LECTURES VAGABONDES

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Bernard Minier : Sœurs / Bonnes sœurs

     

             S’il est vrai que le principal concurrent de Franck Thilliez en matière de thriller noir, c’est Bernard Minier, il faut s’attendre à passer un bon moment de lecture avec le roman que ce dernier a fait paraître en 2018 aux éditions XO et qui s’intitule Sœurs.  

 

          Nous sommes en 1993, dans une forêt proche de La Garonne. Deux sœurs, Ambre et Alice Oesterman sont retrouvées assassinées, liées à un arbre, dans une mise en scène macabre rappelant le scénario d’un roman du célèbre auteur de romans noirs : Erik Lang. Le roman en question, c’est La Communiante. Ainsi Ambre et Alice sont-elles retrouvées vêtues d’une aube de communiante ; Alice, de plus, porte autour du cou une croix en bois qui semble avoir été ôtée du cou d’Ambre. Alors tout jeune flic – il s’agit de sa première enquête – Martin Servaz et son chef de l’époque – Léo Kowalski – s’emparent de l’affaire. Bien sûr, ils questionnent fermement l’auteur de romans noirs Erik Lang car les deux jeunes filles correspondaient avec lui et étaient de grandes fans de ses œuvres. Cependant, un étudiant nommé Cédric Dhombres, est retrouvé pendu – il s’est suicidé – et, dans une lettre manuscrite signée de son nom, avoue être le meurtrier des deux jeunes filles. Lang est relâché et l’affaire s’arrêtera là… pour l’instant ! Car plus de vingt ans plus tard, en 2018, c’est Amalia Lang, la femme de l’auteur, qui est retrouvée morte chez elle, en pleine nuit. Certes, elle a reçu un violent coup sur la nuque mais ce sont des morsures de serpents – les terrariums de Lang ont été ouverts et les serpents se sont répandus un peu partout – qui l’ont tuée. Lang est terrassé de chagrin mais sera quand même soupçonné : rien n’a été volé dans la maison, sauf le manuscrit du roman en cours d’écriture. Cependant, l’enquête révèle qu’il a une maîtresse, Zoë Fromenger et que la jeune femme est en contact avec Rémy Mandel, l’homme qui a dérobé le manuscrit. Cependant, l’enquête piétine. Alors, Servaz se lance dans la lecture de l’œuvre intégrale de Lang, persuadé qu’il découvrira quelque chose d’intéressant dans les différentes œuvres. C’est ainsi que Lang se retrouve une fois de plus en garde à vue… Au terme d’un interrogatoire alambiqué, il avoue avoir demandé à Cédric Dhombres de tuer Ambre et Alice car elles le faisaient chanter : en effet, quelques temps auparavant, il avait violé Ambre, l’aguicheuse sœur d’Alice, la prude. Quant à la suite… elle est surprenante et Erick Lang que son épouse, Amalia, n’est pas celle qu’il croyait ! En effet, une certaine Odile Lepage, amie des deux jeunes filles et leur ressemblant fortement physiquement, a disparu le même jour que les deux sœurs… Je ne révélerai pas la suite… car de cette intrigue fort complexe, j’ai déjà révélé beaucoup ! Cependant, le final, un peu déconcertant, mettra Martin aux prises avec le fan de Lang, Rémy Mandel, prêt à tuer le fils de notre héros, Gustav… L’irréparable sera commis, laissant en suspens la question de savoir si Servaz pourra poursuivre sa carrière de flic. La suite au prochain numéro !

 

             Encore une fois, Bernard Minier nous offre, avec Sœurs, un thriller prenant et bien ficelé.

           Le roman est construit en deux parties. La première correspond à un premier crime (deux sœurs sont retrouvées mortes, assassinées selon une mise en scène macabre), qui s’est passé en 1993. Cette partie permet au lecteur de découvrir le flic emblématique de Minier, Martin Servaz, jeune et alors à sa première enquête. Le meurtre implique un auteur de polars noirs : Erick Lang. La seconde partie relance l’affaire close en 1993. Cette fois-ci, c’est la femme d’Erick Lang qui a été assassinée et on retrouve, sur son cadavre, une aube de communiante, de la même manière qu’on a retrouvé les cadavres des deux sœurs vêtues de la sorte.

              Par ailleurs, le roman ménage un face-à-face assez réjouissant entre Erick Lang, l’auteur de romans policiers (un ersatz de l’auteur Bernard Minier lui-même) et les autres personnages du roman, notamment, le flic fétiche de l’auteur, Martin Servaz. Mais quel portrait Minier dresse-t-il de cet écrivain qui est aussi un peu lui-même ?

          Erick Lang, c’est un personnage que Minier manipule avec une joie manifeste. Il donne de lui un portrait variable ; au départ, l’écrivain est, somme toute, assez antipathique. En effet, c’est à un être plein de morgue, d’orgueil, doté d’un sentiment de toute puissance, narguant la police, qu’on a tout d’abord affaire. Cependant, Erick Lang, au fil des heures de sa garde à vue, se fragilise et finit par se faire tabasser par l’équipe de Léo Kowalski. Dans la seconde partie du roman, il est dévasté par la mort de son épouse. Mais bientôt, on lui découvre une maîtresse. Ensuite, plus l’étau se resserre autour de lui, plus il devient lâche et les découvertes qu’on fait à son sujet confirment cette lâcheté du personnage ; il a en effet, payé Cédric Dhombres pour tuer Ambre et Alice, les deux sœurs, parce qu’il n’a pas eu le cran de le faire lui-même ; pourquoi ce meurtre ? Parce qu’il a violé ambre et que les deux sœurs le font chanter. Par la suite, Lang semble totalement dépassé par les événements : on découvre qu’il a été, sans le savoir, totalement manipulé par son épouse Amalia. Ainsi, Minier s’amuse à emberlificoter le romancier – qui est, je le rappelle, sans doute un peu lui-même - dans un nœud de rebondissements et de révélations aussi rapides que radicaux. C’est ainsi qu’Ambre, personnage qui paraît pure et innocente dans la première partie, révèle sa face sombre dans la seconde partie. Non content de faire d’Erick Lang un personnage roulé dans la farine par son épouse, Bernard Minier s’amuse à le mettre entre les pattes d’un fan furieux et déterminé.

          En effet, le roman interroge aussi les relations parfois perverse et perverties que peuvent entretenir les écrivains et leurs fans. Malsaines relations qui peuvent déboucher sur l’irréparable.

          Enfin, Bernard Minier reste fidèle à sa méthode en ménageant un départ assez lent, destiné à mettre en place une enquête qui patine engluée dans une ambiance mystérieuse et macabre. Peu à peu, les choses s’accélèrent, les révélations s’enchainent entre fausses pistes et incroyables rebondissements, jusqu’à mettre à jour une machiavélique machination, mue par une implacable soif de vengeance. On adore !

          Je ne sais pas si Martin Servaz se remettra de l’enquête qu’il a menée dans Sœurs. En tout cas, moi, je vais m’en remettre à Minier pour découvrir bientôt à quelle sauce il a décidé de manger son flic préféré dans son prochain roman.   

 



02/04/2023
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