LECTURES VAGABONDES

        Voici un roman méconnu que Guy de Maupassant a écrit en 1887 Son titre ? Mont-Oriol. Et certes, il vaut la peine qu'on le mette un peu plus en avant.

             Nous sommes dans les montagnes d'Auvergne, là où les sources abondent. Une aubaine pour les entrepreneurs de tous acabits. On commence à apprécier les cures thermales et l'endroit est propice à leurs implantations. C'est là que séjournent le marquis de Ravenel, sa fille, Christiane, mariée à un banquier juif, Andermatt. Le fils du marquis, Gontran, ainsi que son ami, Paul de Brétigny, sont également de la partie. Toute la petite ville d'eau est en émoi. En effet, le père Oriol va dynamiter une grosse pierre qui encombre ses terres. Une foule accourt, venue de tous horizons. Or, après l'explosion de la grosse roche, une source affleure. Ce qui donne une grande idée à Andermatt : construire là une nouvelle station thermale. Cependant, sa femme, Christiane, se rapproche de Paul de Brétigny, l'ami de Gontran, un être doté d'une âme sombre, tourmentée et sentimentale. Il contraste avec les autres hommes de son entourage, plus terre-à-terre, plus matérialistes et intéressés par l'argent. Cette différence n'empêche pas Paul d'investir quand même dans le projet d'Andermatt. Tandis que Christiane et Paul deviennent amants, on travaille au succès de la nouvelle station thermale. Un paralytique, le père Clovis, est choisi pour vanter les miracles de l'eau : on le paye pour qu'il prenne un bain quotidien et se remette à marcher. Et puis, il y a les médecin qu'il faut convaincre afin qu'ils envoient des malades. Pour eux, rien n'est trop beau ! On construit même des chalets dans lesquels ils pourront séjourner. Le docteur Latonne se porte garant de la pureté de la source du Mont-Oriol – c'est ainsi que se nommera le complexe thermal qui va bientôt voir le jour. Alors qu'elle doit rentrer à Paris, Christiane tombe enceinte, pour le plus grand plaisir de son époux, Andermatt. De retour à Mont-Oriol et tandis que ce nouveau complexe a grand succès et concurrence les anciens thermes, Christiane a la douleur de constater que Paul est de plus en plus distant. En réalité, celui-ci est dégoûté par la grossesse  de sa maîtresse. De son côté, Gontran est plongé dans des difficultés financières et son beau-frère, Andermatt, lui propose une affaire. Il lui suffit d'épouser une des deux filles Oriol afin de récupérer en dot des terres appartenant au père Oriol. Gontran jette son dévolu sur Charlotte qui ne tarde pas à tomber amoureuse de lui. Cependant, Andermatt lui annonce que les terres qu'il désire font partie de la dot de l'ainée, Louise. Peu importe ! Gontran laisse tomber Charlotte et courtise sa sœur Louise. Son ami, Paul, ému par la tristesse de Charlotte entreprend de la consoler. Le père Oriol voit d'un mauvais œil les jeunes hommes tourner autour de ses filles. Pris au dépourvu, Paul annonce au père Oriol qu'il est riche et qu'il veut épouser Charlotte. Le vieux paysans accepte l'alliance, ainsi que celle de Gontran avec son ainée, Louise. La nouvelle du mariage de Paul avec Charlotte brise le cœur de Christiane qui vient d'accoucher d'une petite fille. Cependant, quand son ancien amant vient lui rendre visite, elle reste digne et fait lui comprendre qu'il a fait son choix et restera à jamais étranger à sa fille dont le père est désormais son époux, Andermatt.

             Mont-Oriol, comme la plupart des romans de Guy de Maupassant, propose une vision du monde cynique et cruelle. Il croise deux thèmes : une veine sociale, celle du monde capitaliste gouverné par l'argent, et une veine sentimentale, non moins cruelle et cynique.

