LECTURES VAGABONDES

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Françoise Chandernagor : Vie de Jude, frère de Jésus / Une vie bien remplie

   

      Aujourd’hui et à l’approche des fêtes de Pâques, je vous emmène là où tout a commencé : en Palestine, à l’époque de Jésus. Cependant, ce n’est pas vraiment à Jésus que Françoise Chandernagor a consacré ce roman – Vie de Jude, frère de Jésus paru en 2015 aux éditions Albin Michel – mais au dernier de ses frères, Jude, comme de titre éponyme de l’œuvre l’indique.

          Car il est vrai que Jésus avait des frères et sœurs. De ces dernières, nous ne savons rien sinon qu’elles se sont mariées. Quant aux frères, ils sont quatre : Jacques – qui est aussi l’un des apôtres -  José, Simon, et Jude. Le fait que Jésus avait des frères est assez méconnu et Françoise Chandernagor en donne la raison : alors que l’église consacre Marie comme vierge et même comme Immaculée Conception, on passe sous silence le fait qu’elle ait pu aussi être une femme comme une autre et concevoir des enfants de manière naturelle à la suite de Jésus. Mais penchons-nous sur la destinée de Jude et des autres.

          Comme je l’ai dit plus haut, Jude est le petit dernier de la fratrie issue de Joseph Bar-Jacob de la tribu de Juda. Il grandit auprès de ses frères et sœurs et suit de loin l’épopée de Jésus en Galilée. Ce sont des voyageurs qui l’informent régulièrement des miracles accomplis par son frère ainé : après avoir été baptisé dans les eaux du Jourdain, il s’est mis en route pour prêcher et soigner les malades. De plus en plus d’adeptes le suivent. Cependant, ce qu’il dit inquiète sa famille qui part, un jour, pour le raisonner alors qu’il œuvre dans la ville de Capharnaüm. En effet, Jésus se dit fils de Dieu et messie envoyé par son père pour racheter les péchés du monde. Il annonce également l’apocalypse et l’avènement du royaume de Dieu dans lequel les derniers seront les premiers. Cette parole ne manque pas de choquer les juifs de tout acabit ! Cependant, il est bien accueilli à Jérusalem où il se rend pour les fêtes de Pâques. Mais ce succès, on le sait, sera de courte durée. Alors que Jésus bouscule les marchands du Temple qui salissent, à ses yeux, la demeure de Dieu en vendant et en sacrifiant des animaux, il est arrêté, déféré devant Caïphe, le grand Prêtre du Temple, puis devant Ponce Pilate, le consul de Judée qui le condamne à la crucifixion. On connait la suite ; les fêtes de Pâques nous le rappellent : Jésus meurt sur la croix puis disparait du tombeau où son corps a été placé. Ensuite, il apparait à plusieurs de ses disciples qui, depuis la crucifixion, se cachent par peur d’être reconnus comme compagnons de Jésus. Parmi ces heureux élus, nous comptons Jacques, son frère.

          La suite du roman nous raconte comment les disciples de Jésus et d’autres qui se sont laissés toucher par sa parole, vont fonder des églises et prêcher en Palestine mais aussi dans toutes les villes où diaspora juive il y a.              Car il n’est, pour l’heure, pas question de prêcher en dehors de ceux qui sont circoncis, c’est-à-dire qu’on ne s’adresse qu’aux juifs. Un trublion va venir bouleverser cette donne. Il s’agit de Paul de Tarse auquel Jésus est apparu alors qu’il cheminait sur la route de Damas. Auparavant, il faisait partie de ceux qui persécutaient les chrétiens mais, depuis la révélation, Paul est devenu un intégriste de Jésus et déclare que désormais la Loi juive ne vaut plus. Il prêche aussi les incirconcis. Certes, il est mal vu par les judéo-chrétiens dont font partie les disciples directs de Jésus mais aussi ses frères.  L’apôtre Pierre prêchera surtout à Rome où il trouve la mort lors des représailles contre les chrétiens accusés d’avoir fomenté le grand incendie qui a détruit une bonne partie de la ville sous l’empereur Néron. Jude, de son côté, prêchera surtout à Cyrène, et se chargera d’écrire des Logias (qui condensent la parole du Christ). Quant à Jacques, il reste à Jérusalem où il prêche, lui aussi. Le roman se termine avec ce qu’on appelle la guerre des juifs et la destruction du Temple de Jérusalem par l’armée de Titus en 69-70. Par la suite, les chrétiens vont se disséminer et Jude constate amèrement que ceux qui ont connu directement Jésus s’éteignent tandis que sa parole est de plus en plus déformée et interprétée par ceux qui la portent.

          A la fin du roman, Françoise Chandernagor nous ouvre son atelier d’écrivain et nous explique la genèse de son roman. On peut alors constater l’ampleur de son érudition ainsi que la richesse de la matière qui compose ce roman. Elle nous introduit dans espace et un temps où foisonnent et bouillonnent culture et spiritualité car la religion juive s’était alors fracturée en plusieurs partis dont les plus importants sont les sadducéens, les esséniens, les pharisiens et les zélotes.  Elle indique également comment elle s’est approprié le style remarquable des Ecritures afin de donner à cette vie de Jude un aspect authentique. Elle pousse d’ailleurs l’exercice jusqu’à faire croire au lecteur qu’elle ne fait que publier là un texte écrit par Jude en 5 livres retrouvés dans les années 50, époque où on retrouve à Qumrân en Cisjordanie, les « Manuscrits de la Mer Morte » - manuscrits apocryphes - et elle indique régulièrement que le texte est ici amputé, là dégradé ou encore perdu.

          Alors quelle image de Jude le roman propose-t-il ? Je ne sais pas si l’intérêt de ce roman réside en la peinture de ce personnage dont il ne reste  véritablement qu’une courte épître devenue canonique. Il aime son frère Jésus et diffuse sa parole après la mort de ce dernier. Il est marié à Tabitha, une convertie, et est père de famille. Jamais Jésus ne lui sera apparu, à son grand désespoir, et il attend avec impatience l’avènement du royaume de Dieu tout en se demandant si tous les malheurs qui accablent la Judée ne sont pas en réalité l’apocalypse annoncée par Jésus. Mais selon moi, l’intérêt de Vie de Jude, frère de Jésus réside surtout dans le fabuleux voyage qui nous mène au cœur de la Palestine du temps de Jésus. On y découvre une terre brûlante, déchirée par différentes religions, elles-mêmes fracturées en différents partis ; un peuple qui craque sous le joug romain mais aussi sous celui des Hérode, un peuple sur lequel s’abattent régulièrement des massacres ou encore des famines, un peuple éminemment religieux et courageux.

          Ainsi ne faut-il pas attendre les fêtes de Pâques pour lire Vie de Jude, frère de Jésus. D’ailleurs, Françoise Chandernagor n’écrit pas en croyante - même si son roman ne déflore pas le mystère de la Foi et celui de Jésus – mais en historienne passionnée et talentueuse. Son roman ressuscite donc, bien plus que Jésus et ses disciples, les débuts oubliés d’une nouvelle religion aujourd’hui vieille de 2000 ans : le christianisme.   



03/06/2024
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