LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Rosella Postorino : La goûteuse d’Hitler/Sehr gut !

          Cette semaine, focus sur un aspect méconnu du IIIème Reich ; pour ne pas succomber à un éventuel empoisonnement, les nazis ont instauré une mission spéciale : celle de goûter la nourriture du Führer avant que celle-ci lui soit servie. Pour ce, une poignée de femmes est engagée. C’est l’itinéraire spécial de l’une d’entre elles que nous allons découvrir à travers ce roman intitulé La goûteuse d’Hitler, écrit par Rosella Postorino, paru en 2019 en France aux éditions Albin Michel.

 

          Notre goûteuse d’Hitler se nomme Rosa Sauer. Elle a perdu ses deux parents ; son père est décédé d’un infarctus peu avant la guerre et sa mère a été tuée lors d’un bombardement à Berlin. Depuis, elle vit en Prusse-Orientale avec ses beaux-parents : Joseph et Herta, en l’absence de son époux, Grégor, parti à la guerre sur le front russe et bientôt porté disparu.

C’est à Gross-Partsch, dans la tanière du loup que sa mission a commencé en 1943. Avec quelques autres femmes prises en otage par les nazis, elle goûte les plats destinés à Hitler. Nous suivons donc la vie quotidienne de ces femmes tiraillées par la faim et épouvantées par la mort possible liée à leur mission. Voici Heike : la jeune femme vit une histoire d’amour interdite avec un jeune nazi – Ernst Koch - et avorte, lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte. De son côté, Rosa tombe, elle aussi, amoureuse d’un nazi et pas n’importe lequel : Albert Ziegler est Obersturmfürher et tout le monde doit lui obéir. Avant ce poste, il a officié dans un Einsatzgruppen sur le front est de la guerre. Rosa a tellement envie d’un enfant qu’elle croira être enceinte de lui, ce qui s’avèrera faux. Et puis parmi les goûteuses d’Hitler, il y a l’impertinente Elfriede dont le véritable nom est Edna Kopfstein ; une juive qui se cache au sein même de la tanière du loup pour mieux échapper à la déportation. Déportée, elle le sera, lorsque la vérité sera connue d’Albert Ziegler. Rosa vivra très mal cette disparition et en voudra tellement à son amant de ce crime ! Autre persécution : celle de la baronne Maria Von Mildernhagen et de son époux, convaincus d’avoir participé à l’attentat contre Hitler, au cœur même de la Wolfsschanze, la tanière du loup. Pour eux aussi, ce sera la déportation. Alors qu’il n’y a plus d’espoir, Albert convainc Rosa de partir. Il s’arrange pour qu’elle prenne le train pour Berlin. C’est la fin de leur histoire, la fin de cette mission de goûteuse. Bien plus tard, nous retrouvons notre héroïne dans une autre gare : celle d’Hanovre. Elle vient voir son époux, Grégor, qui va bientôt mourir d’un cancer. Ces dernières retrouvailles sont touchantes car à la fin de la guerre, Grégor est revenu ; malade, squelettique, mais vivant ; il a attendu la fin de la guerre dans un camp de prisonniers à l’est, là où survivre est un exploit. Malgré le grand attachement qui unit Rosa et Grégor, le couple se sépare quelques années plus tard, après la guérison de ce dernier qui a ensuite refait sa vie avec une certaine Agnès. Nous quittons Rosa alors qu’elle est à l’hôpital, au chevet de Grégor. A la cafétéria de l’hôpital, elle met du temps à manger, à goûter la nourriture, elle regarde autour d’elle les autres manger…

 

          J’ai pris beaucoup de plaisir à lire La goûteuse d’Hitler, roman qui, soit-dit au passage, a reçu pléthore de prix : prix Campiello, prix Vigevano Lucio Mastronardi, prix Rapallo, prix Pozzale Luigi Russo. Par ailleurs, il s’inspire de la vie de Margot Wölk, goûteuse d’Hitler. Ainsi, cette mission de goûter les plats qu’Hitler va manger dans la journée n’est pas inventée ; les goûteuses d’Hitler ont bel et bien existé.

          Bien évidemment, le roman dépasse le cadre de cette mission qui consiste à manger le repas au menu du jour du Führer. Il appréhende en effet le quotidien peu enviable des Allemands pendant la guerre, plus précisément à partir de 1943. Le peuple germanique a faim, la SS le terrifie, les bombardements sont de plus en plus fréquents.

Pourtant, en grande partie, le roman présente un huis-clos cruel et pesant : celui des femmes qui, assises autour d’une table, mangent la nourriture d’Hitler avec, dans le creux du ventre, la peur d’être empoisonnées. Par ailleurs, le repas se déroule dans un silence pesant : interdit de bavarder. Enfin, ce n’est pas parce que les goûteuses d’Hitler se retrouvent ainsi qu’elles ont de la sympathie les unes pour les autres. Elfriede, la juive, est dénoncée par une de ses compagnes de table, Heike. Et puis, lorsque l’une d’entre elles s’effondrera, terrassée par le poison, elle sera presque aussitôt oubliée des autres.

          Par ailleurs, j’ai trouvé que ce choix du huis-clos alors qu’autour tout s’effondre, est intéressant. On vit la guerre et le nazisme à distance, comme  derrière un mur de prison, ce qui rend ces deux réalités effrayantes. Elles se présentent comme deux assassins qui rodent, qu’on entend, dont on sent la présence insidieuse. Certes, on ne la voit pas, et c’est ce qui provoque l’effroi.

          Enfin, le roman propose aussi un portrait d’Hitler, le Führer, celui dont on parle et qu’on ne voit pas. Il apparaît comme paranoïaque, malade. Affaibli également, car on ose l’attaquer. Bref, il n’a plus rien de la superbe de ses débuts.

Pour terminer, je dirai que La goûteuse d’Hitler, c’est un roman émouvant qui dépasse aussi le simple cadre de la guerre. Dans la dernière partie du roman, nous retrouvons Rosa des années après que l’armistice a sonné. Elle se rend au chevet de son ex-mari qu’elle a soigné à son retour des camps. A travers lui, c’est aussi un peu de la misère des soldats allemands envoyés sur le front est qui transparait. Beaucoup y ont laissé leur vie ; d’autres ont connu les camps de prisonniers soviétiques. Jusqu’au bout, Rosa Sauer restera marquée par la guerre, particulièrement lorsqu’elle mange.

          Bref, Rosella Postorino a réussi le tour de force, avec son roman La goûteuse d’Hitler, de parler de la guerre d’une manière neuve, unique et inédite. Et en plus, c’est réussi !

 



06/05/2019
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres