Gustave Flaubert : L’éducation sentimentale/Parfaite éducation !
Un souvenir particulier m’attache à L’éducation sentimentale que Gustave Flaubert a fait paraître en 1869. En effet, ce roman figurait sur ma liste d’oral du bac français. C’était en 1985. Tout cela ne nous rajeunit pas ! Penchons-nous d’abord sur le synopsis de cette œuvre.
En septembre 1840, Frédéric Moreau prend le bateau qui le ramène à Nogent-sur-Seine, chez sa mère. Il vient d’être reçu bachelier et dans quelques mois, il va commencer son droit à Paris. C’est sur ce bateau qu’il voit pour la première fois madame Arnoux, femme mariée et mère de famille. Il en tombe aussitôt éperdument amoureux. Pour se rapprocher d’elle, il se lie avec son mari, le très vulgaire Jacques Arnoux, patron de L’Art industriel, une revue d’art. Grâce à l’entremise d’une connaissance commune, Hussonnet, Frédéric va réussir à rentrer chez les Arnoux… quoique… Il fait le pied de grue pendant des semaines devant une fenêtre éclairée derrière laquelle il croit que vit madame Arnoux… En ce, il se trompe. De toutes manières, un revers de fortune le force à rentrer à Nogent où il se rapproche de la fille de monsieur Roque, Louise. De retour à Paris après un héritage qui lui assure un certain confort, Frédéric reprend sa vie estudiantine. Après avoir voulu écrire un roman, il se lance dans la peinture qu’il abandonne bientôt. Car Frédéric ne sait pas s’engager bien longtemps dans quelque chose de constant. De la même manière, avec ses amis Deslauriers, Dussardier, Regimbart ou encore Sénécal, il fréquente les milieux de gauche utopistes ou révolutionnaires sans y adhérer. Il faut dire que Frédéric a la tête pleine de la seule et unique madame Arnoux. Tandis que son meilleur ami, Deslauriers, souhaite monter une revue de gauche et compte sur les deniers de Frédéric pour la lancer, ce dernier ne pense qu’à madame Arnoux et se ruine pour lui offrir un cadeau d’anniversaire. Par ailleurs, avec Jacques Arnoux, reconverti dans la fabrique de faïence, il entre dans les appartements colorés de Rosanette, dite La Maréchale. Cette dernière est la maîtresse d’Arnoux. En même temps, Frédéric a quelques velléités politiques et réussit à s’introduire dans le milieu très fermé, très guindé et très ennuyeux du banquier Dambreuse. Cependant, Frédéric réussit à se rapprocher de madame Arnoux et se rend presque quotidiennement chez elle. Une idylle s’esquisse. Un jour, rendez-vous est donné dans un appartement que loue Frédéric pour ses futures amours avec elle. Mais celle-ci ne viendra pas. En même temps, éclate la révolution de 1848, à laquelle Frédéric assistera en spectateur. D’ailleurs, lorsqu’il voudra briller au sein d’un club de « penseurs », le club de l’intelligence, il se fera évincer parce que personne ne l’a vu sur les barricades. Dépité par le lapin que madame Arnoux lui a posé, Frédéric devient l’amant de Rosanette. Le jeune homme cherche à se convaincre qu’il peut aimer cette cocotte au point d’oublier madame Arnoux. Cependant, la jeune femme tombera enceinte de Frédéric et mettra au monde un fils qui ne vivra pas longtemps. La mort de cet enfant coïncidera avec la rupture de ses parents. Et puis, Frédéric fréquente aussi la jeune Louise Roque, un beau parti ; la jeune fille est, de plus, très amoureuse de lui, mais cette liaison n’aboutira pas. Enfin, madame Dambreuse, la femme du banquier, devient la maitresse de Frédéric. Après le décès de son mari, il est question de mariage entre eux. Mais Frédéric est toujours amoureux de madame Arnoux et apprend qu’elle doit bientôt quitter Paris car son mari, reconverti dans les objets religieux et particulièrement les chapelets, est ruiné et poursuivi par des créanciers parmi lesquels madame Dambreuse. Frédéric réunit l’argent pour sauver Arnoux de la faillite et faire en sorte que sa si chère madame Arnoux reste à Paris. Mais c’est trop tard et Frédéric assiste à la vente des effets de madame Arnoux dans les rues de Paris. Ce jour-là, il se sépare de madame Dambreuse, cette dernière ayant voulu - ô sacrilège ! - acheter un coffret ayant appartenu à son grand amour. Des années plus tard, Frédéric reverra madame Arnoux, mais elle aura alors bien vieilli : ses bandeaux noirs seront devenus tout blancs. Lors d’une promenade crépusculaire, ils s’avoueront leur amour et Frédéric apprendra que le jour du rendez-vous amoureux, le fils de madame Arnoux était malade et qu’elle a prié Dieu de le sauver en échange du sacrifice de son amour avec Frédéric. Ils ne se reverront plus. Des années plus tard, après une vie de voyages et d’amours éphémères, Frédéric retrouve son ami Deslauriers qui a raté sa vie politique et son mariage avec Louise Roque. : bilan de leur vie ? Pas grand-chose.
