LECTURES VAGABONDES

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Dennis Lehane : Ils vivent la nuit/Pour s’endormir…

                Avec quel émerveillement je me souviens avoir vu le fabuleux film de Sergio Leone sur la prohibition aux Etats-Unis ! Je veux bien sûr parler d’Il était une fois en Amérique : amour, rivalité, trahison, amitié sont magnifiés dans cette magnifique peinture d’un milieu et d’une époque. Alors, quand j’ai su que Dennis Lehane s’était emparé de ce sujet dans Ils vivent la nuit, paru en 2013 aux éditions Payot et Rivages, j’ai eu envie de m’y plonger avec l’espoir d’y trouver le même souffle épique. Hélas ! Je dois dire que j’ai été plutôt déçue, sur ce coup-là.

 

           Nous sommes à Boston en pleine période de prohibition. Joe Coughlin et son équipe de petits hors-la-loi font un casse dans un tripot appartenant à un caïd local - Albert White – et Joe tombe amoureux de la maîtresse de ce dernier – Emma. Très vite, il devient son amant et la vengeance d’Albert White ne se fait pas attendre : Joe se retrouve pris au piège d’un guet-apens au cours duquel Emma est laissée pour morte. Joe est incarcéré au pénitencier de Charleston où il se lie avec un gros bonnet de la pègre : Maso Pescatore. A sa sortie de prison, Maso place Joe à la tête des affaires d’alcool en Floride, dans la ville de Ybor. Là, notre héros fait son trou tant au niveau des affaires qu’au niveau sentimental : il tombe en effet amoureux d’une belle cubaine, Graciella. Après avoir mis la main sur la production et l’écoulement de l’alcool en Floride, Joe pense se lancer dans le jeu et voudrait monter un grand casino à Ybor, d’autant plus que l’heure de la fin de la prohibition semble être prête à sonner. Cependant, il se heurte à la jeune et belle Loretta Figgis, fille de Irving Figgis, le chef de la police locale. La jeune fille, après s’être adonnée à la drogue, entend bien lutter contre le vice qui ronge la société américaine. Sensible à la jeune fille, Joe renonce à son projet de casino lorsque débarque Maso Pescatore qui souhaite placer son fils à la tête des affaires de Floride. Un conflit survient entre les hommes, conflit d’autant plus palpitant que désormais, Albert White travaille sous les ordres de Maso. Joe frôle la mort, mais réussit à s’en tirer grâce à son complice et ami de toujours : Dion. Joe a désormais les mains libres : il s’installe à La Havane, à Cuba, et se lance, avec Graciella et le fils qu’il a eu d’elle – Tomas – dans la production de tabac. Lors d’une escapade en Floride, Joe tombe dans un guet-apens tendu par l’ancien flic Irving Figgis qui tient Joe comme responsable du suicide de sa fille Loretta. Dans ce guet-apens, Graciella perd la vie…

 

                Nul doute que ce roman de Dennis Lehane – Ils vivent la nuit – soit d’assez bonne facture, tout bien considéré, car on ne s’ennuie pas au fil de cette lecture. Cependant, pour ma part, j’ai eu du mal à m’enthousiasmer pour celle-ci. Il faut dire que je suis peu encline à apprécier les histoires de gangster et de mafia. Ce qui m’a décidée à me plonger dans cet opus, c’est le nom d’un auteur - Dennis Lehane – que j’apprécie.

                Certes, Dennis Lehane ne se contente pas d’aligner les scènes d’action où les parrains et les gangsters se jaugent, se toisent, se balancent des vannes bien sèches avant de s’envoyer du calibre 32 dans le bidon. Comme à son habitude, l’auteur mêle à son intrigue de grands sentiments : même si les gangsters, dans l’ensemble, baignent dans la violence, Joe n’aime pas tuer. Il est loyal en amitié : même si Dion, son ami et complice de toujours, l’a dénoncé lors du guet-apens tendu par Albert White, il lui pardonne et le couvre : bien lui en a pris ! Dion lui renverra l’ascenseur. Par ailleurs, Joe est aussi un sentimental : il est, dans un premier temps, très amoureux d’Emma, avant de trouver le bonheur auprès de Graciella. Cependant, le souffle de ces grands sentiments n’anime pas l’intrigue qui reste crispée sur le stéréotype de ce qui ce passe dans le grand banditisme américain des années 30, stéréotype constitué en grande partie de scènes de fusillades entre bandes rivales dans des hôtels et des tripots dédiés à la contrebande de rhum.

Par ailleurs, ce milieu du crime est assez hermétique : les personnages sont nombreux, pactisent et trahissent. Il faut suivre ce défilé de noms de gangsters d’origine italienne – bien entendu : sicilienne de préférence  – cubaine, espagnole, etc… Par ailleurs, je ne comprends pas toujours les ressorts qui animent tout ce petit monde : pourquoi fait-on allégeance à tel caïd plutôt qu’à un autre ? Comment Albert White a-t-il perdu sa prépondérance dans le milieu et pourquoi est-il malgré tout toujours en vie ?

                Par ailleurs, certes, Dennis Lehane a sans doute cherché à constituer une fresque marquée par le contexte historique : la prohibition, la montée du Ku Klux Klan, celle d’Hitler en Europe, mais là encore, le souffle historique n’y est pas et le roman est très superficiellement irrigué par la problématique historique.

                Enfin, il me semble que la fin du roman soit totalement ratée car Dennis Lehane termine en queue de poisson. En effet, il s’avère qu’Emma, le premier grand amour de Joe, est toujours vivante et notre héros la retrouve, un jour pour une explication totalement inutile et parachutée au cours de laquelle Emma déclare froidement à son ancien amant qu’elle ne l’a jamais vraiment aimé, que c’est elle qui lui a piqué le fric qu’il avait mis en réserve, que c’était quand même sympa, et que s’il veut… pourquoi pas tout recommencer ? Mais Joe est désormais amoureux ailleurs et père de famille ! Par ailleurs, on ne comprend pas pourquoi Irving Figgis réapparait pour ce guet-apens final, des années après le suicide de sa fille, afin de tuer Graciella avant de se jeter lui-même sous les roues d’un camion. Disons que Dennis Lehane rallonge la sauce du mélodramatique et refuse de laisser Joe terminer sa vie de gangster dans le bonheur d’une famille rangée. Quant à la morale de l’histoire, elle n’apparait qu’à la fin du roman, de manière parachutée et ne constitue en aucun cas un élément qui s’imposerait de manière logique et évidemment induite par le récit. Par ailleurs, elle est tout à fait contestable : « Depuis le début des temps, l’argent sale permettait d’accomplir de bonnes choses ». Et il est vrai qu’à la fin, Joe apparait comme le bon samaritain de La Havane : il s’occupe des enfants défavorisés, il construit, pour eux, des terrains de base-ball. Passons sur cette fin assez consensuelle et peu inspirée.

Bref, on l’aura compris, Ils vivent la nuit n’est certainement pas le meilleur roman écrit par Dennis Lehane. Il se laisse cependant lire avec un certain plaisir et comblera sans doute les amateurs de scènes d’action. Mais on est loin de toucher au chef d’œuvre, même si, visiblement, Dennis Lehane, lorsqu’il a écrit ce roman, s’est inspiré de certaines scènes du chef d’œuvre de Sergio Leone : Il était une fois en Amérique. Là où la mort d’un des héros du film - qui se jette dans la benne d’un camion poubelle - nous fait trembler d’émotion et d’horreur, celle d’Irving Figgis qui se jette sous les roues d’un camion nous interpelle par son incongruité et son ridicule achevé.

 



22/04/2019
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