se charger de l’affaire tandis qu’Eugène se débrouillera pour séduire Victorine et l’épouser. Par la suite, il pourra payer Vautrin pour son service ; ce dernier a pour projet de s’installer en Amérique pour y faire du business dans le tabac. Eugène refuse l’offre car il a encore un cœur pur et se refuse au crime. Il suit plutôt la voie ouverte par sa cousine de Beauséant qui le met en contact avec la seconde fille du père Goriot : Delphine de Nucingen. Celle-ci est séduite par Eugène et le père Goriot, heureux de cette liaison avec un jeune homme qu’il connait, qui devient son ami et qui espère, par-là, se rapprocher de sa fille, finance une confortable garçonnière pour le couple adultérin ; en échange, il souhaiterait s’installer dans le grenier. Tandis qu’Eugène fait doucement son trou, Vautrin mène à bien le crime fomenté contre le frère de Victorine Taillefer. Il faut dire qu’Eugène fait aussi les yeux doux à la jeune fille et que ce manège n’a pas échapper à Vautrin. Mais l’homme sera démasqué par Poiret et mademoiselle Michonneau, deux pensionnaires. Vautrin est en réalité un forçat évadé et recherché par la police ; il s’appelle Jacques Collin dit Trompe-la-mort. C’est alors que tout se précipite. Les filles Goriot se rencontrent de manière fortuite chez leur père – leur but est de lui extorquer ses derniers deniers – et se disputent, déclenchant ainsi chez lui un accès de fièvre qui lui sera fatal. Alors qu’il est à l’agonie, aucune des deux ne se déplace pour lui rendre une dernière visite ; il faut dire que la vicomtesse de Beauséant donne un dernier bal avant de se retirer en Normandie et que les filles Goriot veulent absolument en être. C’est Rastignac qui s’occupe du père Goriot dans ses derniers moments. Après l’enterrement, il se rend chez sa maîtresse, l’ingrate Delphine de Nucingen, fort des enseignements qu’il a tirés de cette phase d’apprentissage et bien décidé à se faire une place dans le beau monde.

 

          Le père Goriot est un roman très dense dont il est difficile de faire le tour en un simple article de quelques paragraphes.

          C’est d’abord un roman d’apprentissage classique qui met en lumière un personnage particulier : Eugène de Rastignac. Venu à Paris pour suivre des études de droit, Eugène est encore naïf et innocent. Cependant, il a très peu envie de se consacrer à ses études et songe plutôt à se faire une place dans le beau monde.  Pour cela, il compte sur madame de Beauséant, sa cousine. Il commence par faire quelques gaffes, comme celle qui lui vaudra d’être évincé de chez madame de Restaud lorsqu’il évoque devant elle son père, l’indigent père Goriot, sujet tabou s’il en faut. Il faut dire que notre héros a encore un cœur pur et qu’il s’attache sincèrement au vieil homme avec lequel il cohabite dans la pension Vauquer. Cependant, il trouve aussi son compte dans cette relation puisque grâce à elle, il se rapproche de Delphine de Nucingen, l’autre fille Goriot.

          Ce cœur pur, Vautrin va chercher à le corrompre en compromettant Rastignac dans une affaire criminelle destinée à l’enrichir rapidement. Rastignac refuse de s’engager dans une telle voie. Pourtant, son comportement sera ambigu puisqu’il cherchera plus ou moins à séduire Victorine Taillefer sous les yeux de Vautrin qui met alors en marche son projet criminel destiné à restituer à la jeune fille son héritage. A la fin du roman, Rastignac, riche des enseignements de Vautrin et de ceux de madame de Beauséant, riche aussi de son expérience dans le beau monde et dans la pension Vauquer, abandonne sa pureté et Balzac, en une phrase – la dernière du roman – indique le comportement calculateur qui sera désormais le sien

          « A nous deux maintenant ».

          Puis il va diner chez l’ingrate Delphine de Nucingen.

       Autre personnage emblématique du roman : le père Goriot, comme le titre l’indique. Il est érigé par Balzac au rang de « Christ de la paternité ». Souvent, le père Goriot se lance dans de longues tirades pathétiques  dans lesquelles il laisse son cœur saigner, où il se met plus bas que terre devant ses ingrates filles. Ces passages soulèvent l’indignation du lecteur face à une telle cruauté qui met en opposition un amour inconditionnel et lumineux et une ingratitude profonde et noire. En cela, le père Goriot illustre les propos de madame de Beauséant qui condamne tout sentiment vrai pour parvenir dans la société. Selon elle, il faut être insensible et dur pour réussir et pour gagner. Il faut savoir utiliser les hommes et les femmes et les considérer comme des chevaux de poste qu’on abandonne à chaque relais lorsqu’on ne peut plus rien tirer d’eux.

          Enfin, Le père Goriot ne serait pas ce qu’il est sans Vautrin, personnage romantique s’il en est. C’est un criminel qui a connu maintes et maintes aventures : son expérience du monde est sans limites. Pourtant, jamais il ne s’est intégré à la société ; toujours il s’est élevé comme un roc infrangible face à elle. Il reste un personnage mystérieux et ambigu. Homosexuel, son attirance pour Rastignac est équivoque et tient du Pygmalion. Comme un père, comme un artiste, il conçoit le désir de façonner à son image ce jeune cœur pur. Il est une sorte de Valjean à la face noire. Comme le héros des Misérables, il a connu le bagne duquel il s’est évadé ; il mène sa vie sous de faux noms ; il est poursuivi par les forces de l’ordre. Tout comme Valjean prendra sous sa coupe Cosette, Vautrin cherche à éduquer Rastignac. Comme tout grand personnage romantique, il s’érige contre la société bourgeoise dans laquelle il ne trouve pas sa place. Sa large envergure l’empêche d’épouser la médiocrité de cette société représentée par Poiret et mademoiselle Michonneau qui auront pourtant sa peau. Grâce à un subterfuge hypocrite – à l’image de ce qu’est la société bourgeoise qui commence alors à naître – ils démasquent Vautrin. Son arrestation est hautement symbolique des temps qui courent.  Désormais, dans cette société de la Restauration, ce sont les bourgeois frileux, mesquins et médiocres qui triomphent et mettent à bas des héros véritables.

          Pour terminer, on ne peut refermer Le père Goriot sans une pensée pour la fameuse pension Vauquer et son inénarrable propriétaire : madame Vauquer. Avare, sa pension est à son image : vieille et négligée. Rastignac vit entre ce monde de la pauvreté, de la médiocrité et de la saleté et celui de l’aristocratie dans lequel il pénètre de temps en temps. Là, le luxe et la richesse s’étalent. Pourtant, dans le fond, ce monde, derrière les apparences, derrière des paillettes d’or et de diamant, est aussi noir et sombre que celui de la pension Vauquer.

          Ainsi, Le père Goriot est un roman saisissant et plein de contrastes. Il offre une vision très noire de la société parisienne dans les années 1830. On ne se lasse pas de le lire et de le relire car ses enseignements courent encore de nos jours.

 



01/12/2024
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