Eskhol Nevo : Quatre maisons et un exil / Cinq fois oui !
Voici un roman que j'ai lu d'un bout à l'autre, sans le lâcher sinon pour manger et dormir – et aussi pour quelques autres activités, je l'avoue. Quel est donc ce roman qui se tient en haut du panel de cette rubrique "coup de coeur" ? Il s'agit de Quatre maisons et un exil, roman écrit par Eskhol Nevo - écrivain israélite – et paru en 2008 aux édtitions Gallimard.
Amir et Noa, deux étudiants, - elle, aux beaux-arts et lui, en psychologie – emménagent dans un petit appartement de Maoz Sion, petite localité située à mi-chemin entre Jérusalem et Tel Aviv. Leurs voisins - et aussi propriétaires – s'appellent Sima et Moshé ; ils ont deux enfants. Au dessus de leur appartement vivent les parents de Moshé : Gina et Abraham. Entre Sima et Moshé, le torchon brûle. En effet, Moshé et sa famille sont très pieux et Moshé voudrait que son fils Liron aille dans une garderie pour enfants réputée pour son enseignement religieux. Sima s'y oppose car elle n'aime pas la religion depuis que son père, pourtant très pieux, a abandonné son foyer pour une autre femme ; c'était il y a longtemps. Entre Amir et Noa, les relations se dégradent. En effet, Amir est perturbé par le travail qu'il effectue au sein d'un hôpital psychiatrique et qui le met au contact d'un certain patient nommé Schmuël ; celui-ci prétend lire en Dieu et en les hommes. Par ailleurs, il est très lié avec un jeune garçon renfermé prénommé Yotam ; celui-ci a perdu son frère, Guidi, tombé comme soldat au Liban. Depuis ce décès, il se sent délaissé par ses parents et sèche les cours à l'école. De son côté, Noa, qui s'adonne à la photographie, ne parvient pas à se fixer un projet d'étude : elle songe, entre autre, à photographier des arabes qui ont perdu leur maison en 1948 afin d'y loger des familles juives. Il faut dire qu'elle a été témoin de l'altercation entre un ouvrier arabe nommé Sadek et les forces de l'ordre. Sadek n'a qu'une idée : entrer dans sa maison natale et y trouver un objet oublié par sa mère. Or, cette maison n'est autre que l'appartement où logent Gina et Abraham, les parents de Moshé. Les forces de l'ordre interviennent alors qu'il tente de récupérer une chaine en or ayant appartenu à sa grand-mère. Sadek est traité sans égards et est mis en prison. C'est alors que tout bascule pour nos trois familles juives : Noa quitte Amir – histoire de faire un break – et s'installe dans l'appartement de sa tante à Tel Aviv. Là, elle parvient à se fixer un projet d'études : la nostalgie. De son côté, Amir se rapproche de Sima. Cependant, si l'attirance est réciproque, rien de concret ne se fera... sauf peut-être un rapprochement entre Sima et Moshé qui se voit attribuer la mission d'assouvir les désirs frustrés de son épouse. Chez Yotam, rien ne va plus non plus. Le jeune garçon fugue et est retrouvé dans une maison abandonnée ayant appartenu à une famille arabe. Après cette mésaventure, ses parents décident de recommencer leur vie à zéro, en Australie, où ils ont de la famille. De son côté, Noa revient auprès d'Amir et tout est bien qui finit bien. L'exil concerne donc uniquement Yotam et sa famille, tandis qu’une certaine Madmoni emménage dans la maison à laquelle travaillait Sadek, l'arabe exilé.
Je dis et je pèse mes mots, Quatre maisons et un exil est un roman extraordinaire. Il croise les destins de plusieurs personnages et familles pris à un moment de crise. Le couple Amir-Noa, sans que ni eux ni le lecteur sachent pourquoi, étouffe dans ce nouvel appartement qu'il loue à Maoz Sion. Leurs propriétaires, Moshé et Sima, sont en conflit ; lui aimerait une éducation religieuse pour leurs enfants, elle s'y oppose. En face de ces deux appartements, une maison en deuil. Un fils, Guidi, est tombé au liban et là vit un jeune garçon, Yotam, qui a perdu un frère et que les parents négligent, tout absorbés qu'ils sont par leur chagrin.
Dans ce désarroi, il y a des rapprochements : Yotam se rapproche d'Amir tandis que Sima et Amir éprouvent du désir l'un pour l'autre. Cependant, Noa, la petite amie d'Amir, et Sima se prennent d'affection l'une pour l'autre et se laissent aller aux confidences.
