LECTURES VAGABONDES

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Anne Tyler : Une bobine de fil bleu /Une bobine à dérouler encore et encore…

       

                Aujourd’hui, sur ce blog, c’est leçon de couture ! Je crains bien qu’alors, on n’aille pas bien loin. Heureusement, une bobine de fil bleu ne sert pas seulement à coudre ! c’est aussi le très joli titre qu’Anne Tyler a donné à son vingtième roman – une bobine de fil bleu – qui parait en 2015 aux éditions Phébus.

 

          Les Whitshank sont-ils une famille formidable ? Ou une famille comme toutes les autres ? Chaque chapitre nous emmène au sein de cette famille pleine d’amour… avec ses petits secrets qu’on cache bien au reste du monde. D’abord, Les Whitshank, c’est avant tout une maison située dans un quartier huppé de Baltimore. Cette maison, c’est le père de Red Junior qui l’a fabriquée. Ce sont les Brill qui y ont vécu jusqu’au jour où madame Brill en a eu assez, et l’a revendue à son concepteur qui la voulait depuis toujours.  Là, Red Whitshank y grandit avec sa sœur, Merrick, qui épouse un garçon de bonne famille – qu’elle pique à une de ses amies. Cependant, les Whitshank n’ont jamais été acceptés par leurs riches voisins… n’ont pas vraiment été heureux dans cette maison, en somme. Mais avançons dans la généalogie de cette famille avec Red et Abby Whitshank. D’abord, il y a Denny, leur fils. Un garçon énigmatique, qui a quitté assez vite sa famille sans plus lui donner de nouvelles.. ou de fausses nouvelles. Un jour, il révèle à ses parents qu’il est gay, puis épouse Carla dont il a une fille – Susan - puis divorce. Il a, ensuite, habité aux quatre coins des Etats-Unis et a exercé de nombreux et divers métiers. De temps à autre, il revient à la maison… jusqu’au jour où il se rend compte que ses parents vieillissent. Abby perd la tête, Red fait parfois des malaises. Ainsi, Stem, leur dernier enfant, sa femme Nora et leurs trois fils emménagent dans la fameuse demeure familiale pour s’occuper d’Abby et de Red. Cependant, Stem n’est pas véritablement leur fils mais celui d’un des ouvriers de Red, décédé à l’hôpital, d’une péritonite foudroyante. Sans maman, sans papa, le petit Douglas, rebaptisé Stem, trouve un nouveau foyer chez Abby et Red. Mais Denny n’a jamais accepté ce nouveau petit frère un peu spécial. Et les tensions montent entre Denny et Stem ; ils finiront même par se battre. Un jour, Stem découvre que sa mère n’est autre que la voisine, que toute la famille déteste. Mais personne n’a l’intention d’ébruiter ce secret. De son côté, Abby a du mal à supporter sa belle-fille, femme de Stem, Nora : cette dernière, très femme d’intérieur, s’immisce un peu trop dans la gestion du quotidien de la famille, empiétant sur le territoire d’Abby. Parfois, lorsque la sœur de Red, Merrick, déboule dans la belle demeure de Button Road, elle met toute la famille Whitshank en rogne.  Et puis, il y a les sacro-saintes vacances à la plage où toute la famille se réunit. Cependant, un jour, survient le grand drame : alors qu’elle est en vadrouille dans le quartier, Abby et sa chienne – Brenda – sont renversées par une voiture et décèdent. C’est alors que les Whitshank décident de vendre la maison, après avoir placé leur père en résidence. Cependant, la famille est encore loin d’avoir révélé tous ses secrets ! Retour dans le passé. Nous allons découvrir ce qu’est « cet après-midi délicieux, aux tons verts et jaunes » qui a vu naître l’amour d’Abby pour Red. Le jour du mariage de Merrick Whitshank avec Trey approche. Abby et son petit ami Dane se rendent chez les Whitshank pour l’après-midi. C’est là dans cette belle demeure de famille qu’Abby décide qu’elle épousera Red. Pourquoi ? Sans doute est-elle séduite par la maison et par la famille Whitshank. Pourtant, est-ce vraiment une famille exceptionnelle ? Le père de Red, Junior, a rencontré Linnie Mae, sa future épouse alors qu’elle n’avait que 13 ans. Il en avait 26. Lorsqu’il a découvert son jeune âge, il a voulu la laisser tomber, mais elle s’est cramponnée à lui et a réussi à l’épouser. Nous quittons Junior et Linnie Mae lorsqu’ils s’apprêtent à entrer dans leur belle maison de Button Road. Cependant, le malaise est sous-jacent. La dernière partie du roman évoque le départ de la famille Whitshank de cette belle demeure où presque quatre générations ont vécu.

