LECTURES VAGABONDES

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Collectif inculte : une chic fille / un roman pour le fric… pas chic du tout.


Anna Nicole Smith est morte le 8 février 2007 d'une overdose de médicaments. A l'époque, sa tragique histoire de bimbo peroxydée en totale dérive avait déchainé les passions… Aujourd'hui, on n'entend plus guère parler d'Anna Nicole Smith. En 2008, un an après sa mort, le collectif inculte publiait aux éditions Naïve ce petit roman librement inspiré de sa vie : une chic fille.

Anna Nicole Smith naît en 1968 dans un milieu plus que modeste, au Texas, près de Houston. Elle vit avec sa mère dans un mobile home ; son père a quitté le domicile conjugal. Fille assez délurée, elle commence une carrière de strip-teaseuse dans des boîtes minables, puis se retrouve en page centrale de play-boy. Sa plastique de bimbo aux gros seins refaits est l'objet de fantasmes de nombreux hommes : un vieillard milliardaire tombe amoureux d'elle, l'épouse et meurt un an plus tard, laissant Anna Nicole Smith à la tête d'une immense fortune. La jeune femme part alors à la dérive : elle mange beaucoup, passe son temps à dormir. Elle refera surface pendant quelques années à l'occasion d'une émission de téléréalité : the Anna Nicole Smith show. Puis c'est à nouveau la descente aux enfers ; sans rémission, cette fois-ci : Anna Nicole Smith décède d'une overdose de médicaments, quelques mois après son fils Daniel. Voici, en quelques lignes, la vie de la starlette telle qu'on a pu la voir dans les émissions people ; on n'en apprend guère plus – voire même beaucoup moins - dans Une chic fille qui n'a pas véritablement pour but de proposer une biographie d'Anna Nicole Smith, mais bien plutôt de tracer un portrait diffracté d'une icône préfabriquée à travers différents témoignages de personnes qui l'ont approchée de loin ou de près. 

Portrait bien flou, en réalité, et qui finalement ne correspond à rien de bien défini : on est face à une suite de petits textes écrits par différents auteurs qui ne se sont certainement pas concertés pour homogénéiser l'ensemble, ni penchés avec beaucoup d'intérêt sur la pauvre Vickie Lynn (Anna Nicole Smith). On commence en 1969, avec le témoignage du père de la starlette qui envisage de quitter sa femme et sa fille, puis on passe très vite en 1975 avec le témoignage d'un camarade de classe qui adore la petite fille pleine de vie qu'est Vickie Lynn, viennent ensuite les années 80… Bref : même si ce roman se veut être une approche polyphonique d'Anna Nicole Smith, il aurait fallu quand même proposer un peu plus de points de vue divers sur une même période ! Que de trous dans cette malheureuse vie ! Beaucoup trop de trous pour parvenir à ce fameux « portrait diffracté » que la quatrième de couverture nous vante. Je cite : « Pratiquant le décadrage et l'esthétique pop, s'appropriant cette Marilyn Monroe trash, cherchant à rendre corps à cette nana de l'ère Botox, le collectif inculte dessine ainsi le portrait diffracté d'une chic fille, ambitieuse et candide, modèle paradoxal d'une certaine Amérique mythique et mythomane ». Désolée de dire qu'aucun corps n'est rendu à Anna Nicole Smith dans ce roman beaucoup trop fluet et décousu… Par ailleurs : «portrait d'une chic fille, ambitieuse et candide »… objectif totalement hors de portée de l'œuvre si on songe à son concept de base qui ne donne jamais la parole à Anna Nicole Smith.

De plus, nombreux sont les témoignages totalement fictifs, et totalement inutiles ! Quel est l'intérêt, par exemple, de ces pages qui décrivent les émois de tous les messieurs Dushchmoll qui se sont masturbés devant la page centrale de playboy ? On sait tous ce que font les messieurs qui achètent des revues de femmes à poil (Anna Nicole Smith ou une autre). Bref, on termine la lecture de ce roman en se disant qu'Anna Nicole Smith a déchainé les fantasmes de certains hommes, les jalousies de certaines femmes, la convoitise, la pitié, l'admiration… tout dépend de la personne qui témoigne. Finalement, ça nous fait une belle jambe, tous ces témoignages sans suite, et on se demande quel est l'intérêt de cette œuvre sinon celui d'apporter du fric à la dizaine d'auteurs qui en ont rédigé un bout chacun dans un coin, laissant à la maison d'édition le soin de rassembler, puis de publier vite fait - tant que la starlette faisait encore vendre du papier - des textes qui ne sont sans doute pas mal écrits, mais qui, mis ensemble, ne donnent rien de bien consistant ni de très profond. Bref, ce roman a l'ambition de faire de l'intello là où les tabloïds font du racolage… mais finalement, il fait bien pire que les journaux à scandale : du racolage déguisé en littérature avec un mépris total d'Anna Nicole Smith. Je suis désolée de dire que les tabloïds que j'ai pu lire sur Anna Nicole Smith l'ont traitée avec moins de superficialité et par conséquent, plus de « respect ».

