LECTURES VAGABONDES

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John Updike : Terroriste/Terrifiant !

 

          On ne compte plus les romans qui, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, exploitent le filon du terrorisme et du fondamentalisme islamique. Avec beaucoup de bonheur, John Updike relève le défi et publie en 2006 le roman Terroriste qui parait en France en 2008 aux éditions du Seuil.

 

          Le jeune Ahmad Mulloy est un lycéen sans histoires qui vit dans le quartier pauvre de New Prospect, non loin de New York. Son père, il ne le connait pas ; c’est un égyptien qui a laissé tomber Terry, la mère d’Ahmad, une américano-Irlandaise, il y a bien longtemps. S’il n’évolue pas du tout dans une famille et un contexte propice à l’intégrisme religieux, il embrasse quand même la religion islamique avec passion ; il se rend régulièrement à la mosquée où il reçoit l’enseignement d’un Imam nommé Cheikh Rashid. Bientôt, il ne vit plus que pour et par Mahomet, Dieu et le Jihad. Il décide d’abandonner ses études pour passer un permis poids lourd afin de conduire des camions de livraison. C’est le Cheikh Rashid qui l’oriente dans cette voie, au grand dam du conseiller d’orientation : le juif athée Jack Levy qui incite le jeune homme à s’inscrire à l’université. Pourtant marié à Beth, ce dernier entame néanmoins une liaison avec la mère d’Ahmad, l’artiste peintre Terry. De son côté, Ahmad, par l’entremise de Cheikh Rashid, est engagé dans une société de livraison de meubles et c’est le libanais Charlie Chehab qui le forme. Ensemble, ils livrent des meubles à droite et à gauche et un jour, Ahmad est témoin d’une livraison pas comme les autres : un pouf rempli d’argent. Désormais, les dés sont jetés. Ahmad accepte de prendre le volant d’un camion bourré d’explosifs qu’il déclenchera dans un tunnel aux environs de New York. C’est très religieusement qu’il se prépare, tout pénétré qu’il est de sa sainte mission. Cependant, Charlie n’est pas au rendez-vous lorsqu’Ahmad s’apprête à monter dans le camion. De manière incroyable, c’est Jack Levy, le conseiller d’orientation, qui, courageusement, monte sur le siège passager. Tandis que le camion s’achemine vers sa destination finale, ce dernier tente de convaincre Ahmad de renoncer à son projet, d’autant plus que Charlie Chehab vient de trouver la mort, décapité par des islamistes après avoir été découvert : il était en réalité un membre de la CIA chargé d’infiltrer un réseau terroriste. Le jeune homme hésite, voit des enfants lui faire signe de la main dans la voiture qui double le camion, et ne déclenche pas l’explosion. Mais ce n’est pas pour autant qu’au fond de lui, il aura renoncé à faire le jihad.

 

          Avec Terroriste, Jonh Updike signe un roman efficace, plein de suspense à la fois factuel et psychologique. En effet, le lecteur est tenu en haleine tout au long du roman par une seule et même question : quelle décision prendra Ahmad concernant son engagement dans le Jihad et l’intégrisme religieux ? La question reste ouverte car le jeune garçon n’est lui-même pas totalement sûr de lui. Alors qu’on le sent décidé et prêt à passer à l’action, il hésite et renonce pour finalement remettre à plus tard une action choc.   

          Par ailleurs, le roman met en scène un personnage, Ahmad, qui n’est pas caricatural, au contraire ! Bien inséré dans la société américaine, rien ne le conduit vers le fondamentalisme, sauf sa haine de la société à l’occidentale, basée sur le libéralisme et le capitalisme, dénuée de toute valeur spirituelle. De cette société, John Updike dresse un portrait sans concession : la société américaine est une société vide, basée sur un seul objectif : la consommation. Cette dernière est incarnée par Beth – l’épouse de Jake, le conseiller d’orientation d’Ahmad - qui passe son temps à s’empiffrer et à attendre son infidèle mari. Résultat, elle mange, mange, et remange et devient obèse.

          Ahmad est aussi un personnage ambigu puisqu’il est attiré par Joryleen, une jeune fille rebelle mais qui revendique sa liberté et est aux antipodes des valeurs religieuses. D’ailleurs, lorsqu’Ahmad la croise, la jeune fille est sur une pente opposée à celle qu’il emprunte même si l’une et l’autre sont de mauvaises pentes. Si le jeune homme sombre dans l’Islam intégriste, la jeune fille commence à se prostituer par amour pour un garçon. Mais peut-être les deux destinées ne sont-elles pas si contradictoires ? L’amour peut aussi être une forme de fanatisme qui peut pousser au pire ! 

          Par ailleurs, Terroriste, c’est aussi une réflexion sur l’islamisme et les raisons qui poussent les jeunes à embrasser sa forme idéologique la plus extrême. Dans un monde où le spirituel est mis à mal par ce nouveau dieu qu’est l’argent qui permet de consommer, qui donne tout pouvoir à une petite mafia qui domine le monde, il est logique que certains partent en quête de vraies valeurs spirituelles. Mais je laisse à John Updike le dernier mot là-dessus :

 

          « Ils croient qu’on peut faire quelque chose. Qu’il n’est pas nécessaire que le paysan philippin de Mindanao meure de faim, que l’enfant du Bangladesh se noie, que le villageois égyptien perde la vue à cause de la bilharziose, que les Palestiniens soient bombardés par les hélicoptères israéliens, que les fidèles n’aient à se mettre sous la dent que le sable et la crotte de chameau du monde, alors que le Grand Satan se bourre de sucre, de porc et de pétrole sous-payé à en devenir obèse. Ils croient que les yeux, les oreilles et les âmes des milliards de musulmans ne doivent pas être corrompus par les divertissements toxiques de Hollywood et par l’impitoyable économie impérialiste qui a pour idole décrépite le dieu judéo-chrétien – un simple masque cachant le désespoir des athées. » 

 

          Enfin, je terminerai par un bémol : la fin du roman. Elle parait spectaculaire et peu crédible. C’est en effet, le juif Jack Levy, conseiller d’orientation d’Ahmad, qui va intervenir en montant dans le camion bourré d’explosifs que conduit le jeune homme. Pour arriver à cette situation finale, il a fallu passer par une multiplication d’intermédiaires car sinon, comment Jack aurait-il pu savoir ce que manigançait Ahmad ? Ainsi donc, Hermione, sœur de Beth, épouse de Jack, informe cette dernière : son mari, qui travaille au ministère de l’intérieur, est alerté par le cas d’Ahmad. Beth avertit donc son mari Jack qui court pour arrêter Ahmad. Et je ne parle même pas de Charlie Chehab, censé être l’intégriste qui manipule Ahmad et toute l’affaire du camion bourré d’explosif mais qui, en réalité, est un membre de la CIA qui espionne les faits et gestes des islamistes ! Quel gloubiboulga ! Tout ça pour offrir au lecteur une scène finale tout en émotion, en dramatique, en tension, comme dans les films. On flirte alors dans cette scène avec le ralenti pour mettre davantage en valeur ces quelques secondes pendant lesquelles Ahmad croise de regard d’enfants dans une voiture.

          On l’aura compris, il n’a pas fallu grand-chose pour que Terroriste de John Updike prenne place dans les coups de cœur. Mais si John Updike démarre dans la catégorie Lecture-plaisir, je crois qu’il risque bien à l’avenir de monter encore d’un cran. John Updike, que je n’avais jamais lu, qui est décédé en 2011, qui a reçu de nombreux prix pour ses romans, est pour sûr un écrivain à ne pas oublier !



03/01/2021
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