LECTURES VAGABONDES

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Brady Udall : Le polygame solitaire / Solitude chez les mormons

           

    Me voilà repartie à la découverte de l’œuvre de Brady Udall. Après le très apprécié Le destin d’Harold Mint, voici le tout aussi génial Le polygame solitaire paru aux éditions Albin Michel en 2010.

 

                Nous sommes dans le Névada, aux États-Unis. Golden Richards, mormon polygame, a épousé quatre femmes dont il a 28 enfants. Pour gagner sa vie, il fait des chantiers. Le dernier en date se situe près d’un bordel et est commandité par le patron de ce dernier, Ted Léo ; il s’agit d’un nouveau bordel. Golden a posé sa caravane non loin du chantier et là, il fait la connaissance de Houila. Même s’il pense qu’elle est prostituée et travaille dans le bordel de Ted Léo, il tombe sous son charme. Cependant, rapidement, il découvre que Houila n’est autre que l’épouse de Ted. Comme on le voit, Golden n’est pas souvent chez lui, au grand dam de ses épouses, et particulièrement de la dernière en date, Trish. Celle-ci se lie avec June Haymacker, venu chez elle pour réparer la plomberie. Certes, l’homme est venu en compagnie de Rusty, fils de Rose de Saron, une autre épouse de Golden, actuellement hospitalisée pour dépression. Rusty, en l’absence de sa mère et de son père, est livré à lui-même et vadrouille à droite et à gauche faisant ainsi connaissance avec diverses personnes dont June, passionné par les fusées de feux d’artifice. Quant à Trish, si à un moment elle hésite et est tentée de tout laisser tomber pour partir avec June, elle y renonce finalement : Golden est rentré dans le droit chemin, et elle tombe enceinte… même si l’enfant n’est pas de lui, Golden l’accepte. Revenons à Golden. Amoureux de Houila, épouse de Ted Léo, il s’enfuit avec elle ; celle-ci trouve refuge chez les Spooner, voisins des Richards. Mais c’est compter sans Ted Léo, lancé à la poursuite de Golden, bien décidé à récupérer son épouse. Après une traque qui manque de mal tourner, c’est le drame. Rusty, qui a volé des fusées de feux d’artifice chez June, en allume une destinée à éclairer son père alors en compagnie de Houila. La fusée explose, blessant grièvement l’enfant. Il décédera quelques semaines plus tard à l’hôpital, heureux d’avoir auprès de lui, pour ses derniers jours, sa mère, son père, et celle qu’il aime en secret : tante Trish. Finalement, Golden renonce à Houila, qu’il ne peut épouser en tant que mormon. Il épouse Maureen Sinkfoyl, cinquième épouse choisie particulièrement par sa première épouse : Beverly.

 

                Encore une fois, avec Le polygame solitaire, Brady Udall nous gratifie d’un roman dense et passionnant.

                Certes, l’opus est long - 732 pages - et évolue lentement car il se perd dans les méandres des petits riens de la vie. Mais ces derniers sont racontés de manière totalement addictive : on n’arrive pas à se détacher de la lecture de ce roman.

                Il faut dire que les personnages ont de l’épaisseur et sont à la fois drôles et attachants. Le roman fait vivre dans l’absolu toute la famille Richards, composée de quatre épouses et de 28 enfants. Cependant, pour que le lecteur ne se perde pas en route, Brady Udall se focalise surtout sur le chef de famille, Golden Richards, sur une de ses épouses en particulier, la dernière : Trish, et sur un des enfants de cette gigantesque famille : Rusty. Ces trois personnages traversent une véritable crise existentielle qui remet en question leur appartenance au mode de vie des mormons.

                En effet, Golden est tenté par l’amour, sentiment individuel qui le distrait des histoires collectives de famille dans lesquelles il se noie et dont il cherche à s’extraire. Ses épouses se jalousent les unes les autres ; elles sont à la fois liées entre elles comme des sœurs, mais elles sont aussi des ennemies lorsqu’il s’agit de se partager les nuits de Golden, leur époux. En tête, trône Beverly, la rigoriste qui mène la famille d’une main de fer et impose ses idées à tout le monde. Par ailleurs, les épouses et leurs enfants vivent dans deux maisons distinctes et s’obligent à des échanges intrafamiliaux pour mieux se connaître. Quant aux enfants, ils sont bruyants et, de leur fait, il y a toujours un problème à régler ou une affaire à gérer. Enfin, l’amour ne s’invite pas forcément au sein des différents couples car les mariages sont bien souvent arrangés. Notons ainsi que le mariage qui clôture le roman et qui unit Golden et Maureen, est arrangé par Beverly. D’autre part, les précédents mariages de Golden ont fait long feu et sont sujets à l’usure du temps et à l’impact des enfants qui transforment forcément les relations dans un couple. Trish en fait l’amère expérience : son mari ne la désire plus et est amoureux d’une autre femme. Ainsi, Golden est tenté par l’amour individuel pour une femme en particulier et par une vie normale, c’est-à-dire une vie monogame.

                Car le roman pose cette double question : comment conjuguer des aspirations individuelles et le mode de vie collectif des mormons ? Le roman nous met face à trois personnages qui, tout en étant partie prenante d’une grande famille de 28 enfants, sont solitaires en ce sens qu’ils sont seuls face à une crise existentielle individuelle. Car tous, paradoxalement, manquent d’amour et sont face au besoin d’amour, y compris le petit Rusty qui souffre d’une carence de père – souvent absent pour cause de chantier en cours - et de mère – Rose de Saron est à l’hôpital, en dépression. Par ailleurs, l’enfant est aux portes de la puberté et ressent physiquement et psychologiquement ses premiers émois amoureux. Trimbalé à droite et à gauche, d’une mère à l’autre, il ne trouve pas sa place dans cette grande famille où chacun l’envoie promener car son comportement est considéré comme déviant.

                En outre, on est aussi face à des personnages marqués par la douleur causée en particulier par la perte d’un enfant. Même s’il en a 28 et qu’il risque toujours d’en oublier un, Golden est marqué par la mort de sa petite Glory, enfant handicapée qu’il a fini par aimer follement. De son côté, Trish a vécu la mort de plusieurs enfants, elle est particulièrement marquée par celle de son fils Jack.

                 Par ailleurs, Golden, comme Trish ont vécu, par le passé, une vie normale, mais pas forcément équilibrée. Golden est issu d’un couple normal, monogame : Malke, sa mère, a épousé Royal, son père qui a fait fortune en découvrant une mine d’uranium et qui, dans le même temps, est devenu mormon. Golden, un jour, l’a rejoint et a épousé le mode de vie de son père Royal… et de Beverly, ancienne épouse de ce dernier. Trish a également vécu une vie normale avant d’épouser Golden et d’embrasser le mode de vie mormon. Bref, comme on le voit, si la polygamie n’est pas la voie royale qui mène au bonheur, la monogamie n’y mène pas forcément davantage.

                D’ailleurs, la fin du roman consacre la polygamie et le mode de vie mormon comme étant un hymne à la fécondité, à l’amour des enfants comme à celui qui unissent tous les membres de la famille et particulièrement les épouses entre elles. Bref, le mode de vie mormon est une réponse au sentiment de solitude qui peut néanmoins toujours accabler un membre de la famille, à un moment donné. Voilà pourquoi le roman se termine sur une scène de mariage mormon au cœur de laquelle notre polygame solitaire apparaît bien entouré.



22/04/2025
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