LECTURES VAGABONDES

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Delphine de Vigan : D’après une histoire vraie / Que d’histoires !

         

            C’est avec un grand plaisir que j’ai retrouvé l’écrivaine Delphine de Vigan pour un roman quelque peu étrange et dérangeant qui s’intitule D’après une histoire vraie. Notre auteure a publié cette œuvre en 2015 aux éditions Jean-Claude Lattès et a obtenu, pour celle-ci, le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens. 

 

          Delphine est écrivaine. Cependant, après la parution de son dernier roman couronné de succès, c’est la panne sèche. Delphine ressent même de la phobie à l’idée d’écrire. C’est dans ce moment de sa vie d’auteure qu’elle rencontre une mystérieuse jeune femme qu’elle nomme L. Très vite, celle-ci s’incruste dans la vie de Delphine allant même jusqu’à lui prodiguer des conseils (qui ressemblent bien à des ordres) en ce qui concerne le sujet de son prochain roman. L est partisane du vrai, du réel comme matière première au roman tandis que Delphine se sent davantage attirée vers la fiction. De manière étrange, l’auteure reçoit des lettres anonymes insultantes. Tandis que notre héroïne sombre de plus en plus dans la dépression, L s’insinue dans sa vie, allant même parfois par prendre sa place dans des événements littéraires tels que la visite de l’écrivaine dans un lycée. Un jour, Delphine découvre que L a envoyé à toutes ses amies un message leur demandant de la laisser tranquille pour l’instant, raison pour laquelle la jeune femme a la sensation de s’isoler de plus en plus. A la suite de cette découverte, les deux jeunes femmes cessent de se voir pendant un certain temps. Mais suite à une chute dans les escaliers – qui se conclut par un pied cassé - L réapparait dans la vie de Delphine. Ensemble, elles se rendent à Courseilles, à la campagne, pour se reposer et travailler. Là, Delphine se met à enregistrer en cachette les confidences que lui fait L sur sa vie intime et personnelle. Son objectif, c’est de se servir de cette matière pour son prochain roman. Cependant, au fil des jours, elle se sent de moins en moins bien et découvre que L est en train de l’empoisonner pour mieux la séquestrer et disposer d’elle. A bout de forces, elle réussit néanmoins à quitter la maison et se retrouve à l’hôpital où elle se fait soigner. Cependant, L a disparu et personne ne croit à l’histoire de Delphine car personne n’a jamais rencontré L. Malgré les recherches qu’elle mène pour retrouver la mystérieuse femme qui l’a tant aidée et tant détruite, Delphine doit se rendre à l’évidence : L semble n’avoir jamais existé, L s’est totalement volatilisée. Bien plus, les confidences qu’L lui a faites semblent avoir été tirées de différents romans présents dans sa bibliothèque. Qui donc est L ? Est-elle un personnage réel ou fictif ? Un double de Delphine ?

 

          D’après une histoire vraie s’avère être un roman polyforme qui, sous des apparences anodines, mène le lecteur à une réflexion sur le processus de création littéraire.

          Tout commence comme une simple histoire d’amitié qui très vite devient un peu étrange : une jeune femme, que la narratrice, Delphine, nomme L, semble vouloir tout gérer de la vie de cette dernière et la soumettre à son emprise. Ainsi, le roman peut-il se lire comme un thriller qui ressemblerait au célèbre roman de Stephen King : Misery ; d’ailleurs des citations tirées de ce roman sont présentes dans les en-têtes des parties de D’après une histoire vraie. Après une période pendant laquelle L est très gentille avec Delphine, celle-ci prend de plus en plus d’importance dans la vie de l’écrivaine, jusqu’à vouloir décider de la teneur du nouveau roman qu’elle tente d’écrire, jusqu’à finir par la séquestrer et l’amoindrir pour mieux la maîtriser.

          Cependant, peu à peu, le mystère s’installe autour du personnage de L et au fur et à mesure des pages, ce dernier devient de moins en moins réel et suscite le questionnement du lecteur. En effet, cette dernière est toujours présente au bon moment dans la vie de L pour la tirer d’embarras. C’est ainsi qu’elle prend sa place lors d’événements extérieurs auxquels Delphine se sent incapable de se rendre. Le clou du spectacle, c’est lorsqu’après plusieurs semaines de séparation, L se trouve dans la cage d’escalier de l’immeuble où habite Delphine et la prend sous son aile juste au moment où elle tombe et se fracture le pied.