 

          Comme à son habitude, Anne Tyler nous propose un roman dont le sujet est l’intimité d’une famille apparemment très comme il faut. Derrière cette apparence d’une famille sans histoire se cachent bien des secrets et bien des rancœurs. C’est donc parti pour un jeu de massacre de 400 pages. Mais attention, la plupart des points de discorde familiale s’expriment en sourdine, voire dans l’allusion ou le non-dit.

          Ainsi donc, les Whitshank sont une famille formidable ; les membres qui la composent nagent dans l’amour et ne connaissent pas le divorce…. sauf, Denny, le vilain petit canard. Lui, il a divorcé. Il a causé une belle frayeur à ses parents le jour où il leur a annoncé qu’il était gay. Il vit très loin, dans d’autres Etats, et ne rend que fort peu visite à sa famille. Bien plus, il ne donne pas souvent de nouvelles. Pourtant, c’est avec lui qu’Anne Tyler clôt son roman : lorsque toute la famille quitte la belle demeure de Button Road, il part de son côté, pour le New-Jersey où il compte bien renouer avec la femme qu’il aime : Allison. Denny, c’est donc l’effet poil à gratter dans la famille.

          Par ailleurs, les Whitshank sont aussi une famille conventionnelle. Dans la vie, il faut se marier, avoir de beaux enfants – un chien - et une belle maison. C’est un peu l’American way of life qu’Anne Tyler brocarde ici. La chose est particulièrement évidente lors de la scène des préparatifs du mariage de Merrick : les femmes sont dans la maison, à préparer le diner, tandis que les hommes sont dehors, occupés à scier un tulipier qui fait un peu trop d’ombre. A chaque sexe le labeur traditionnel qui lui incombe ! Par ailleurs, souvent, il y a des tensions dans les couples, tensions causées par des non-dits pesants. Je prends comme exemple la cas de Linnie Mae, la femme de Junior : elle n’a jamais son mot à dire face à son mari. Sans doute aurait-elle voulu continuer à vivre dans son petit quartier populaire de Baltimore, mais son mari Junior voulait vivre dans la belle demeure aristocratique de Button Road. Alors, sans doute aurait-elle voulu que la balancelle soit bleue mais Junior la veut en bois naturel simplement verni. Voilà pourquoi, dès qu’il s’aperçoit du changement de couleur de la balancelle, il ôte la peinture bleue et rétablit sa couleur d’origine, celle qui est du dernier chic. Mais, pour dire son mécontentement, Linnie Mae n’utilise pas le langage : au moment d’entrer dans la maison, Junior aperçoit une grande trainée bleue sur le béton. Et lui qui pensait faire plaisir à son épouse en lui offrant cette splendide balancelle ! Mais de ce coup rageur de peinture bleue bien évident, personne n’en parlera. Oh la tache !   

          Cependant, dans le roman, les scènes de repas sont nombreuses et mettent en évidence les tensions entre les membres de la famille.  C’est là qu’on trouve donc, souvent, la petite bête qui dérange.

          En effet, cette famille ne souffre pas seulement d’un déficit de dialogues (incroyable dans un roman basé surtout sur le dialogue, justement !) qui fait naître des tensions, elle cache aussi bien des secrets inavouables : la naissance de Stem est sans doute le plus gros secret à ne jamais révéler à quiconque ! L’enfant a été recueilli, mais jamais adopté. Sa vraie mère est une voisine que tout le monde déteste dans la famille. Et puis, il y a aussi les amours de l’ancêtre fondateur de la famille, celui qui a bâti la maison : Junior. Alors majeur, il a fricoté avec une fillette de 13 ans, à l’époque, Linnie Mae. Certes, elle lui plaisait, au départ, mais lorsqu’il a appris son âge, il a voulu rompre. D’ailleurs, elle ne l’intéresse plus.

          J’ai évoqué, plus haut, la couleur bleue – la peinture bleue. Il semblerait que cette couleur soit importante dans la famille Whitshank. Au moment de quitter la maison définitivement, Denny trouve dans une armoire, une bobine de fil bleu. Ainsi, le fil, c’est aussi ce qui raccommode, ce qui unit les uns et les autres. Bien plus que la demeure où ils ont vécu, il y a ce fil qui est celui qui unit les membres de la famille. Ce n’est pas grand-chose, à priori, une vieille bobine de fil bleu…. Mais ce symbole sert à Anne Tyler de titre pour son roman.

          Car malgré tout, c’est bien la famille qui nous rend heureux ! Chacun cherche à faire son nid. Et quand ce nid disparait, on cherche à en faire un ailleurs, avec du fil et beaucoup d’amour.

 



27/11/2022
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