Amélie Nothomb : Antéchrista / Amélie hantée par le Christ.
On connaît le goût d’Amélie Nothomb pour le mysticisme, thème que l’on retrouve dans de nombreuses de ses œuvres. Elle raconte d’ailleurs, dans stupeur et tremblements, elle s’est prise pour le Christ, l’espace d’une nuit, lorsque son cerveau épuisé s’est mis à délirer. C’est dire si je m’attendais à autre chose lorsque je me suis plongée dans Antéchrista, écrit par Amélie Nothomb en 2003 et paru aux éditions Albin Michel.
La jeune Blanche est étudiante en sciences politiques ; c’est une fille mal dans sa peau, solitaire : elle a du mal à susciter l’intérêt des autres. Un jour, voilà qu’elle tombe sous le charme d’une camarade de classe qui est tout à fait son contraire : belle, extravertie, sociable, Christa est cependant une jeune fille pauvre qui vit dans les quartiers est de la ville. Pour lui éviter de trop longs déplacements, Blanche lui propose de partager sa chambre, chez ses parents. Très vite, la jeune fille s’impose… ses parents finissent même par la préférer à leur propre enfant. Par ailleurs, elle se comporte de manière méprisante vis-à-vis de Blanche : propos désobligeants, peu d’intérêt à l’égard du mal-être de sa camarade… elle finira même par l’humilier en l’obligeant à se mettre nue devant elle et à faire des exercices pour développer une poitrine qu’elle a menue. Cependant, le comportement de Christa agace Blanche qui finit par l’appeler Antéchrista. Elle mène une enquête sur cette dernière et découvre…. Qu’elle vient d’une famille riche, que le petit ami dont elle est si fière est en réalité un laideron, qu’elle demande à ses parents de l’argent pour payer le loyer soi-disant demandé par les parents de Blanche alors que ceux-ci l’hébergent gracieusement. Dès lors, la fin est proche. Christa finira par quitter l’université après une humiliation infligée par Blanche qui l’embrasse à pleine bouche devant tous les étudiants présents.
Dans Antéchrista, on retrouve un thème cher à Nothomb : la tyrannie des rapports humains. Dès lors qu’on est deux, il y a forcément un dominant et un dominé… L’image de celui qui domine est toujours assez détestable, mais la fin lui réserve une bonne leçon qui permet de renverser la vapeur. Point d’innovation donc, avec Antéchrista, sinon que la thématique dominant/dominé au sein d’une « amitié » féminine me paraît être ici nettement moins intéressante que dans hygiène de l’assassin ou encore stupeur et tremblements. En réalité, on est ici face à deux héroïnes à priori égales, ce qui n’est pas le cas dans les autres œuvres où le rapport hiérarchique ou le rapport à la création artistique viennent enrichir et complexifier la relation.
Autre point décevant : la dimension christique de l’œuvre. Amélie Nothomb aime jouer sur un décalage plus ou moins humoristique, plus ou moins pertinent avec les références religieuses. On retrouve, dans Antéchrista, ce jeu… mais il n’est guère amusant. On comprend très vite que Christa pourrait être une figure christique par sa dimension lumineuse, sa beauté, son attractivité… mais puisqu’elle est méchante et perverse, elle est aussi l’antéchrist, le diable. Blanche, par son nom, est aussi une figure christique : elle pourrait être une sorte de disciple de Christa. A cet égard, la scène de l’épiphanie est tout à fait éloquente : Blanche est accusée d’avoir avalé la fève et c’est Christa qui porte la couronne. Et si la figure cachée du Christ, c’était Blanche ? Par ailleurs, elle se débarrasse de Christa à Pâques, par un baiser : le baiser au diable. Oui, la véritable figure christique, c’est Blanche, et à la fin, elle décide de travailler son corps, sa poitrine afin qu’elle soit plus opulente. Derrière tout ça, il y a sans doute un peu de la vierge Marie, celle qui est vierge, Blanche, il y a aussi un peu du Christ qui donne son corps aux hommes.
« Je n’étais pas sûre d’avoir une âme. Mon corps, c’était tout ce que j’avais. »
Reste un roman tout à fait plaisant : on peut le lire comme une simple histoire d’amitié et de rivalité à l’adolescence, amitié entre deux filles en tout opposées : les portraits de l’une et de l’autre sont très bien dessinés. Pour le reste, connaissant assez bien Amélie Nothomb, j’attendais d’elle quelque chose de moins systématique : on a un peu l’impression qu’ici, elle plaque les thématiques qui lui sont chères de manière quelque peu artificielle et automatique sans qu’il n’y ait de véritable portée derrière tout ça. Dommage. Ceci dit, j’ai passé un très bon moment en compagnie de mon Antéchrista préférée.
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