LECTURES VAGABONDES

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Charles Lewinski : Melnitz / Méli-mélo réussi

 

    On ne compte plus les romans qui traitent de la persécution des juifs, notamment sous le IIIème Reich. Pourtant, le roman que je vais vous présenter aujourd’hui, s’il est de facture classique, affiche aussi une certaine originalité dans le traitement du thème des persécutions qui ont eu lieu à l’égard des juifs dans l’Histoire. Ce roman s’intitule Melnitz, est écrit par Charles Lewinsky et parait en France en 2008 aux éditions Grasset et Fasquelle. 

 

    Nous sommes en 1871, à Endigen, une petite ville de Suisse où vivent les Meijer. Le père, Salomon Meijer, est un marchand de bestiaux honnête. Il vit ainsi avec son épouse, Golda, sa fille, Mimi, et la servante – une enfant recueillie – Hannele. Un jour, Janki débarque chez cette très sage famille. Il a fait la guerre côté français et s’est échappé pour se retrouver à frapper à la porte des Meijer. Il est donc recueilli et s’installe dans cette famille avec laquelle il a un lien de parenté. La jeune Mimi n’est pas indifférente à son charme. De son côté, grâce à une affaire avantageuse de vente de viande de cheval qui lui a rapporté beaucoup d’argent, il parvient à réaliser son rêve : ouvrir une boutique de tissus, lui-même étant tailleur. Après des débuts laborieux liés à une entreprise de calomnies destinée à le ruiner, il parvient enfin à percer grâce à l’aide de son rival, Pin’has Pomeranz (qui est amoureux de Mimi). Mais de ce côté-là, les choses tournent en faveur de Janki qui obtient la main de Mimi, fille dotée. Hannele doit se résigner… car elle aussi est amoureuse de Janki. Mais bientôt, ce qui semblait logique va être bouleversé. Mimi est surprise par Janki alors qu’elle embrassait Pin’has. C’était certes un hasard sans aucune importance mais cela suffit pour que Janki décide de rompre ses fiançailles avec Mimi qui épousera Pin’has (de toutes manières, la jeune fille ne voulait pas travailler dans le magasin de vêtements qu’il possède). Janki épousera Hannele qui accepte de revenir travailler avec lui au magasin.

Nous sommes maintenant en 1893. Janki qui a épousé Hannele a trois enfants déjà grands : François, Hinda et Arthur. Ils vivent à Baden, en Suisse. Le couple possède deux magasins de vêtements ; l’un est luxueux et s’appelle « Aux tissus de France » ; l’autre s’adresse à une clientèle plus populaire et s’appelle « A l’écu rouge ». Si Janki s’occupe du premier, le second est davantage tenu par Hannele. Janki aimerait bien être accepté dans la bonne société de la ville, majoritairement goy. Cependant, il souffre d’être discriminé parce qu’il est juif. Et puis, il y a François, l’ainé, qui a engrossé une employée : Marie-Thérèse Furrer – sans parler de la bonne Louisette qu’il lutine dans le dos de tout le monde. Sa mère, Hannele, réglera la question en trouvant pour Marie-Thérèse Furrer un bon parti (avec de l’argent, on trouve toujours un pigeon). Hannele retrouvera aussi son vrai père, enfermé depuis longtemps dans un asile, rendu fou par la mort de sa femme Sarah. Mimi, de son côté, vit à Zurich et son mari, Pin’has tient une boucherie qui rapporte bien. Elle a du mal à tomber enceinte et a déjà perdu un enfant. Pour cette raison, elle est assez proche de sa nièce Hinda qui tombe amoureuse de Zalman Kamionker, un homme assez mal éduqué, qui milite au parti socialiste. Ce dernier mettra Janki au pied du mur : il épousera Hinda. Il faut dire que la jeune fille n’est pas contre ! En ce qui concerne Pin’has Pomeranz, le boucher, il sera au cœur d’un débat concernant l’abattage rituel des animaux chez les juifs. Les adversaires de cette pratique mettent la souffrance animale en avant… mais officieusement, il s’agit d’antisémitisme. Ce sont les opposants à ce rituel qui auront le dernier mot, bouleversant ainsi Pin’has dans son travail. A la fin du débat, Salomon, le père de Mimi, succombe à une attaque et c’est ce jour-là qu’elle découvre qu’elle est enfin enceinte. Cette seconde partie s’achève sur la Bar-Mitsva du plus jeune fils Pomeranz, Arthur. 

