LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Ernst Lothar : Mélodie de Vienne/Requiem viennois  

 

          Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un auteur autrichien méconnu. Son Nom : Ernst Lothar. Né en 1890, mort en 1974, il fut proche de Stefan Zweig et de Robert Musil. Il est à l’origine d’une grande saga familiale intitulée Mélodie de Vienne qui parait en Autriche en 1944. Il faut attendre 2016 pour la parution française aux éditions Liana Levy.

 

          Nous sommes en 1888, dans une maison cossue de Vienne, maison occupée par la famille Alt. A l’origine de leur richesse : la fabrication de pianos sur lesquels Mozart a composé. Le roman se divise en quatre livres qui portent chacun le titre d’une pièce de la maison. Le premier livre nous transporte au quatrième étage où vit Franz Alt, époux d’une riche héritière d’origine juive : Henriette Stein.

Certes, il ne s’agit pas d’un mariage d’amour pour la jeune fille qui fut l’amante du prince héritier de la famille impériale : le prince Rodolphe. Ce dernier s’est suicidé le jour même du mariage d’Henriette avec Franz. Cependant, bientôt, le couple donne la vie à un fils ainé : Hans. Le jeune garçon restera traumatisé par un duel qui confronte son père Franz au comte Traun, amant d’Henriette, qui meurt à cette occasion. En grandissant, Hans connait des difficultés. D’abord, il ne parle pas et c’est sa cousine Chris qui le sortira du mutisme avant de prononcer ses vœux qui la destinent au couvent. Jeune homme, Hans étudie les beaux-arts aux côtés de son camarade Ebeseder et d’un certain Adolf Hitler. Par ailleurs, sa liaison avec une femme mariée plus âgée ne rencontre pas la sympathie familiale. Pas plus que son mariage avec Selma qui partage ses convictions politiques républicaines. Mais bientôt, il est temps de partir à la guerre déclenchée par l’assassinat à Sarajevo du prince héritier François-Ferdinand. De la guerre, Hans reviendra sain et sauf, mais le grand héros de celle-ci, c’est son frère, Hermann qui s’est illustré au combat. La fin de la guerre change la donne en Allemagne. D’abord, nous assistons à l’essor du mouvement ouvrier qui aboutit à la révolution et à la chute des Habsbourg. Place désormais à un gouvernement de coalition dirigé par Schuschnigg. Dans la famille Alt, c’est le moment des grands déchirements : Franz, l’époux d’Henriette, décède d’une attaque tandis que Selma, la comédienne et épouse de Hans meurt empoisonnée. Hans soupçonne sa mère Henriette, d’être à l’origine de ce décès ; puis, la vérité éclate : c’est son frère Hermann qui a assassiné sa belle-sœur car il ne supporte pas les juifs. Ce dernier sera fusillé car il a participé au putsch d’un nouvel arrivant sur la scène politique, le nazi Hitler, putsch qui a pour conséquence la mort du chancelier Dollfuss. De son côté, Hans ne cache pas sa sympathie pour le mouvement ouvrier de gauche, ce qui n’est pas très bien vu dans une famille conservatrice et nostalgique de l’empire déchu des Habsbourg, d’autant plus qu’Hans dirige désormais l’entreprise familiale de fabrication de piano. Avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne et l’annexion de l’Autriche au IIIème Reich, le destin de Hans bascule puisqu’il est contraint de quitter l’entreprise de fabrication des pianos qu’il dirigeait. Motif : il a du sang juif dans les veines. C’est sur un constat bien sombre que se clôt Mélodie de Vienne.

          Mélodie de Vienne, c’est un roman qui analyse la particularité de la brillante capitale de l’Autriche par rapport à l’Allemagne. Il rend hommage à la richesse et à l’effervescence culturelle de Vienne : au niveau des sciences, de la littérature, de la musique… de toute forme d’art ; Vienne est une ville incontournable de la culture européenne. C’est sous la protection de Mozart que s’épanouissent les Alt, fabricants de pianos.

          Par ailleurs, le roman rend aussi hommage aux juifs qui sont nombreux à avoir fait briller Vienne, à avoir contribué au bouillonnement intellectuel dont elle fut depuis longtemps le creuset notamment au début du XXème siècle : des physiciens Albert Einstein, Max Born, ou encore Wolfgang Pauli, aux mathématiciens comme Johannes von Neumann, sans parler des écrivains (Thomas Mann, Bertolt Brecht, Stefan Zweig...), artistes (Arnold Schönberg...), sans parler des philosophes, psychanalystes (Freud), sociologues, économistes, historiens…  

          Si la saga familiale proposée par Mélodie de Vienne est plaisante, elle reste cependant classique (mariages, adultères, enterrements, naissances…). La force d’Ernst Lothar, c’est d’avoir su donner à son roman une dimension d’analyse sociale, politique et économique qui finit par devenir visionnaire. En effet, au cœur du roman se trouve une analyse critique de l’aveuglement de Vienne : éprise de culture, l’aristocratie viennoise méprise Hitler qui incarne l’obscurantisme et la vulgarité ; elle n’a pas vu le danger qu’il représentait. Ernst Lothar analyse aussi la crise que connait l’Autriche à la fin de la première guerre mondiale : les Habsbourg qui détenaient depuis des siècles le pouvoir en Autriche, sont déchus. Le pays est alors tiraillé entre les extrêmes : la gauche ouvrière et le parti communiste - qui émergent après la débâcle de la grande guerre et la révolution russe - et l’extrême droite d’Hitler. C’est dans le chaos anarchique que naît ce qui fera vaciller le XXème siècle pendant plusieurs décennies : le nazisme.

          Sans doute faut-il un peu de courage pour se lancer dans ce roman-fleuve d’Ernst Lothar – Mélodie de Vienne - qui comporte sans doute quelques longueurs. Cependant, je conseille aux lecteurs de se laisser charmer puis bercer par cette sombre mélodie viennoise qui résonne encore fortement depuis le cœur du XXème siècle.  



19/08/2019
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres