LECTURES VAGABONDES

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Emile Zola : Son excellence Eugène Rougon/ Encore un excellent Zola.     

 

          Et nous voilà repartis pour le 6ème tome de la saga historico-socio-familiale d’Emile Zola – Les Rougon-Macquart ! Nous allons faire plus ample connaissance avec un personnage dont il est question à de nombreuses reprises dans les précédents romans : Eugène Rougon. Avec lui, nous allons pénétrer dans le monde politique du second empire. Son excellence Eugène Rougon est écrit et publié par Zola en 1876.        L’action de ce roman couvre les années 1856-1861.

 

          Eugène Rougon est un fervent serviteur du second empire. Il est ministre et député et c’est à l’assemblée nationale que débute le roman. L’homme est en pleine tourmente, aux prises avec un scandale qui le

pousse à démissionner. Cependant, autour de notre héros vit toute une petite assemblée de courtisans auxquels il a promis des places, qui voient d’un mauvais œil la disgrâce de leur bienfaiteur et le soutiennent officiellement, même si, officieusement, les critiques commencent à sourdre : Rougon est un égoïste ! Pourquoi démissionne-t-il alors qu’il est lié par tant de promesses au monde politique ? Cependant, parmi les « amis » de Rougon se trouve une magnifique femme toute faite de sensualité : Clorinde Balby. Ses relations avec Rougon sont équivoques et cette dame est fascinée par l’homme de pouvoir qu’est Rougon. De son côté, Rougon éprouve un certain trouble devant Clorinde, mais soi-disant pour des raisons pratiques, il organise le mariage de celle-ci avec un homme d’avenir : un certain Delestang. De son côté, Rougon épouse une femme plutôt insignifiante, qui restera dans son ombre. Mais il est temps pour notre homme de retrouver le pouvoir. Mis au courant par l’intrigant Gilquin d’un attentat fomenté contre l’empereur, Rougon se tait et laisse faire. Le côté autoritaire de Rougon semble désormais indispensable à Napoléon III – Badinguet – qui le nomme ministre de l’Intérieur. Cependant, Clorinde, dont le mari, Delestang, fait carrière dans le monde politique du second empire – côtoie l’empereur qui ne reste pas insensible à ses charmes. Elle devient sa maîtresse et se débrouille pour faire tomber de nouveau son ancien bienfaiteur : Rougon ; elle ne lui a, en effet, jamais pardonné de l’avoir rejetée et donnée en épousailles à Delestang. Voici donc de nouveau Rougon en disgrâce et lynché par ses courtisans qui n’ont plus grand-chose à attendre de lui, désormais. Mais l’homme n’a pas dit son dernier mot. L’empereur lui est très attaché et le rappelle lorsqu’il décide de donner un tournant libéral à sa politique. Et voilà Rougon revenu en pleine gloire, à l’assemblée nationale, où il dispense un discours très écouté en faveur d’une politique libérale, lui qui, au début de sa carrière politique, prônait conservatisme et autoritarisme.

 

          Avec Son excellence Eugène Rougon, nous pénétrons dans le monde politique du second empire et ses rouages ; ceci dit, sous bien des aspects, nous retrouvons des travers propres à tous les temps, travers dépendants de la nature humaine universelle et intemporelle. La quête du pouvoir, le népotisme, la calomnie, voire le complot, l’hypocrisie sont autant de piliers qui soutiennent la vie politique en général. De manière plus particulière, le roman brosse le portrait du ministre Eugène Rougon : un jouisseur, énigmatique, solide et fort psychologiquement, qui ne laisse paraître ni ses émotions ni ses sentiments. L’homme se renie pourtant, puisque d’autoritaire, il passe à un profil plus libéral afin de servir les velléités de l’empereur. Enfin, Eugène Rougon a aussi ses faiblesses : s’il aime le pouvoir, c’est aussi parce qu’il a besoin d’être admiré, d’être celui qui tire les ficelles pour un tel ou tel autre. C’est pourquoi il édifie son pouvoir sur une cour avec ce qu’elle comporte de versatilité et d’hypocrisie. Cynique, il sait décrypter cette assemblée de courtisans et la manipuler avec des promesses.

          Une autre caractéristique du monde politique du second empire, c’est son goût pour le luxe et son absence d’intérêt pour tout autre chose que cet univers du pouvoir. Par exemple, lorsque Clorinde organise une vente de charité, on fait étalage de luxe et de richesse et c’est à celui qui donnera le plus pour gagner l’enchère, même si l’objet présenté n’est que broutille. Là encore, tout est dans l’apparence qui est censée refléter le niveau de pouvoir de chacun. Cette débauche de luxe et de richesses contraste avec l’évocation de la pauvreté dans d’autres tomes de la saga – Germinal, l’Assommoir, etc…. Autre exemple de cette indifférence des riches au reste du monde, c’est l’inauguration d’une voie ferrée dans les Deux-Sèvres avec l’évocation d’une magnifique campagne que le second empire va saccager au nom du progrès. Certains passages de cette scène ont des accents qui font penser à La curée ou encore à La bête humaine :

 

« Des arbustes déracinés pendaient parmi les déblais. On avait semé de feuillages le sol de la tranchée. M. Kahn indiqua encore de la main le tracé de la voie ferrée, qui marquait une double file de jalons, alignant des bouts de papier blanc, au milieu de sentiers, des herbes, des buissons. C’était un coin paisible de nature à éventrer ».

 

          Enfin, Son excellence Eugène Rougon marque le début de l’ère libérale qui ne quittera quasiment plus la marche du pays, avec ce qu’elle comporte d’inégalités à venir, de douleur et d’exploitation pour le petit peuple. Le roman montre tout un monde qui se transforme profondément et cette grande transformation prend assise sur des bases qui paraissent bien légères, puisqu’elles reposent d’une part sur un empereur bien léger, facilement manipulable par les femmes, plein de faiblesses et d’autre part sur une petite assemblée de nantis qui n’ont aucune conviction, aucune ambition réelle autre que celle d’obtenir la place plus élevée qu’ils pourraient avoir. Par ailleurs, tout ce petit monde vit dans un luxe tel qu’il est parfaitement déconnecté du reste de la société : en ce sens, l’affaire De Rugy qui secoue le gouvernement Macron actuellement, en est un bon exemple contemporain.

          La suite ? C’est L’assommoir – article sur ce roman : déjà publié. Mais je viens de me rendre compte que j’ai loupé le tome 4 et le tome 5 de la saga. Prochain rendez-vous avec Zola, ce sera donc dans le cadre de La conquête de Plassans.  



22/07/2019
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