LECTURES VAGABONDES

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Gilbert Schlogel : Toubib / Or not to read.


                Alors que mon séjour dans l'Algarve, sur la côte sud du Portugal, s'achève, et qu'il faudrait encore que je descende un chouïa pour me retrouver sur la côte nord de l'Afrique - au Maroc… ou encore en Algérie - j'ai eu la mauvaise idée de concrétiser ce fantasme en me lançant dans la lecture de Toubib, roman écrit par Gilbert Schlogel en 2002 et paru aux éditions Fayard.

                Nous sommes en 1957 au camp de Mourmelon. Florent Schoenau achève ses classes dans les EOR et voudrait faire son service militaire en Algérie comme chirurgien. Il se lie d'amitié avec un homonyme : David Schoenau, un pied noir : la famille de ce dernier possède une vaste propriété agricole et viticole du côté d'Alger (la Mirallah). Pendant presque un an, Florent sera chirurgien à Sidi Afna, mais à la suite d'une embrouille avec un fellagha qu'il a soigné et qui le fait chanter pour avoir des renseignements sur les desseins de l'armée française, Florent est muté à Paris, au Val de Grâce. A la fin de son service, après la mort de son père et enfin délivré de la tyrannie de ce dernier, il songe à ouvrir une clinique privée en collaboration avec des collègues et amis. En Algérie, Florent aura connu l'amour entre les bras de la belle Myriam, une veuve insaisissable, mais c'est avec Lydie qu'il voudra finalement se marier.

                Avec Toubib, non seulement Gilbert Schlogel nous ennuie profondément (quel est l'intérêt de ces histoires de carabins et de pauvres petits fils à papa vilainement tourmentés ?) mais en plus, il nous irrite par sa prétention à écrire une œuvre sur la fin de l'Algérie française, et la guerre qui l'accompagne, alors même qu'il n'y est resté qu'à peine un an, et ce, dans l'espace confiné et aseptisé des services chirurgicaux d'un camp militaire. En effet, Gilbert Schlogel hésite sans arrêt entre le roman et la confession autobiographique, ce qui donne un résultat indigeste et sans intérêt : le souffle romanesque n'y est pas car l'expérience limitée de l'auteur en ce qui concerne l'Algérie ne le permet pas ; quant à l'intérêt du témoignage, il est perdu par la volonté d'écrire malgré tout une fiction qui mettrait en relief des personnages et des drames humains.

                Commençons par l'approche de l'Algérie française que tente bien malheureusement Gilbert Schlogel. Bien évidemment, en tant que chirurgien au camp de Sidi Afna, il voit passer des blessés qu'il opère et soigne : des fellaghas, mais aussi des soldats français et parfois des civils. Ainsi, son expérience de l'Algérie se limite-t-elle à la réduction de fractures, au pansement des plaies de grands brûlés, bref, au quotidien d'un carabin. Ainsi, le lecteur doit-il s'enfiler des tonnes de pages décrivant des opérations médicales… qui se terminent souvent bien ! Gilbert Schlogel (enfin, Florent, son personnage !) est en effet un chirurgien très compétent qui ne connaît pas l'échec !

« Florent allait de découvert en découverte :

-          Plaie du foie, plaies multiples du grêle, section presque complète du colon transvers… Je me demande si le diaphragme n'a pas morflé aussi. On verra tout à l'heure. Je vais d'abord enlever le rein… ou ce qu'il en reste. Après, on tassera un champ dans la fosse lombaire et on reprendra l'hémostase du pédicule en dernier. »

Je sais bien qu'avec le succès de la série Urgences, les diagnostics médicaux sont à la mode, m'enfin ! Florent Shoenau n'est pas George Clooney. Quoique ! Jeune carabin, Florent multiplie les conquêtes féminines : d'abord, la jeune veuve Myriam, si belle ! Florent va coucher avec elle à plusieurs reprises sans parvenir à établir une relation suivie. Ensuite, c'est Lydie qui se jette à son cou et le demande en mariage… et puis, il y a aussi la soubrette Olivia qui se glisse dans son lit. Toutes ces partenaires sont idéales et Florent connaît à chaque fois le septième ciel. A ce propos, Gilbert Schlogel assène au lecteur quelques pages de grande littérature bien enlevée (fichtre !) que Didier Barbelivien n'aurait pas reniées :

« La baie paraissait aussi immobile qu'un lac. Calme mensonger, décor fallacieux qui masquait tant de douleur. Il eut l'impression fugace d'être là pour la dernière fois. Ils avaient fait l'amour comme on crie son désespoir. Pour ne pas mourir. Ne pas mourir aujourd'hui. »

Fichtre ! What else ?