Passons en 1913 : Mimi a eu une fille qu’elle a prénommée Désirée. L’accouchement fut très difficile et son état de santé est depuis devenu fragile. Durant un temps, elle partage le secret d’une idylle cachée entre une amie de Désirée et un garçon dont l’identité reste mystérieuse. Bientôt, elle découvre que cette fameuse idylle, c’est sa propre fille qui la vit avec son cousin Alfred. On décide de séparer les amoureux d’autant plus qu’Alfred a été baptisé en même temps que son père, François. Les deux hommes ont donc tourné le dos à la religion juive, pour des questions pratiques : quand on veut faire fortune et se faire accepter dans le beau monde, mieux vaut être chrétien. Lorsque la guerre éclate, Alfred est enrôlé. Il sera tué, très vite. Après la guerre, François – qui a échoué (malgré sa conversion au christianisme) à acheter le terrain des Landolt sur lequel il voulait construire un tout nouveau concept de magasin de vêtements - ira sur la tombe de son fils pour réciter le kaddish. Son épouse, Mina, de son côté, a disparu pour toujours après avoir appris la mort de son fils. Janki et d’Hannele, quant à eux, en 1913, se paient des vacances au cours desquelles ils rencontrent entre autre le couple Wasserstein qui a une fille appelée Haya-Sarah. Janki et Hannele aimeraient bien que leur fils Arthur, devenu médecin mais encore et toujours célibataire, épouse Haya-Sarah. Ce mariage n’aura pas lieu car Arthur est homosexuel ; il aura une brève liaison avec un jeune garçon prénommé Yoni. Et bien après la rupture, Arthur en est toujours amoureux.

Poursuivons avec l’année 1937. Désormais, Janki est mort, lui aussi. Hannele perd lentement la mémoire dans un asile pour vieux juifs. En Allemagne, les persécutions envers les juifs prennent de plus en plus d’envergure. Ruben Kamionker, fils d’Hinda et de Zalman Kamionker vit dans ce pays ; il est rabbin et ne veut pas quitter sa communauté. Cette décision lui vaudra la vie, à lui, à sa femme et à ses quatre enfants. Arthur, toujours célibataire, s’attache à deux petits réfugiés allemands : Irma et Moïse Pollack. Il encourage Irma à simuler une maladie afin de n’être pas renvoyée de Suisse. De son côté, il s’emploie à faire venir leur mère, une veuve, Rosa, d’Allemagne. La chose n’est pas aisée car en Suisse, l’antisémitisme existe aussi et le pays n’a pas envie d’accueillir pléthore de réfugiés juifs. Il sera obligé d’aller en Allemagne – et subir quelques humiliations - pour épouser Rosa et la faire venir en Suisse. Le couple qu’ils formeront sera, contre toute attente, heureux. Rachel Kamionker, fille d’Hinda et de Zalman Kamionker, qui s’occupe d’un magasin de vêtements qui marche bien, va employer un réfugié allemand qui a fait l’expérience des camps : il se nomme Félix Grün et était un comique juif. Son partenaire, monsieur Blau, a trouvé la mort sous les coups des SS. Félix Grün a profité d’une libération provisoire des camps – due aux jeux olympiques, en 1936, période où il faut montrer patte blanche – pour s’enfuir d’Allemagne. Rachel tombe amoureuse de Félix et finit par l’épouser. Enfin, nous faisons connaissance d’Hillel Rosenthal, fils de Léa Kamionker et d’Adolf Rosenthal. Le jeune garçon est sioniste et a intégré une école d’agriculture car il a l’intention de partir pour Ia terre promise où il a l’intention de mettre en valeur un bout de terre. Il se lie d’amitié avec Böhni, un frontiste – admirateur d’Hitler. Certes, les liens entre ces deux-là sont incongrus, mais en est en Suisse… Les deux jeunes garçons font ensemble les 400 coups et iront même ensemble en prison. L’histoire de la famille Meijer se termine avec la mort d’Hannele, l’un des piliers de la famille.