La grande ambition de Gustave Flaubert, en écrivant L'éducation sentimentale, c'était d'écrire un roman sur le rien. Car, si on fait le bilan des courses pour notre « héros », Frédéric, il n'y a pas grand-chose à retenir. Pourtant, le synopsis que j'ai proposé est assez long et L'éducation sentimentale est un roman constitué d'un peu plus de 500 pages. C'est vrai qu'entre le rien et le tout.... ! Disons plutôt que la vie de Frédéric est constituée de petits faits sans importance, de revirements et de voltes faces qui le ramènent souvent au point de départ ; finalement, notre héros ne prend jamais aucune voie. A une époque très troublée et intense en débats de toutes sortes, il ne manifeste aucune velléité d'engagement : ni idéologique, ni professionnel, ni même amoureux car si madame Arnoux semble être le grand amour de sa vie, cet amour n'est qu'une illusion ; il n'est qu'imaginaire et ne débouche sur rien de concret, rien de réel.
Pourtant cette histoire d’amour est belle. Nul ne peut y rester insensible. Certes, Flaubert se moque du romantisme de bazar qui caractérise son héros. En effet, cet idiot naïf se ruine pour une femme mariée ; il se fait rouler par son mari qui lui emprunte de l’argent sans jamais le lui rendre ; il est ébahi par les objets que sa bien-aimée possède au point de les idolâtrer ; il va même jusqu'à rompre avec sa maîtresse réelle, madame Dambreuse parce que celle-ci a voulu s'offrir un coffret ayant appartenu à madame Arnoux. Cependant, on est touché par cet amour fou qui pousse Frédéric aux pires bêtises. Et alors qu'on croit à la toute beauté d'un sentiment éternel – ou du moins, qui aurait duré toute la vie de Frédéric – patatras ! Cet amour imaginaire n'était qu'une chimère qui se dégonfle comme un ballon de baudruche dès lors qu'on le met au contact du réel, c'est-à-dire du temps qui passe, du vieillissement de la femme aimée. Bref, ce que Frédéric a aimé - ou plutôt, idolâtré - ce n'était qu'une image de papier glacé, cette photographie de madame Arnoux rencontrée sur le bateau au début du roman. Flaubert ira même bien plus loin dans la mise à mort de ce vieux rêve de Frédéric : ce dernier, lors de la dernière rencontre avec sa bien-aimée de toujours, éprouve même un malaise face à la femme âgée qu'elle est devenue.
Enfin, L'éducation sentimentale, c'est aussi une chronique très pointue d’une décennie – 1840-1850 - décennie mouvementée et marquée par l’échec d'un grand rêve de liberté, de justice et de démocratie. Je veux bien sûr ici parler de l'échec de la IIème république, balayée en à peine 3 ans, république issue des idées du mouvement romantique qui aura vu monter à sa tribune de grands noms du XIXème siècle comme Victor Hugo ou Chateaubriand. Cependant, il faut être un historien spécialisé dans cette période pour suivre toute les allusions de Flaubert à l’actualité de l’époque, tant ce dernier rentre dans les détails de débats qui, certes, lui furent contemporains, mais qui, pour nous, se noient dans la nuit des temps. C'est comme si, pour un lecteur du XXIIème siècle, un romancier de notre temps se complaisait dans le détail des discussions autour de l'AOP du camembert ! Voyez-vous comme on peut se noyer dans les tourbillons historiques de L'éducation sentimentale !
Pour conclure, on aime beaucoup le ton grinçant de cette œuvre. Si Frédéric n’a rien fait de sa vie, les autres personnages n'affichent pas de résultats plus brillants. J'ai déjà parlé de l'échec de Deslauriers à la fin de mon synopsis. Mais si on considère la jeune Louise Roque, on peut dire qu'elle aussi a raté sa vie puisqu'éperdument amoureuse de Frédéric, elle n'obtiendra rien de lui. Son mariage avec Deslauriers sera un échec. Louise semble bien être le pendant féminin de Frédéric. Bref, bien loin d'être un cas isolé, l'échec de Frédéric semble aussi être celui de toute une génération. Et là où Flaubert signe encore un chef-d’œuvre, c'est qu'on a malheureusement bien l'impression que c’est aussi notre cas. Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, happés par le tourbillon de petits événements, par des relations superficielles qui font l’essentiel de notre vie. Force est de constater que le chemin qu’on emprunte, on ne le choisit qu’à moitié. Et de reprendre la sempiternelle question : « qu'avons-nous fait de notre vie ? ». Pouvons-nous affirmer, comme l'a fait Danton, que « nos vies n'auront pas été vécues en vain » ? Je ne le crois pas, malheureusement.
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