Quant au portrait de la fameuse « Amérique mythique et mythomane » qu'incarnerait Anna Nicole Smith, on le cherche toujours : d'ailleurs, j'ai du mal à comprendre à quoi renvoie cette allusion, exactement. Qu'Anna Nicole Smith soit un personnage totalement siliconé, une poupée à fantasme, un objet qu'on exhibe et qu'on achète, il n'y a là aucun doute… Comment s'est-elle fabriquée ? Qui l'a fabriquée ? On ne sait pas… Alors, que vient faire l'Amérique du tout business là-dedans ? Non, désolée de dire qu'aucune des promesses de la quatrième de couverture n'est tenue.

Soyons un peu cohérents : soit, on fait le portrait d'une chic fille et alors, on s'intéresse vraiment à elle, à son enfance déglinguée, à son ambition de devenir riche et célèbre à tout prix, à son caractère trop fragile pour assumer la gloire et la critique, etc… Soit on s'intéresse à la poupée de papier glacée et on montre comment elle s'est fabriquée (on s'intéresse alors à la dimension socio-économique des personnages de bimbos), soit on fait d'elle un portrait diffracté, en polyphonie… ce qui veut dire qu'à la fin du livre, le lecteur a envie de se dire autre chose que « Anna Nicole Smith, c'était à la fois, une salope, une pauvre fille, une capricieuse, une bombe, un tiroir-caisse, etc… » La polyphonie doit avoir un cœur de cible cohérent (désolée, mais lorsqu'on écoute un chant polyphonique, on n'entend pas de la cacophonie). Dans le cas d'une chic fille, on a bien plutôt l'impression que la polyphonie est une cacophonie de textes écrits sans aucune colonne vertébrale qui orchestrerait le tout. Des écrivains (François Bégaudeau, Arno Bertinat, Maylis de Kerangal, Hélène Gaudy, Marie Hermann… Je ne cite pas tout le collectif inculte, car il n'en vaut certes pas la peine), ont écrit sur Anna Nicole Smith, des textes vagues et sans intérêt, en prenant le parti du témoignage bidon, ce qui leur permet de dire à peu près tout et n'importe quoi sans se mouiller, sans prendre de risques.

Je suis assez écœurée de constater à quel point on peut mépriser ces femmes fragiles, qui dérivent toute leur vie : en France, nous avons eu le cas encore plus pathétique de Lolo Ferrari. Lorsqu'à la fin de sa vie, je l'ai vue se traîner sur des plateaux télé, se faire peloter par le public comme un animal de foire… Oui, j'ai eu pitié d'elle. Je ne comprends pas comment on peut en arriver là, et c'est justement pour cette raison que l'itinéraire de ces femmes a de l'intérêt… je comprends aussi à quel point il est difficile de faire de la bonne littérature avec des sujets considérés comme racoleurs… Dernièrement, le film Vénus noire de Kechiche a osé relever le pari en montrant la vie de Saartjie Bartmann, jeune femme d'ethnie Khoisan, exhibée dans les cirques et les salons libertins. Ce film est assez exceptionnel car il met le spectateur devant tous ses fantasmes voyeuristes les plus bas et le force à s'autocritiquer un peu.

Je ne dis pas que je suis irréprochable à ce niveau, loin s'en faut : comme tout le monde, je regarde la télé ; la télé, c'est la grande boîte noire qui permet aux gens de passer toutes leurs humeurs sans aucune conséquence, alors, je fais comme beaucoup : le grand zapping des humeurs : je fantasme sur Ali Baddou puis sur Nikos Aliagas, je m'écœure des méchants pédophiles qui violent les enfants, je crache sur Nicolas Sarkozy qui m'insupporte au plus haut point, je m'amuse bêtement des malheurs des autres, je m'émeus des destins tragiques : Dalida, Romy Schneider, mais aussi Lolo Ferrari ou Anna Nicole Smith ; peut-être que le créneau marketing de ces deux dernières stars était moins classe que celui de Mike Brandt, ou de Maria Callas, pourtant, leur personne est aussi digne de respect qu'une autre et je souhaite qu'un jour, on regarde autrement des femmes comme Loana qui file un sacré mauvais coton, mais dont tout le monde – même Laurent Ruquier qui décidément est parfois aussi mauvais que Stéphane Guillon – se gausse en la traitant de grosse vache….

En attendant, je déconseille la lecture d'Une chic fille, roman inutile et au but inavoué : se faire autant de fric facile que les tabloïds avec une surtout pauvre fille totalement paumée qui n'a jamais été aimée, et qui n'a jamais su s'aimer.



14/06/2011
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