LECTURES VAGABONDES

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David Foenkinos : Je vais mieux /ça va encore… pour l'instant.

 

                Et si nos douleurs physiques étaient étroitement liées à nos douleurs morales ? Et si elles étaient des signaux d’alertes d’un mal de vivre dont on n’aurait pas vraiment conscience, englués que nous sommes dans un quotidien phagocytant ? C’est de ce phénomène de somatisation dont s’empare David Foenkinos pour son roman paru en 2013 aux éditions Gallimard : Je vais mieux.

                Depuis quelques temps, le narrateur de Je vais mieux a mal au dos et tout commence par la recherche de la cause de cette intense douleur qui fluctue au gré des événements vécus pendant la journée. Entre médecin, ostéopathe, psychologue, le narrateur ne trouve aucune réponse à son mal. Certes, son collègue a saboté son travail et notre héros se retrouve dans une voie de garage professionnelle. Par ailleurs, son épouse, Elise, décide de demander le divorce. Et puis, en ce qui concerne les enfants, tout n’est pas non plus au beau fixe. Un jour, notre héros, fort peu téméraire, fiche une belle torgnole à ce collègue qui lui a sucré un beau dossier et se retrouve au chômage ; c’est de début d’une belle remontée et d’une belle guérison. Dans la foulée, il rencontre Pauline dont il tombe amoureux et renoue avec ses enfants. Et tout se conclut sur cet happy end indolore.

                Dans Je vais mieux, on retrouve tous les ingrédients qui font la pâte de base de David Foenkinos. Un personnage masculin sans grande envergure, dans le style antihéros, des femmes douces et compréhensives, un humour distancié, quelque peu pince-sans-rire, des détails de la vie sur lesquels l’auteur mène une réflexion qu’il ponctue d’un bel aphorisme.

                Le héros de Je vais mieux s’avère être un sacré looser. Un collègue ambitieux lui ravit un dossier d’envergure sur lequel il a beaucoup travaillé et notre loustic n’ose rien dire, il se laisse faire et accepte sans rien dire de plancher désormais sur des dossiers insignifiants. D’ailleurs, ne rien dire est sa caractéristique principale : dans la plupart des conversations, sa prise de parole se limite souvent à (…). Effectivement, notre héros aime se faire discret et déteste les conflits, ce qui fait que plus ou moins, tout le monde lui marche dessus tant il est, en toute chose, transparent. Cependant, son corps lui parle à sa place et lui inflige un mal de dos insupportable. Les médecins ou spécialistes de tout bord n’ont ni réponse, ni remède à apporter pour soulager notre héros qui en réalité, somatise à cet endroit toutes les frustrations, les non-dits, les insatisfactions accumulés dans sa vie. Le remède, ce sont les circonstances qui vont l’amener. Un jour, il frappe violemment son collègue ennemi… et c’est le début du bouleversement : tout s’écroule autour de lui. Il perd son travail, sa femme le quitte. Mais c’est justement ce qu’il fallait à notre héros pour commencer enfin à vivre. Effectivement, il se rend compte que la vie avec son épouse, Elise, était devenue très plan-plan, qu’il souffre des relations distendues qu’il entretient avec ses enfants. Bref, il lui faut tout recommencer et pas n’importe comment. Désormais, il s’agira d’attraper le bonheur et de ne plus le lâcher… pour qu’enfin, ce soit le mal de dos qui le lâche.

                Je vais mieux est un roman qui se lit facilement et on passe un moment agréable en compagnie de notre antihéros maladroit et touchant. Pourtant, ce roman comporte de nombreux défauts : David Foenkinos a voulu donner une étoffe consistante à son héros en multipliant les réflexions qu’il mène sur ceci ou cela. Certes, on a l’habitude de ce procédé cher à notre auteur. Cependant, dans Je vais bien, l’intrigue est vraiment ténue et le lecteur à l’impression de faire du sur-place dans des considérations répétitives. Et puis, il faut bien dire que David Foenkinos a quelque peu émoussé sa veine loufoque et déjantée : il s’attaque à des sujets sérieux, et cherche à construire des personnages sérieux, à l’image de ceux qu’on trouve dans les comédies romantiques américaines. Ainsi, l’humour loufoque, parfois désopilant des premiers romans a laissé place à un humour beaucoup plus discret, un humour distancié et quelque peu pince-sans-rire, dont désormais, les références sont à rechercher dans la culture « bobo » parisienne : disons que David Foenkinos cherche à faire du Woody Allen parisien.

                Certes, les personnages féminins sont beaucoup moins nuancés, beaucoup moins travaillés : à croire que David Foenkinos, qui met toujours beaucoup de lui-même dans tous ses romans, est incapable de se couler dans la peau d’une femme et qu’il puise dans son fantasme personnel et désincarné l’image de ses héroïnes qui se ressemblent toutes. Ici, nous avons Elise, l’ex-femme, et Pauline, la future épouse. Je ne saurais les différencier : elles sont féminines, douces, compréhensives, et sans doute blondes.

                Enfin, reste l’histoire en elle-même. Je reprocherai au roman de fonctionner comme une thèse : Foenkinos veut montrer que la plupart de nos douleurs physiques résultent de somatisations : lorsqu’on ne veut pas voir nos insatisfactions et frustrations, lorsqu’on ne fait rien pour changer les choses qui ne vont pas parce qu’on est paresseux et résigné, lorsqu’on vit bon an mal an avec ce fardeau qui finit par peser très lourd, alors, c’est notre corps qui se met à crier, à dire stop. On pensera ce que l’on voudra de cette thèse de départ, que, pour ma part, je trouve très contestable, quoiqu’à priori, très bien ancrée dans toutes les idées reçues. Pour répondre à cette thèse, ou plutôt pour la démontrer, David Foenkinos place son personnage dans une situation de crise exagérée au cours de laquelle il perd tout en même temps : son travail, sa femme. Alors, très vite, parce qu’il faut bien finir le roman, tout se règle comme par miracle : le fils, exilé au USA revient en France tandis que les tensions avec la fille s’apaisent, notre héros retrouve l’amour… l’amour le plus fou avec Pauline qu’il a rencontrée dans le cabinet d’une voyante. Concernant le boulot, il a de quoi venir voir, car son bien sympathique patron lui a versé des indemnités mirobolantes et inattendues. Bref, on nage dans le plein bonheur…. A peine crédible tant ce nouveau bonheur semble tomber des nuages comme le père Noël !

                Reste que, je le redis, le roman est agréable à lire : l’écriture de Foenkinos reste tout à fait plaisante. Mais, comme je l’ai déjà dit à propos de ses derniers romans, il serait temps, pour cet auteur, de trouver une nouvelle voie et de se renouveler. Il me semble, en effet, en passe d’épuiser la veine de la comédie sentimentale gentillette, et les nouveaux sujets me paraissent, également traités de manière de plus en plus poussive, car la manne, là aussi a l’air de s’épuiser. Mais, disons que pour l’instant, ça va encore !



13/05/2014
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