       Ainsi, L prend des dimensions de personnage fictif et prend l’apparence d’une sorte de double de l’écrivain ; elle est cette part de l’écrivain qui le pousse à écrire, qui le pousse à donner le meilleur de lui-même ; elle est sa muse. D’après une histoire vraie, c’est donc davantage un roman et une réflexion sur les démons qui hantent l’écrivain, la schizophrénie dont il peut devenir la proie, les personnages qui le hantent et l'habitent avant de prendre vie sur papier. Car depuis la grande phrase de Flaubert – « Madame Bovary, c’est moi » - on a tous mieux conscience de fla part cannibale que les personnages entretiennent avec leur créateur : l’écrivain. Ils sont tous fabriqués dans la chair de ce dernier et en sont un double à la fois indépendant et profondément semblable.

          Du coup, Delphine de Vigan en profite pour confronter deux approches du genre romanesque. La première, soutenue par l’écrivaine Delphine, c’est que la fiction doit nourrir le roman ; la seconde, soutenue par L, c’est que c’est le réel et la vérité qui doit être le socle de toute œuvre littéraire.

          Ainsi, le roman s’avère-t-il troublant et mystérieux car dès le départ, le lecteur lit D’après une histoire vraie comme une pure œuvre d’autofiction – voire même autobiographique – dans laquelle Delphine de Vigan raconte une période de sa vie particulière. Après un dernier roman à succès particulièrement remarqué, l’écrivaine est en proie au syndrome de la page blanche. Ainsi, D’après une histoire vraie se nourrit du vrai, de la réalité de la vie de l’auteure  Delphine de Vigan : les références à ses romans antérieurs sont nombreuses, les allusions à son compagnons, François Busnel -  ancien présentateur de la grande libraire sur France 5 – sont également très présentes.

          Pourtant, L, cette amie rencontrée lors d’une soirée littéraire, a-t-elle vraiment existé ? N’est-elle pas la manifestation de la dépression dont est victime Delphine de Vigan après la parution de son dernier roman, lorsqu’elle est la proie du syndrome de la page blanche ? Car il est vrai que Delphine de Vigan ne cache pas l’état de la narratrice Delphine – qui, pour sûr, relève du vécu de l’auteure. Peu à peu, elle sombre dans la dépression et c’est L qui va l’aider à remonter la pente, qui l’assiste dans ses moments de profonde faiblesse.

          En réalité, Delphine de Vigan semble bien vouloir décrire le processus de création littéraire : L est le personnage, qui la hante, l’inspire et la fait souffrir jusqu’au moment de la délivrance, de l’accouchement : L devient un personnage fictif indépendant de son créateur.    

        Cependant, fine mouche, Delphine de Vigan continue jusqu’à la dernière page à semer le doute : si personne dans son entourage ne connait L, si tout le monde doute de son existence réelle, (ce qui tend à penser que L est le fruit pur de l’imagination de l’auteure), Delphine, de son côté, est persuadée de son existence et la recherche. Bien plus, elle attend et scrute son retour à chaque minute de sa vie. Car, pour Delphine, L est réelle. Elle est à la fois son amie et son ennemie ; celle qui l’inspire et la conseille et celle qui se nourrit d’elle. D’ailleurs, le nom qu’elle a donné à son personnage, L, fait penser à une véritable personne dont, par discrétion, on cache l’identité. L, c’est aussi « elle », pronom personnel utilisé par l’écrivain pour qualifier un personnage de roman.

          Quel plaisir donc, de retrouver Delphine de Vigan dans un si beau et fort roman ! D’après une histoire vraie, c’est une sacrée histoire qui prend la tête et finit par donner le vertige car si Delphine de Vigan y décrit les mécanismes de la création littéraire et si elle joue avec ses caractéristiques, elle entraine aussi avec son lecteur dans une sacrée partie de cache-cache et livre un roman qui, sous des dehors autobiographiques, est très mystérieux, voire même pudique. En tout cas, j’ai bien eu l’impression que l’histoire de D’après une histoire vraie m’échappait totalement !

 



29/01/2023
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