Catherine Servan-Schreiber : Louise et Juliette / Loulou et Juju s’en vont en guerre
Avec Louise et Juliette, roman écrit par Catherine Servan-Schreiber et paru en 2009 aux éditions Jean-Claude Lattès, nous plongeons au cœur des années sombres qui ont marqué la France : l’occupation et le régime de Vichy de 1939 à 1945.
Louise vit ses derniers jours. C’est l’occasion pour elle et pour sa sœur Juliette de replonger au cœur des années noires qui ont secoué la famille : 1939-1945. Louise est mariée à Charles, un juif. En 1939, à Paris, elle fait baptiser ses cinq enfants avant de filer avec toute sa famille à Rennes, où elle trouve refuge pour quelques jours chez sa sœur Juliette avant de partir pour son chalet à Megève en zone libre. Il faut dire que son beau-frère, Paul, le mari de sa sœur Juliette, participe bientôt au gouvernement de Vichy ; il est nommé préfet à Chartres, prenant ainsi la succession de Jean Moulin. Très vite, la kommandantur lui donne pour mission de traquer les juifs ou encore Jean Moulin ainsi que son beau-frère Charles. Paul accomplit sa mission avec zèle. De leur côté, Charles et Louise hébergent et placent des enfants juifs dans des familles savoyardes, se lancent dans la fabrication de faux-papiers. Mais plus la guerre avance, plus l’étau des dénonciations et des arrestations se referme. En 1942, la zone libre n’existe plus. Si Louise et Charles font appel de temps à autre à Paul, jamais ce dernier ne donne suite à leur demande. Voilà pourquoi Charles doit prendre la route vers l’Espagne, puis se retrouve à Alger. Leur fils Léonard prend le même chemin pour se retrouver aux Etats-Unis où il devient pilote de chasse. De son côté, Louise revient à Paris où elle se lance dans des actes de résistance. Puis vient le temps où l’Allemagne nazie bascule. Les alliés vont gagner. Alors Paul, le préfet de Vichy qu’on a surnommé le géant de la Beauce, est traduit en justice. Il sera condamné à mort. Mais d’appel en appel et grâce à l’appui de son beau-frère Charles, il sera libéré en 1954.
Ce roman de Catherine Servan-Schreiber n’est sans doute pas désagréable à lire, surtout pour celles et ceux qui aiment le genre saga façon Henri Troyat. En effet, Juliette et Louise peut faire penser au dernier tome de Les semailles et les moissons, tome intitulé La rencontre. Dans les deux romans, on a affaire à de petites gens qui vivent l’occupation allemande des années 40 comme ils peuvent et qui s’en accommodent ou pas selon leurs convictions. Cependant, Louise et Juliette, c’est du sous-Troyat.
Le roman raconte le destin de deux femmes que tout rapproche - elles sont sœurs ; elles s’aiment ; elles ont un passé commun - et que tout sépare – notamment leurs maris car l’un est juif tandis que l’autre est collabo. Louise se livre à des actes de résistances comme celui de sauver des enfants juifs ; Juliette est la femme entretenue d’un préfet collabo du régime de Vichy mais elle souffre de cette situation et soupçonne son mari du pire : la déportation de malheureux juifs. Cependant, il y a distorsion entre les deux héroïnes. Catherine Servan-Schreiber s’intéresse davantage à Louise qu’à Juliette. Il faut dire qu’au niveau de la reconstitution historique, le roman est très faible. Juliette est un personnage qui aurait pu être aussi intéressant, mais encore aurait-il fallu que l’auteure s’intéresse de près à l’histoire de la collaboration, à ses faits et gestes.
De toutes manières, le personnage de Louise n’est pas beaucoup plus fouillé. Certes, il prend plus de place, mais c’est parce que dans la vie d’une résistante, il y a plus d’aventures à inventer et à raconter : des traques de juifs dans la neige de Savoie, des faux papiers à fabriquer, des enfants à placer. Alors que Juliette n’est qu’une femme au foyer sur laquelle il y a très peu à dire, Louise est appréhendée par ses faits et gestes et non par sa personnalité qui est aussi mal dessinée que celle de sa sœur.
Par ailleurs, l’auteure raconte avec beaucoup de complaisance les petits bonheurs de la vie, même si on se situe en pleine seconde guerre mondiale. Ainsi évoque-t-elle toutes les choses plan-plan de la vie heureuse d’une famille, comme les anniversaires où on s’empiffre de bouffe malgré les tickets de rationnement. Bref, des histoires sans intérêt autre que celui de montrer que la famille résiste malgré les circonstances.
Pour le reste, le roman se contente bien souvent d’aligner une suite d’épisodes mouvementés et abracadabrantesques ; exemple : la fille de Louise, Emilie, en bonne descendante de résistants, vole les tampons encreurs de son oncle Paul à la préfecture pour fabriquer de faux-papiers. Cette situation est particulièrement inconcevable car la famille de Louise et celle de Juliette sont en froid ; mais peu importe ! Juliette accueille sa nièce – et son neveu- chez elle sans se méfier ! Autre exemple encore plus aberrant : Charles, le mari de Louise, est lié au grand Einstein – rien que ça ! - parce qu’avant la guerre, le journaliste a publié la dénonciation de l’Allemagne nazie que le physicien a rédigée avant de s’exiler aux USA. De l’autre côté, Paul, le préfet marié à Juliette, prend la succession d’un autre préfet autrement connu : Jean Moulin, rien que ça ! Décidément ! Je crois que Troyat n’aurait pas osé se lancer dans des détails aussi inconcevables et scabreux. Catherine Servan-Schreiber, elle, ose ! En réalité, notre auteure oscille entre la volonté de faire la chronique de gens ordinaires et celle de relater des faits extraordinaires.
Enfin, le roman souffre d’une construction bancale et contestable : il s’ouvre, en effet, sur une Louise en fin de vie. Ensuite, on retourne dans le passé de l’héroïne pendant l’occupation. A partir de là, le roman se déroule de manière chronologique. Enfin, il se termine par une ellipse car on passe de 1945 à 1954 pour la libération de Paul (encore une fois, situation abracadabrantesque vu qu’à la fin de la guerre, il a été condamné à mort mais encore faut-il une happy-end. Et ensuite ? Pourquoi avoir fait débuter le roman par la mort de Louise ? Souvent, on attend de ce genre de construction – basée au début sur une analepse - un retour sur la scène initiale afin de lui donner toute son ampleur, tout son poids. Ici, la première scène trône, inutile, en début de roman, totalement déconnectée du reste du roman.
Certes, ce roman de Catherine Servan-Schreiber n’est sans doute pas désagréable à lire, mais sans grand intérêt, il faut bien le dire. Il se nomme Louise et Juliette, mais aurait tout aussi bien pu s’intituler Sidonie et Pimprenelle ou Pan-Pan et Coin-Coin tant ces deux femmes sont insignifiantes et interchangeables.
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