Henri Troyat : La lumière des justes (Tome 4 )- Les dames de Sibérie
Et c’est parti pour le quatrième et avant-dernier round de la grande épopée russe d’Henri Troyat intitulée la lumière des justes : cet avant-dernier tome a pour titre : Les dames de Sibérie et il parait en 1962.
A la fin de la gloire des vaincus, nous avions laissé Sophie aux portes du pénitencier de Tchita, en Sibérie au terme d’un périlleux et épuisant voyage ayant pour but de retrouver son mari, Nicolas Ozareff. Voici donc notre héroïne installée dans la morne routine qui échoit à toutes les femmes des décembristes condamnés à purger une peine au bagne de Tchita. Cependant, la vie, dans cet endroit à priori sinistre, n’est pas si horrible qu’on pourrait le penser. En effet, le commandant de la prison, le général Léparsky, est plutôt clément. Il admire l’esprit et l’éducation des prisonniers et leur laisse certaines libertés, comme celle de rencontrer leurs épouses régulièrement. Pourtant, un complot d’évasion se trame parmi les hommes, complot vite oublié lorsque le général autorise la levée des fers qui entravent les pieds des prisonniers. Et puis, un jour, sur ordre de Saint-Pétersbourg, le camp de Tchita doit être transféré à Pétrovsk : un long voyage à pied attend les prisonniers qui se mettent bientôt en marche. Cependant, Sophie vit une crise sentimentale. Elle doute de son amour pour son mari et lorsqu’elle apprend que Nikita, le jeune serf dont elle s’était éprise est mort sous les coups du knout, elle sombre dans une espèce de dépression qui affole Nicolas. Un jour, sous le coup d’un accès de passion désespérée, Nicolas viole son épouse qui se refusait à lui. La haine qu’il lit alors dans ses yeux lui est insupportable : il s’évade du bagne et se retrouve à errer pendant plusieurs jours dans la nature hostile de la Sibérie. Epuisé, affecté par une grave crise de dysenterie, il est retrouvé par des Bouriates et ramené au camp de prisonniers. Sophie soigne son mari et se reprend à l’aimer comme au premier jour. Voici le temps de l’installation à Pétrovsk où les conditions de détention sont de plus en plus souples et agréables. Cependant, à l’occasion de la naissance de son troisième fils, le tsar révise les peines des prisonniers : Nicolas et Sophie sont envoyés en résidence surveillée aux limites de la Chine, sur le lac Baïkal. Là, la vie est austère et aride. Et puis, un jour, c’est le drame : au cours d’une sortie sur le lac, Nicolas meurt dans un naufrage. Sophie veut donc rejoindre la Russie, mais en tant qu’épouse d’un condamné, elle doit purger sa peine jusqu’au bout. C’est ainsi que nous quittons notre héroïne, qui retourne, résignée, dans son trou perdu de Sibérie.
Ce tome 4 de La lumière des justes est sensiblement différent des autres. En effet, nous quittons la civilisation pour nous retrouver aux confins de la Sibérie, dans un bagne isolé du reste du monde. Ce tome se penche donc sur la vie quotidienne de cette communauté particulière qu’est celle des bagnards, les décembristes, ceux qui ont voulu renverser le tsar pour donner à la Russie plus de libertés. L’intrigue de ce tome se présente comme assez linéaire et évoque le quotidien des épouses des bagnards et des bagnards eux-mêmes, entre cancans, haines et amitiés. Sophie a bien de la peine à adhérer à cette communauté : elle doute de son amour pour son mari et déteste la dévotion maritale qui anime toutes les autres épouses qui finissent, elles aussi, par dénigrer Sophie.
Chez les hommes, c’est aussi un peu la même ambiance, mais pour d’autres raisons : on se dispute pour des affaires idéologiques, car ce tome ne perd pas de vue le contexte politique de la France et de la Russie : en effet, les prisonniers sont informés de la révolution des trois glorieuses qui ont renversé Charles X et mis au pouvoir un monarque plus libéral et moins conservateur : Louis-Philippe. Sur cet événement, on glose et on refait le monde. Et puis, vient la déception : Louis-Philippe s’avère être un monarque réactionnaire. En Russie, on fait la guerre à la Pologne et on anéantit la tentative révolutionnaire des insurgés républicains, ce qui affecte beaucoup le général Léparsky, commandant du bagne. En effet, celui-ci est d’origine polonaise et cet événement le rapproche encore des décembristes dont il a la garde. Je dois dire que ce personnage du général Léparsky est un pilier de ce tome. On y découvre un homme pétri de contradictions et de désespoir. En effet, s’il se sent proche des condamnés, il est aussi un militaire très soucieux de mener à bien sa mission et est toujours très honoré des rapports positifs qui sont faits sur son travail et des décorations impériales qui pleuvent sur lui. Cependant, il a sacrifié sa vie personnelle à sa vie professionnelle, et c’est avec une grande crainte qu’il voit s’approcher l’heure de l’amnistie pour les prisonniers qui sont devenus pour lui sa seule famille. Autour de ce général Léparsky gravitent donc les dames de Sibérie, qui sont les épouses des condamnés qui ont voulu partager la peine de leur mari et les suivre jusqu’au fond de la Sibérie. Afin d’obtenir toujours plus de confort et de libertés, souvent, nos dames se rendent en délégation auprès du général qui se retrouve assailli et submergé par toutes ces demandes insistantes qu’il refuse de considérer, dans un premier temps, pour finir par plier d’une manière ou d’une autre.
Ce tome évoque aussi la disparition de bon nombre de personnages qui ont fait les beaux jours des tomes précédents. Les parents de Sophie, personnages importants du tome 1, Les compagnons du coquelicot, meurent. Puis c’est au tour du père de Nicolas, Michel Borissovitch, personnage incontournable du tome 2 : La barynia, et du tome 3, La gloire des vaincus. Celui-ci déshérite son fils et laisse la moitié de ses biens à Sophie et l’autre, au petit Serge, le fils de Marie, sœur de Nicolas, décédée dans le tome 2, la barynia. Cependant, c’est l’abominable Sédoff, père de l’enfant, qui gère les biens et qui s’est installé à Katchanovka, la résidence du père de Nicolas. Cette ouverture sera sans doute exploitée dans le dernier tome, intitulé : Sophie ou la fin des combats. En effet, ce tome 4 se termine sur une sacrée surprise : le héros masculin de la saga, la beau et impétueux Nicolas Ozareff décède dans un naufrage à la toute fin du roman, si bien que le lecteur a de la peine à y croire et s’attend presque à une résurrection du personnage dans le dernier tome. Cependant, nous ne sommes pas dans Dallas, et il va falloir s’accoutumer à la disparition bête, méchante et peu glorieuse de ce pilier de la saga. Finalement, ce tome tranche vraiment sur les autres ! Il s’ouvre donc sur un mystère là où les autres finissaient par une ouverture sur une direction bien nette. Que nous réserve donc le tome 5 ? A voir bientôt !
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