1945 : L’oncle Melnitz, qui n’est autre que la personnification de la mémoire juive, revient sur le bilan atroce du génocide juif, en 1945 et met en perspective les massacres de juifs qui émaillent l’histoire de ce peuple.

 

        Melnitz, c’est un roman ambitieux qui traite de la mémoire du peuple juif incarné par un personnage légendaire : l’oncle Melnitz. Ce dernier apparait de temps à autre et se dresse auprès des personnages du roman comme un parent qui raconterait à ses enfants l’histoire familiale. Il rappelle à chacun d’entre eux que ce qui s’est passé pour les juifs en Europe durant la fin du XIXème siècle et au XXème siècle s’est également produit bien auparavant ; que la persécution des juifs ne date pas d’aujourd’hui !

           Mais ce roman ne traite pas seulement du malheur d’être juif à la fin du XIXème siècle et durant la première moitié du XXème siècle. Il raconte aussi le bonheur d’appartenir à une communauté à l’identité si affirmée : les mariages, les bar-mitsvas, les décès, les fêtes religieuses… sont autant de moments où toute la famille se retrouve car c’est sur ces valeurs familiales fortes que repose l’histoire des Meijer. Même quand François a renié son appartenance à la communauté juive pour entrer dans la grande famille chrétienne, il reste marqué par sa judéité et continue de faire partie de la famille Meijer, qu’il le veuille ou non.

          Certes, Melnitz traite aussi de la difficulté de vivre cette appartenance à la communauté juive dans une époque où l’antisémitisme devient de plus en plus agressif. Dans Melnitz, ça commence avec l’interdiction de l’abattage rituel et ça se termine par l’abattage des juifs eux-mêmes dans les camps de la mort.

           Cependant, la shoah n’est pas vécue en direct car la famille Meijer vit en Suisse. Cependant, certains membres de cette famille partent s’installer en Allemagne toute proche et périront dans les camps de la mort. Mais pour compenser cette perte, Arthur sauvera une femme et ses deux enfants de la déportation certaine s’il n’avait pas agi pour les faire venir en Suisse. Même si la Suisse est, comme la plupart des pays européens, frappée par l’antisémitisme ordinaire, elle ne déporte pas ses juifs, ne les assassine pas.

          Outre le thème de la judéité, Melnitz présente aussi des personnages attachants et même parfois comiques par certains aspects car l’auteur aime aussi se moquer des travers des juifs (notamment de leur esprit bien terre à terre, toujours un chouia comptable et mercantile). A travers la famille Meijer, on balaye tous les métiers qu’exercent ordinairement les juifs. A commencer par le commerce… et bien sûr, pas de famille juive sans un tailleur ! D’autres seront bouchers casher. On compte aussi un médecin, un rabbin. Et bien sûr un sioniste qui veut apprendre l’agriculture pour partir en Israël participer à l’expérience des kibboutz.

           Ainsi donc, Melnitz relève le pari d’un vrai bon roman-fleuve avec pour thème la saga familiale sur plusieurs générations. En outre, la famille Meijer s’inscrit dans un contexte historique particulier : la montée de l’antisémitisme en Europe de la fin du XIXème siècle jusqu’à l’horreur de la Shoah. L’originalité de ce roman, c’est qu’il se passe en Suisse, pays épargné par le nazisme. Les vraies persécutions sont évoquées de manière étouffée, comme un mal qui guette et dont on a du mal à apprécier l’étendue. Je suis donc convaincue par Charles Lewinsky et je suis très tentée par la lecture de Retour indésirable.



11/02/2024
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