Et l'Algérie dans tout ça ? Vu l'expérience limitée de l'auteur en ce qui la concerne, le livre se cantonne à dresser l'un contre l'autre les pieds-noirs et les indépendantistes algériens à travers quelques événements-phares qu'on peut lire dans tous les livres d'histoire :

« Trois mois après le référendum, dans la nuit du 21 au 22 Avril 1961, Salan, Challe, Jouhaud et Zeller –« un quarteron de généraux en retraite », comme les qualifia de Gaulle – prirent le pouvoir à Alger. »

Cependant, même cette histoire officielle, qu'on trouve partout dans les livres sur le sujet est traitée de manière trop larvée et superficielle pour en comprendre le mécanisme profond.

En ce qui concerne la position de Florent sur les événements, elle est bien évidemment tiédasse. Convaincu que le sens de l'Histoire, c'est l'indépendance, il déplore l'inutilité des combats et des morts, d'autant plus que ceux qui tirent ou tireront parti de toute l'affaire se trouvent à Paris ou à Tunis, et non pas en Algérie. Position tempérée s'il en est, qui prouve bien que Florent n'a aucune attache viscérale avec ce pays. De l'Algérie, il connaît son camp militaire, quelques troquets d'Alger, et surtout, des grandes bouffes à la Mirallah, le domaine de son ami David où le Sidi Brahim coule à flots ! (Pour m'être immergée pendant deux mois au Maroc, il y a 10 ans, je peux dire que de l'alcool, dans ce pays, on n'en trouve pas ! Il faut aller dans les hôtels internationaux bien aseptisés pour boire le fameux gris de Boulaouane ! De la même manière, en Algérie, le vin, c'est pour les francaouis. Donc, notre carabin n'aura connu de ce pays que les belles demeures des pieds noirs et leurs réceptions). Et c'est vraiment là que le bât blesse pour moi, car tout en affectant une attitude tempérée sur la question de la décolonisation, Gilbert Schlogel ne peut s'empêcher de prendre parti pour ses copains pieds noirs qui « ont tout perdu ». Il écoute les propos racistes de David, son ami, tente de le tempérer, mais ne peut s'empêcher de le comprendre.

Cependant, il faut relativiser, selon moi. Tout perdre ? Les pieds noirs ? Quand on a bâti une fortune de manière plus que discutable, avec des méthodes colonialistes, racistes et esclavagistes ? Quand, bien avant les accords d'Evian, on a senti le vent tourner et qu'on a rapatrié depuis belle lurette toute sa fortune en France et déjà acheté une nouvelle propriété viticole en Charente ? Alors, on peut faire le coup de l'arrachement à une terre sur laquelle on est né. Les malheureux pieds noirs ne seront pas les premiers à ressentir  la « saudade », le mal du pays !  

        D'ailleurs, dois-je dire qu'aucun personnage fellagha ou algérien n'est sympathique, dans ce bouquin. Tous s'avèrent être des traitres à l'amitié : Walid qui fait chanter Florent alors que ce dernier l'a soigné, Mouktar, l'infirmier qui s'avère être un cerveau du FLN et qui a commandité l'assassinat de David et de toute sa famille alors qu'ils étaient les meilleurs amis du monde. Quant aux pieds noirs, bien évidemment, ceux qui sont restés jusqu'au bout ou presque ont été sauvagement assassinés : Gilbert Schlogel en fait des martyres. De là à dire que le fond de ce roman est raciste… je n'irai pas jusque là car finalement, l'Algérie tient bien moins de place, dans Toubib, que l'itinéraire chirurgical de Florent et ses tourments familiaux. Les deux tiers du livre se passent à Paris ; tout en continuant à s'intéresser à l'actualité algérienne, Florent a coupé les ponts, en réalité, avec ce pays dans lequel il n'a sévi qu'une seule année. Il est bien plus obnubilé par ses problèmes de fils à papa (un père qui habite avenue Foch et qui trompe sa femme) : en effet, Florent est doté d'un père tyrannique qui le méprise profondément, ce qui attriste beaucoup notre futur chirurgien. Par ailleurs, il passe son temps à bouffer chez des amis de bonne famille, à boire des verres au Flore, etc… Pour finir, non pas à médecins sans frontières, car tout en étant passionné par son métier, notre chirurgien veut avoir un yacht à Saint-Trop. Ainsi, il entreprend d'ouvrir une clinique privée avec des amis chirurgiens.

Bref, ce livre n'a aucun intérêt, est mal écrit, n'est habité d'aucun souffle. Tout y est superficiel, aseptisé, et traduit le nombrilisme et l'autosatisfaction d'un fils à papa-carabin incapable de sortir de son monde et de ses petits soucis de nanti. Sa vision de l'Algérie est nulle à tel point qu'on vibre davantage en écoutant Serge Lama et sa fichue chanson de « l'Algérie, même avec un fusil, c'était un beau pays » ou les carabistouilles d'Enrico Macias : « Laï, laï, laï, laï ». J'espère quand même pour ceux qui tombent entre ses mains que Gilbert Schlogel est meilleur chirurgien qu'écrivain, car en ce qui me concerne, il a bien failli m'achever !      



25/08/2012
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