LECTURES VAGABONDES

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Arnon Grunberg : Le messie juif/Parole tragi-comique.

 

          Vous aimez les romans originaux, perturbants, corrosifs ? Alors sans doute Le messie juif, écrit par Arnon Grunberg et paru en 2007 aux éditions Héloïse d’Ormesson est pour vous !

 

          Le jeune Xavier Radek est obsédé par les juifs. Il ne supporte pas la douleur. Par conséquent, il se donne pour mission dans la vie de consoler le peuple juif. Il rencontre le fils d’un rabbin autiste nommé Awromèle qui devient aussi son petit ami. Ce dernier lui apprend le yiddish et met Xavier en contact avec un certain monsieur Schwartz qui pratique la circoncision. Cependant, le vieil homme est à moitié aveugle et massacre l’appareil génital du pauvre Xavier.

Il laisse dans la bataille un testicule mais devient un héros car tout le monde croit qu’il a été la victime d’un pédophile sadique. Le comité des parents vigilants voit le jour. De son côté, Xavier baptise son testicule droit laissé dans le formol « Roi David » et se met à peindre. Awromèle et lui décident de tenter leur chance dans la petite Venise du Nord, c’est-à-dire à Amsterdam où la peinture est une institution. Mais Xavier n’arrive pas à percer. Alors, il se lance dans la politique, en Israël. Il devient un dictateur et sous prétexte de consoler le peuple juif, il déclenche la guerre tandis qu’il s’enferme dans son bunker avec la dépouille d’Awromèle et de ses chiens.

 

         Le messie Juif est un roman déconcertant qui prend l’aspect d’une farce pour dénoncer le fanatisme et l’ambiguïté des désirs et des ambitions des hommes. Bien évidemment, on met immédiatement en parallèle le destin de Xavier et celui d’Adolf Hitler. Mais Xavier n’est pas Hitler ; il s’est assimilé aux juifs et finit par devenir dictateur en Israël : ainsi, le nazisme n’est pas seulement allemand ; il peut frapper n’importe quel pays, n’importe quel peuple, prendre un autre nom. Sans doute Arnon Grunberg veut-il aussi dénoncer la politique militariste de l’état d’Israël. Mais parlons un peu de Xavier, le messie juif !

Ce qui justifie les actes de ce héros à la fois innocent et sadique, c’est ce désir de consoler le peuple juif. Il commence par consoler un juif, Awromèle, qui devient son amant. Ainsi, Arnon Grunberg interroge-t-il la frontière qui existe entre l’amour et la haine dès lors que Xavier s’avère être un clone d’Hitler (Hitler ne voulait-il pas consoler le peuple allemand de sa défaite et de son humiliation après la guerre 14-18 ?). Et puis, il interroge aussi la pulsion sexuelle qui dirige tous nos actes : Xavier est attiré par les juifs et donc par Awromèle qui devient son amant ; Marc, le beau-père de Xavier, est fasciné par son talent de peintre et tombe amoureux de lui. D’une manière générale, les rapports  humains évoqués dans Le messie juif sont marqués par la violence, le sadisme, mais le sexe est présent partout et concrétise cette domination des uns sur les autres.

          Parallèlement à Xavier, d’autres personnages sont évoqués ; le plus souvent, ils sont effroyablement seuls et la solitude semble bien être la première caractéristique de la condition humaine. On est particulièrement touché par le personnage de la mère de Xavier qui n’a pas su aimer son fils, dont le mari était dégouté d’elle, elle qui passe au dernier plan dans les préoccupations de son nouvel ami, Marc (qui songe davantage à jouer au simulateur de vol). Elle finit par s’automutiler avec un couteau qu’elle considère comme son amant.

          Alors, bien sûr, Le messie juif est un roman particulier, qui s’apparente à la farce : les situations évoquées sont burlesques, voire grotesques, peu réalistes et les personnages sont souvent dépourvus de sentiments et alignent les aphorismes dans des discours qui finissent par n’avoir plus ni queue-ni-tête. Je dois bien avouer qu’il y a eu des moments où j’ai failli lâcher ce drôle d’ovni. Les scènes de sexe – le plus souvent homosexuelles – et de violence s’enchainent et finissent pas devenir écœurantes. Je songe par exemple à l’épopée de Nino, le vendeur de kebabs, qui donne de l’argent au Hamas, et qui fricote avec les juifs de son quartier. Il sera inquiété par des juifs et des arabes qui l’accusent d’être un informateur. Une femme étrange – une putain juive – lui propose son corps. L’homme finira par être tué après avoir subi la torture – on lui fait frire les pieds. Bien sûr, la scène finit par prendre tout son sens dans l’économie du reste – il s’agit de dénoncer les pratiques tortionnaires des dictatures – mais sur le coup, on en a vite assez de cette espèce de digression étrange et hallucinante qui s’insère dans les aventures de Xavier et d’Awromèle.

          Bref, plus j’y songe, et plus je découvre la complexité de cette œuvre qui, sous des apparences loufoques, dénonce les choses les plus lourdes et les plus tragiques de cette immense « comédie humaine » à laquelle nous participons tous. La plupart des scènes de ce roman font écho à des scènes bien connues de l’histoire du IIIème Reich (par exemple, Xavier transportant Awromèle inconscient et mal en point dans une brouette rappelle les horreurs de la Shoah dans les camps de la mort) ; cependant, elles ont aussi une portée plus générale et montrent souvent l’égoïsme et l’indifférence qui conditionnent nos comportements ; elles montrent également toute l’ambiguïté qui est à la base d’une démarche altruiste. Vouloir faire le bien autour de soi, apporter la consolation aux autres, c'est une démarche qui comporte une bonne dose d’orgueil et qui peut virer à la tragédie lorsqu’elle vire à l’obsession c’est-à-dire au fanatisme. Mais n’est-ce pas la mission de l’actuelle « djihad islamique », vouloir faire le « bien » malgré la volonté des autres ? « Établir partout la loi divine pour tous », même pour ceux qui n’en veulent pas ?



02/09/2019
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