LECTURES VAGABONDES

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Denis Diderot : La religieuse / On en remangerait bien !

         

   Eh non ! Je ne vais pas vous parler aujourd’hui de cette délicieuse pâtisserie – la religieuse - qui pourrait bien en convertir plus d’un !  La religieuse que je vous propose de goûter est beaucoup plus diététique puisqu’il s’agit du roman écrit par Denis Diderot ; il paraît en 1796. 

 

             Suzanne Simonin, qui vient de s’évader du couvent de Saint-Eutrope, demande aide au marquis de C***. Pour l’attendrir, elle écrit un témoignage sur les sévices qu’elle a subis dans les différents couvents qu’elle a fréquentés. Elle intègre donc un premier couvent - Sainte-Marie - contre son gré. Là, elle fait son noviciat dans des conditions relativement confortables, conditions destinées à l’attendrir et à l’amener à prononcer ses vœux sans réticences. Pourtant, la jeune fille, qui ne se sent pas appelée par la vie de religieuse enfermée dans un couvent, déclare haut et fort, lorsqu’il est temps pour elle d’entrer définitivement dans les ordres, qu’elle s’y refuse. Elle rentre donc dans sa famille qui l’enferme dans sa chambre afin de briser sa volonté. Un jour, sa mère lu explique pourquoi elle subit un traitement différent de celui de ses sœurs qui sont dotées et mariées. En réalité, Suzanne est le fruit d’une faute maternelle et son père ne l’a jamais vraiment acceptée comme sa fille. Voilà pourquoi sa mère lui demande de racheter sa faute par une vie d’expiation dans un couvent. Elue, Suzanne finit par accepter ce destin qui ne lui convient pourtant pas. Elle entre au couvent de Longchamp. Dans un premier temps, elle mène une vie assez douce auprès de la mère de Moni, femme admirable et douce. Mais lorsque celle-ci décède et que la sœur Sainte Christine prend sa place, les choses changent pour Suzanne qui ne cesse de rappeler la sœur de Moni, s’attirant par-là la haine de la nouvelle supérieure. S’ensuivent alors des jours et des mois de mauvais traitements ; Suzanne est contrainte au jeûne, aux brimades, à l’enfermement dans un cachot. Elle songe même à se suicider. Cependant, elle trouve de l’aide en la personne de sœur Ursule qui tente d’adoucir comme elle le peut son malheureux sort. Avec sa complicité de celle-ci, elle rédige un mémoire qu’elle envoie à l’avocat monsieur Manouri, mémoire dans lequel elle dépeint son atroce quotidien. Un procès a lieu, procès qu’elle perd ; cette action lui vaudra une surenchère de mauvais traitements.  Cependant, l’avocat Manouri obtient le transfert de Suzanne vers un autre couvent : Saint-Eutrope, près d’Arpajon. Là, elle tombe sous la coupe de la supérieure, sœur *** qui tombe amoureuse d’elle. Suzanne devient donc sa favorite tandis que sœur Thérèse, la précédente favorite, tombe en disgrâce et se livre au plus noir des désespoirs. Cependant, la sœur *** procède à des caresses et des attouchements qui lui procurent le plaisir physique. Suzanne, innocente, ne voit pas le mal qu’il pourrait y avoir dans ces pratiques, jusqu’au jour où elle se confesse au père Le Moine qui lui laisse entendre que le comportement de la sœur *** n’est pas très catholique. Suzanne met donc désormais des distances entre elle et sa supérieure. Plus tard, le nouveau directeur, avec lequel Suzanne établit une certaine complicité – car lui-même est entré dans les ordres contraint et forcé - l’éclaire tout à fait sur les pratiques lesbiennes dont elle a été victime, ce qui provoque l’effroi. De son côté, la sœur ***, désespérée par sa rupture d’avec Suzanne, devient folle et meurt. Le directeur aide Suzanne à s’évader du couvent. S’ensuit une vie aventureuse ; Suzanne est contrainte de se cacher et doit louvoyer pour ne pas tomber entre les griffes de personnes mal intentionnées.

 

             Si La religieuse est un classique de la littérature, si l’œuvre est très célèbre, on connaît moins la genèse de ce roman. Pour le coup, elle mérite qu’on la mentionne. Au départ, il s’agissait, pour Diderot et son ami Grimm, d’une sorte de farce destinée à un ami, le marquis de Croismare. En effet, l’homme a quitté Paris pour la province et souhaite s’y établir. Pour le faire revenir sur cette décision et afin qu’il revienne à Paris, Grimm et Diderot lui envoient une lettre contrefaite : il s’agit d’une lettre dans laquelle une religieuse lui demande de l’aider à échapper au couvent dans lequel elle se morfond. Une correspondance imaginaire s’établit entre le marquis et la religieuse, correspondance derrière laquelle se cachent Grimm et Diderot. Par la suite, Diderot a l’idée de transformer ces lettres en un récit-témoignage qui donnera lieu à La religieuse.

             Bien évidemment, La religieuse comporte une attaque en règle contre les couvents et leurs principes. Pour cela, Diderot immerge le lecteur dans un couvent et l’invite à découvrir ses mœurs particulières qui sont présentées de manière graduée. On commence par l’hypocrisie qui règne dans le premier couvent dans lequel Suzanne entre, puis, dans le second couvent, notre nonne est victime de sévères maltraitances, enfin, son séjour dans le troisième couvent lui fera découvrir toutes sortes de dérèglements affectifs et sexuels.

             De manière générale, l’atmosphère qui caractérise tous ces couvents est pesante, faite de bruits étouffés et de messes basses. Dans les couloirs vont et viennent des bruits de pas, de clés qui tournent dans des serrures, de chuchotements imperceptibles. 

             Finissons avec le portrait de notre héroïne, Suzanne Simonin. Elle paraît être une jeune fille sensible, qui sait utiliser la corde sensible pour susciter l’attention du marquis de C***. Elle est marquée au fer rouge de manière injuste puisqu’elle est une enfant adultérine, par conséquent non désirée. Jamais son père ne l’adoptera vraiment dans son cœur. Quant à sa mère, elle cherche par tous les moyens – surtout celui de l’enfermement dans un couvent – à se décharger de ce fruit du péché qui entache sa vie. Pauvre Suzanne ! Cependant, elle est aussi très naïve et cette naïveté explose lorsque, dans le dernier couvent où elle résidera, elle subira les tendresses lesbiennes de la supérieure. Face à la manifestation de l’orgasme, elle songe à une bizarre maladie. Cette réaction de Suzanne nous fait bien rire et on ne sait si cet effet comique est volontaire de la part de Denis Diderot. Il faut dire que le roman compte un nombre incroyable de scènes pathétiques ; ainsi, rire un peu nous fait du bien.

             Certes, le roman de Denis Diderot ne donne pas envie au lecteur d’entrer en religion. Cependant, cette religieuse est vraiment délicieuse et vaut bien la célèbre pâtisserie. Miam !



24/11/2024
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