            Voyons tout d'abord l'aspect social du roman. Nous plongeons d'emblée dans le monde bourgeois très snob des curistes ou, pour le dire plus élégamment, de ceux qui viennent « prendre les eaux ». Là se croisent des hommes d'affaires, des banquiers, des ingénieurs. À l'occasion de la découverte d'une source sur les terres du père Oriol, la frénésie des affaires s'empare de ce petit coin de France où se situent les montagnes d'Auvergne. Si la nature dans toute sa beauté sauvage est amplement décrite dans Mont-Oriol, c'est pour mieux montrer à quel point le monde capitaliste va s'accorder pour la transformer, ou même pour la saccager par des projets immobiliers. Le père Oriol dynamite la roche, pour commencer, et peu à peu, on construit autour de la source une nouvelle ville d'eau alors qu'il en existe déjà plein aux alentours : la Bourboule, Enval-les bains, pour ne citer qu'eux. Maupassant s'intéresse aux méthodes et aux combines auxquelles vont se livrer les différents protagonistes pour faire d'une source banale un business lucratif. Tout d'abord, il faut faire de la publicité et peu importe si elle est mensongère : on met le père Clovis, un paralytique, dans la source et on observe les résultats... et des résultats, il y en a ! On fait donc croire que le père Clovis a fait des progrès qui évoluent petit à petit. Ensuite, il faut s'accoquiner avec les médecins qui ont pour mission d'envoyer des malades en cure thermale. Pour les convaincre des bienfaits de l'eau du Mont-Oriol, on leur offre des avantages en nature non négligeables et particulièrement persuasifs, comme, par exemple, des chalets près de la station. Du projet d'Andermatt, tout le monde veut sa part et en premier lieu, le roué père Oriol, qui vend ses terres à prix d'or tout en s'arrangeant pour tirer bénéfice des profits qui sont faits sur sa source. Ses filles et leurs mariages sont aussi des affaires à négocier. Mais, le plus étonnant, c'est peut-être la présence du très romantique Paul de Brétigny ; ce dernier aime méditer en solitaire dans la nature sauvage, à l'écoute des émotions violentes qui souvent l'assaillent. Il aime aussi à déclamer des vers. Il ravit le cœur des femmes, et notamment celui de Christiane qui n'a pas l'habitude de ce genre d'homme. Il faut dire qu'elle vit avec un banquier. Il semblerait bien que le romantisme n'ait plus sa place dans un monde d'argent et d'intérêts. Ce dernier ressemble donc plutôt à une posture qu'on se donne pour séduire les femmes et ne correspond plus à rien de profond dans la sensibilité humaine.  

             Quant aux histoires d'amour, elle sont encore plus cyniques et cruelles. En effet, Christiane, qui n'a jamais connu l'amour, se laisse embobiner par Paul le romantique de pacotille. S'ensuit une passion torride et... ô combien éphémère ! Paul va bientôt laisser tomber sa maitresse pour une autre. Il se dégoûte de Christiane parce qu'elle est enceinte. Il épouse de manière bien légère Charlotte Oriol, qui est aussi un bon parti, fait non négligeable. Quant à Gontran, il est l'archétype du séducteur cynique ; une sorte de Bel-Ami. Il courtise les femmes par intérêt. C'est pourquoi il échange Charlotte contre Louise lorsqu'il se rend compte que celle-ci est plus intéressante que sa sœur, eu égards à sa dot. Cependant, il est bien décidé à continuer sa vie dissolue. Pour lui, le mariage ne vaut que pour le confort, et ne constitue pas un engagement sentimental. Finalement, c'est Andermatt qui finit par paraître le plus aimable des personnages masculins. Certes banquier et pilier du monde capitaliste, il aime sa femme et sa fille – qui n'est pas de lui.

             D'ailleurs, pour terminer sur le couple Andermatt, la fin du roman constitue une revanche pour Christiane. En effet, il semblerait que Paul ait finalement envie de voir sa petite fille, Arlette. Or, Christiane l'exclut de sa vie et de celle de la petite. Comme dans Une vie, le roman se termine sur le thème de l'enfant qui représente l'avenir et une bonne raison de se battre. Le roman s'achève, la page se tourne et voilà qu'une petite vie d’enfant relance celle des personnages qui avaient bien besoin d'une autre raison de vivre que l’argent.

             Allons donc, lecteur ! Sur le Mont-Oriol, on y grimpe, on y grimpe !