Gérard Mordillat : Les vivants et les morts/ On en sort vivant… ou mort
Gérard Mordillat est surtout connu pour son cinéma engagé à gauche. Il a écrit et mis en scène Vive la sociale, un roman et un film qui datent du début des années 80 avec Robin Renucci et François Cluzet. Nous le retrouvons aujourd’hui pour évoquer un roman qu’il a écrit en 2004, roman intitulé Les vivants et les morts, paru aux éditions Calmann-Lévy.
Le roman s’ouvre sur une scène de débâcle : la rivière déborde et envahit l’usine de la Kos où travaillent Rudi et d’autres ouvriers. Ensemble, ils sauvent l’usine. Quelques mois plus tard, c’est une tout autre débâcle qui s’abat sur eux : la restructuration envisagée par la direction implique une centaine de licenciements. En haut, les rats quittent un navire qui coule et c’est Format qui est nommé à la direction. Pour calmer les syndicats et les ouvriers qui se mettent en grève, Format parvient à débaucher Rouvard - en lui proposant une promotion - mais pas Rudi qui reste à la tête du mouvement. Cependant, les licenciements se feront bien et dans la charrette se trouve la femme de Rudi, Dallas, qui tombe enceinte pour la seconde fois. Dur-dur de boucler les fins de mois, donc, chez Rudi et Dallas. D’autant plus que la Kos sera bientôt rachetée par les américains qui entendent bien liquider l’affaire. Lorquin, un vieux de la vieille de la Kos qui fit partie de la charrette des licenciements, déprime depuis qu’il est au chômage. Une jeune journaliste, Laurence, décide d’écrire un livre sur lui. Malheureusement, il tombe amoureux d’elle, sentiment non réciproque, ce qui pousse Lorquin au suicide. Cependant, à la Kos, rien ne va plus. L’usine va être liquidée et ceux qui y travaillent aussi. Dans la troisième partie du roman, nous allons suivre pas à pas cette liquidation qui tournera mal. En effet, les ouvriers commencent par faire sauter les machines tandis que les femmes réussissent à ameuter toute la ville qui se soulève et part manifester tandis que les négociations sont en cours. L’affaire se termine dans un bain de sang : deux manifestants sont tués ainsi qu’un CRS. Rudi est accusé du crime à l’encontre de ce dernier et est arrêté. Côté négociations, les syndicats CFDT et FO ont signé la liquidation et les ouvriers se retrouvent floués. C’est alors que Dallas se lance dans un combat acharné pour faire sortir son mari Rudi de prison. Le roman se termine sur des retrouvailles houleuses – Dallas, désormais sans ressources, s’est laissée entretenir par le docteur Kops – mais passionnées.
Avec Les vivants et les morts, Gérard Mordillat signe un roman-fleuve long de 830 pages dans lesquelles sont évoquées les luttes ouvrières dans une usine d’un petit coin de France : la Kos. Il nous invite à suivre la vie et les combats de plusieurs personnages, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre (ouvriers ou notables).
Le roman propose donc la chronique d’une usine en perdition, qui subit d’abord un plan de licenciement massif et peu après, sa liquidation. Nous suivons donc, au plus près et de manière précise, toutes les étapes de cette tragédie humaine qui tourne mal avant de s’achever dans un bain de sang. Une partie du roman est consacrée à l’évocation des négociations entre ceux qui pactisent avec le pouvoir et ceux qui ne lâchent rien.
Cependant, l’auteur s’engage du côté du salariat : Rudi et sa femme Dallas sont des vrais guerriers mais ils sont des petits et doivent se battre contre une machine puissante et inhumaine. Serge et Varda sont moins extrémistes : Serge est prêt à accepter une promotion au moment de la grève puis décide de partir au Vietnam où il est sûr de trouver de l’emploi. Cependant, Gérard Mordillat a la volonté de ne pas être trop manichéen (même s’il l’est quand même) et s’il propose des portraits de salauds (du côté des puissants, bien sûr), il peint aussi des visages humains chez les dirigeants : Format, par exemple, nommé à la direction au moment des licenciements, décide de jeter l’éponge et s’enfuit loin de la déroute avec sa secrétaire, Carole. En effet, l’homme n’a plus foi en sa capacité d’éviter le pire. Par ailleurs, côté ouvriers, il y a aussi ceux qui baissent la culotte. Ce sont principalement des délégués syndicaux FO et CFDT qui signent un accord qui floue les ouvriers.
Cependant, une grande partie du roman nous plonge dans l’intimité des personnages. Par exemple, Rudi trompe Dallas avec Mickie, une collègue dont il est amoureux. Sa femme, Dallas, couche de temps à autre avec sa copine Varda. D’autres, comme Gisèle, la fille du directeur Format aime Franck, le frère de Dallas, et tombe enceinte de lui. Mais il faut aussi souligner le fait que Mordillat se complaît dans les scènes de sexe crues et inutiles. Elles sont gratuites et n’existent que parce que désormais, dans presque tous les romans, on les trouve. Ça fait trash, disons.
Enfin, ce roman est composé presque uniquement de dialogues mal écrits. Leur raison d’être, c’est de donner un effet « Vérité », certes, car l’auteur tente ici de décrire le réel d’ouvriers dont les vies sont ruinées pour enrichir quelques actionnaires. Cependant, je n’ai pas apprécié ce style très plat qui caractérise les dialogues de ce roman.
Voici donc un roman intéressant qui tente de s’inscrire dans la veine des grands romans du XIXème siècle à la Germinal sans toutefois parvenir à la cheville de Zola. Mais pas d’inquiétude à avoir. Après avoir lu Les vivants et les morts de Gérard Mordillat, je suis toujours vivante !
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