Ainsi, Eskhol Nevo présente des personnages en crise. Mais ceux-ci évoluent sur une terre en crise. Israël. En effet, l'action se déroule au moment où Itzak rabin est assassiné et où de nombreux attentats ont lieu. Bref, Israël est une terre déchirée, tiraillée entre les arabes et les juifs qui se disputent une maison. Et quand il y en a un de trop, c'est l'exil. Et c'est aussi toute l'histoire du peuple juif.
Car le fond du roman, ce sont bien les quatre maisons et l'exil : trois maisons sont celles des trois familles dont j'ai parlé, auxquelles s'ajoute celle qu'a perdu Sadek, l'arabe, pour faire quatre. Quant à l'exil, il n'y en a pas qu'un et j'y reviendrai plus loin.
D'une manière générale, le roman pose la question du bonheur. Peut-on être heureux lorsqu'on vit en Israël, et qu'on est marqué par l'exil ? L'exil, un thème qui colle au dos du peuple juif, surnommé également le peuple errant, celui qui n'a pas de maison, alors il s'accapare celle de l'autre, en 1948, date dela création de l'Etat d'Israël. Ainsi sommes-nous face à des personnages juifs en proie à la quête d'une maison, grande question de tout le peuple dont ils sont originaires. Amir est tout le temps en train de déménager ; c'est pourquoi, désormais, il veut se poser et refuse de quitter le petit appartement dans lequel il vient d'emménager avec son amie Noa. Celle-ci connait un bref exil au cours duquel elle appréhende la complexité de la terre d''Israël, tiraillée entre la modernité de Tel Aviv et le traditionnalisme de Jérusalem. Ces deux êtres qui ont connu l'errance décident enfin de s'arrêter ensemble pour fonder un foyer tandis qu'à côté, celui de Sima et de Moshé se remet de ses problèmes. Face à eux, il y a ce couple formé par Ruben et Nehama, un couple qui avait construit un foyer que l'Histoire a détruit. Voilà qu'est revenu pour lui le temps de l'exil, condamné qu'il est à retrouver une terre nouvelle pour y refonder une famille heureuse. N'oublions pas Modi, un ami d'Amir, en voyage en Amérique du Sud pour se consoler d'une rupture amoureuse. Là, il rencontre des tas de personnes différentes, fait du saut à l'élastique, et rencontre l'amour. Là aussi, il éprouve la vanité des relations de voyages et l'envie de rentrer chez lui, en Israël pour y fonder un foyer. Bref, Israël, c'est la terre promise des juifs et une terre d'exil. C'est là son identité. Aujourd'hui, se pose aussi la question des arabes qui ont perdu leur maison au moment de la fondation de l'Etat d'Israël. Sadek est l'arabe errant qui voudrait retrouver sa maison et qui en construit une neuve pour un certain Madmoni.
A ce titre, le roman s'ouvre et se ferme sur Ruben le père de Yotam qui attend sur le trottoir avec ses valises alors qu'il vient de quitter sa maison. En face, Madmoni va emménager dans la maison que des ouvriers arabes – dont Sadek, ici en exil, fait partie – et des ouvriers roumains – en exil de Roumanie pour des motifs économiques – ont construit.
Enfin, Eskhol Nevo pose aussi la question de l'importance d'une maison qui n'est finalement composée que de murs, de fenêtres et d'un toit. Pour que cette maison devienne foyer, il faut de l'amour, il faut toutes ces petites choses de la vie quotidienne pour la remplir et la rendre confortable. Voilà pourquoi Sadek veut à tout prix récupérer la chaine en or de sa grand-mère laissée dans la maison qu'occupent les parents de Moshé. D'ailleurs, Abraham, qui ne se remet pas de la mort d'un premier fils, prend Sadek pour ce dernier lorsque l'arabe parvient à entrer chez lui. Bref, la maison d'Abraham et de Gina, qui fut celle de Sadek et de sa famille, est comme vouée au malheur par son histoire et ne peut offrir à ses habitants qu'un foyer tronqué.
Ainsi, avec Quatre maisons et un exil, Eskhol Nevo a-t-il réussi à composer un roman complexe où s'entremêlent, sur tous les tons, les thèmes de l'exil et du foyer. En tout cas, dans ces quatre maisons, il fait bon lire !
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