LECTURES VAGABONDES

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Claire Fuller : L’été des oranges amères / Un été sans amertume

     

    D’abord, j’ai été conquise par le titre de ce roman qui évoque l’été, la chaleur, mais aussi un drame puisque l’amertume y figure. Et puis, avec L’été des oranges amères, on remonte également le temps car la majeure partie de l’intrigue se situe en 1969. Claire Fuller nous invite donc à déguster L’été des oranges amères, un roman qui paraît en 2018 aux éditions Stock.

 

          Nous sommes en Angleterre, de nos jours. L’héroïne du roman, Frances Jellico, va bientôt mourir. Le vicaire Victor Wylde l’accompagne et recueille ses confidences. Retour en ce bel été 1969. Frances est missionnée par le propriétaire du domaine de Lyntons, domaine situé dans la campagne anglaise, pour faire l’inventaire des lieux. Vu la grandeur de la propriété – jalonnée de plusieurs bâtiments passablement délabrés - Frances est obligée d’y séjourner. Elle y rencontre Peter et Cara - un couple déjà présent sur les lieux, avec lequel elle se lie bientôt d’amitié. Dans sa chambre, enserré dans le plancher, notre héroïne découvre un judas qui lui permet d’observer la salle de bain du couple, ce dont elle ne se prive pas. Cependant, Cara se confie à Frances et lui raconte sa vie, particulièrement son histoire avec Peter. Alors qu’elle fréquente un fermier du nom de Paddy, elle rencontre Peter, venu là pour prospecter la demeure dans laquelle elle vit avec sa mère. Bientôt, elle entame une liaison avec ce dernier qui est cependant marié. Bientôt également, elle se retrouve enceinte et met au monde un petit garçon, Finn. Selon Cara, son fils n’a pas de père et a été conçu par l’opération du Saint-Esprit, comme Jésus. Cependant, tandis que Cara voudrait aller vivre en Italie, Peter trouve du travail en Ecosse ; le couple prend donc le bateau pour rejoindre cet endroit. Malheureusement, le vieux rafiot coule et dans le naufrage, le petit Finn perd la vie. Dans le même temps, Frances se sent de plus en plus attirée par Peter et se rapproche de lui. Au fil de leurs conversations, Frances entend une toute autre version de l’histoire. D’abord, l’enfant Finn aurait été conçu avec Paddy, le premier fiancé de Cara. La mort du bébé aurait été accidentelle. Alors qu’ils étaient en route pour l’Italie, un soir d’ivresse, Cara a pris un bain avec le bébé qui se serait noyé dans l’eau du bain. Cependant, les trois amis s’entendent plutôt bien et vident la cave de la propriété de Lyntons. Ils ont par ailleurs trouvé, derrière l’orangerie, une pièce secrète – le Musée – qui regorge d’objets magnifiques. Peter et Cara se font, avec des meubles et objets pris dans le fameux musée, une pièce de vie fantastique. Par ailleurs, Peter vend certains objets afin de mener une vie confortable et insouciante. Jalouse, Frances avertit le propriétaire, monsieur Liebermann, de ces rapines en tous genres qui ont lieu dans son domaine. Désormais, les jours heureux sont comptés. Cependant, Frances est de plus en plus amoureuse de Peter et est convaincue que ce désir est partagé. Or, lorsqu’elle tente de l’embrasser, Peter la repousse et argue d’un malentendu. Le drame aura lieu quelques heures plus tard. Cara est en train d’assassiner Peter dans la salle de bain. Affolée, Frances accourt pour sauver ce dernier mais se heurte à Cara qui, accidentellement, tombe par la fenêtre. En ce qui concerne Peter, il est trop tard. C’est alors que nous découvrons que Frances attend la mort… en prison. Retour sur le procès qui a condamné Frances : le verdict a été formel : coupable de double homicide. Par ailleurs, à demi-mot, avant sa mort, Frances avoue au vicaire Victor Wylde qu’elle a aussi assassiné sa mère.

 

          Avec L’été des oranges amères, Claire Fuller signe un thriller psychologique plutôt réussi.

       Tout d’abord, il faut bien reconnaître que l’atmosphère étrange de ce lieu atypique et coupé du reste du monde est assez bien restituée. Nous sommes dans une très vieille propriété, autrefois luxueuse, mais qui désormais tombe en décrépitude. Certes, elle est composée de restes prestigieux, par exemple, un vieux pont ou encore le Musée, pièce extraordinaire qui se situe derrière l’orangerie et qui recèle des trésors, meubles et objets en tous genres. Dans cette propriété hors du temps se joue un huis-clos mené sur un ton au départ assez léger et insouciant, mais qui, au fur et à mesure des pages, devient étouffant. Car au départ, les personnages semblent bien s’entendre, mais cette entente s’effrite bientôt car et laisse apparaître des non-dits, des malentendus, des désirs enfouis. En effet, par l’œilleton qu’elle a découvert dans le plancher de sa chambre, Frances observe la salle de bain de Peter et Cara se rend compte que le couple qu’ils forment n’est peut-être pas aussi fusionnel qu’il parait ; entre eux, des fêlures se ressentent. Cependant, le lecteur a bientôt l’impression que Frances et Peter tombent peu à peu amoureux l’un de l’autre. Il faut dire que Cara semble bien peu équilibrée et que notre homme aurait peut-être bien besoin d’être réconforté par une femme moins tordue et plus claire.

        En effet, le mystère autour de Cara ne cesse de s’épaissir. La jeune femme raconte des histoires à dormir debout – par exemple, elle raconte que l’enfant qu’elle a mis au monde aurait été conçu par le Saint-Esprit ! Par ailleurs, si on confronte la version de Cara et celle de Peter, on se rend compte qu’il y a un problème : les deux versions du même fait sont sensiblement différentes. Cependant, on comprend que Cara est un personnage torturé, sans doute, par la mort de son enfant. Par ailleurs, elle a l’esprit confus, farci de religion et de merveilleux. De temps à autre, elle a des réactions imprévisibles et violentes, comme lorsque, par exemple, elle est face à un animal mort.

       Et puis, de manière insidieuse, au départ, puis de manière brutale et assez inattendue, on se rend compte qu’en réalité, c’est Frances qui est dérangée. Elle a d’abord des réactions de jalousie étranges ou encore des fantasmes érotomanes. Par exemple, lorsqu’elle voit, depuis l’œilleton, Peter se masturber dans son bain, elle est persuadée qu’il sait qu’il est regardé et que c’est une manière de lui avouer son désir. Et puis, à la fin, elle devient une meurtrière. Déçue par l’attitude de Peter qui rejette ses avances, elle l’aurait tué avant de s’en prendre à Cara. Certes, au moment des faits, on a l’impression que c’est Cara qui est prise de folie meurtrière, mais la scène est racontée du point de vue de Frances qui est alors en plein délire, en plein déni. Cependant, on découvre alors que Frances a vécu le reste de sa vie en prison, condamnée pour meurtre. Le lecteur en tirera les conclusions ad hoc.

       Ainsi, c’est lentement et habilement que Claire Fuller installe les éléments de ce thriller psychologique étonnant. L’ensemble est cependant assez lent, mais cette lenteur est nécessaire pour bien nouer et installer des relations entre les personnages qui progressivement deviennent vénéneuses et mortifères. Et je dois bien dire que je me suis laissée envouter par L’été des oranges amères.



24/06/2024
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