LECTURES VAGABONDES

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Albert Camus : La peste/Le Covid 19 d’hier

 

          En ces temps de confinement lié à l’épidémie de Coronavirus, nombreux sommes-nous à nous plonger ou à nous replonger dans ce roman certes « visionnaire », d’Albert Camus intitulé La peste. L’œuvre paraît en 1949.

 

          Nous sommes à Oran dans une période indéterminée mais moderne. Tout commence par les rats qui, mystérieusement sortent de plus en plus nombreux. Et puis, voici un premier cas de mort suspecte, puis deux, puis plusieurs. Le docteur Rieux (narrateur de cette chronique, apprendra-t-on à la toute fin du roman) déclare qu’il s’agit de la peste. Aussitôt, la ville, son ambiance, son aspect, changent. D’abord, elle est coupée du monde : interdit d’y entrer ou d’en sortir, au grand dam du journaliste Rambert qui veut plus que tout au monde rejoindre la femme qu’il aime et qui se trouve hors de la ville. Après avoir cherché à passer la limite d’Oran par des moyens clandestins, sans succès – l’affaire est, en effet, sans arrêt reportée – il s’alliera aux hommes de bonne volonté qui luttent contre le fléau. Parmi eux, le docteur Rieux, bien sûr, mais aussi Tarrou, qui séjournait dans la ville quand la peste s’est abattue sur elle. L’homme tient des carnets de notes dont certains passages figurent dans le roman. Il s’occupe de différentes missions sanitaires nécessaires et tombera malade de manière tragique, juste au moment où la peste disparait. Sa mort affectera beaucoup le docteur Rieux avec lequel un fort lien d’amitié s’était établi. Parmi ceux qui luttent, nous nommerons un employé municipal, Grand, qui s’occupe d’établir des statistiques, indispensable pour observer l’avancée ou le recul de la maladie. La grande passion de Grand, c’est d’écrire un roman et inlassablement, il manie et remanie la première phrase, phrase qui augure mal du reste à venir. L’homme tombera malade mais sera guéri grâce au sérum du docteur Castel. Parmi les autres grandes figures du roman, nous comptons le père Paneloux qui, lors d’un prêche, affirme que la peste est un châtiment divin que Dieu inflige aux hommes pour leurs pêchés. Plus tard, il affirmera son acceptation de la peste : si elle vient de Dieu, il faut l’aimer et non la haïr, car la haïr reviendrait à haïr Dieu. Le père Paneloux mourra, lui aussi, de la peste. Parmi les morts, il faut mentionner le fils du juge Othon et le juge Othon lui-même. Certes, les cadavres s’amoncèlent et sont enterrés le plus vite possible et, au fur et à mesure, il ne s’agira même plus de leur offrir une sépulture décente : tous seront inhumés dans des fosses communes ou brûlés. Et puis, un jour, la peste disparaît, la ville ouvre à nouveau ses portes et la joie revient dans les cœurs. Il y a ceux qui sont en deuil, ceux qui se retrouvent. Si le docteur Rieux apprend que sa femme, soignée pour une grave maladie hors de la ville, est morte loin de lui, le journaliste Rambert retrouve celle qu’il aime. Mais il est temps pour Rieux, et tous les autres, de tirer leçon de l’effroyable tragédie que leur a fait vivre la peste.

 

          Le roman se présente comme la chronique d’une ville – Oran – frappée par la peste. Cependant, le récit de l’épidémie fait la part belle aux réflexions morales, philosophique ou encore sociales. Par exemple, un long chapitre est consacré au sentiment d’exil éprouvé par la population d’Oran coupée du monde du fait de la maladie. L’héroïsme est aussi un des sujets abordés par Camus. Le narrateur, c’est le docteur Rieux, et il refuse de se considérer comme un héros, pas plus que les autres. Seuls se dressent contre la maladie des hommes qui luttent et font leur devoir. D’ailleurs, Rieux n’est pas vu comme un sauveur, par ses concitoyens, mais bien plutôt comme un bourreau car il décide de qui doit être mis en quarantaine et de qui doit aller à l’hôpital… pour y mourir, le plus souvent. Sa venue dans les foyers des oranais est synonyme de mort. Par ailleurs, Rieux - personnage et narrateur - se place dans une position neutre et objective, autant qu’il le peut : il aborde le phénomène en médecin, c’est-à-dire en scientifique, mais aussi comme un simple humain. 

          Le roman présente plusieurs personnages parmi lesquels on trouve les hommes de bonne volonté et ceux qui ne le sont pas. Cependant, il n’y a pas de condamnation de ces derniers, de la même manière qu’il n’y a pas de glorification des premiers. Le journaliste Rambert cherche à fuir la ville pour rejoindre la femme qu’il aime et Rieux lui déclare qu’il n’y a pas de honte à préférer le bonheur au malheur. Cependant, Rambert finira par rester et par participer à la lutte contre la peste. Mais le cas de Cottard est bien plus éloquent puisque l’homme profite de la peste pour faire fructifier ses petites affaires personnelles et s’enrichir en créant un marché noir ; l’homme n’a pas envie de voir la peste se terminer ! D’ailleurs, lorsque la peste sera vaincue, il deviendra fou.

          Dans la ville d’Oran frappée par la peste, tout paraît accablant : la ville est en proie soit au soleil qui brûle, soit à la pluie qui noie, soit au froid qui transperce. Jamais le monde n’a une apparence amène. L’accord avec le monde se fait seulement lorsque Rieux et Tarrou sortent de la ville pour prendre un bain de mer ensemble. C’est un moment d’accord, même si l’eau est parsemée de courants froids. La mer semble ainsi le seul élément naturel qui permette l’accord entre les hommes et l’univers. On retrouve cette thématique dans L’étranger de Camus où la mer paraît être une sorte de liquide amniotique dans lequel le corps et l’âme trouvent la paix.

          D’ailleurs, des points communs entre La peste et L’étranger, il y en a d’autres : la peine de mort, par exemple. Le père de Tarrou était avocat et à ce titre, il a obtenu la tête de nombreux criminels, ce qui révolte son fils qui désormais lutte contre toutes les condamnations à mort, qu’elles relèvent de la justice ou de la maladie. Comme dans L’étranger, La peste est aussi un réquisitoire contre la peine de mort.  

          Bien sûr, il y a des ressemblances entre ce roman de Camus et la crise du Covid 19. Nous y retrouvons l’angoisse face à la maladie, les morts de jour en jour plus nombreux, le problème des décès et des cadavres à traiter, la circonscription de la ville… Presque tous les aspects du bouleversement lié à l’épidémie sont traités par Camus dans son roman. Mais l’auteur livre une réflexion qui va au-delà de toutes ces horreurs concrètes ; il tire des leçons historiques et philosophiques de cette expérience d’une épidémie généralisée. Il faut dire que lorsque parait le roman, nous sommes sortis du chaos de la seconde guerre mondiale depuis seulement quelques années. Ainsi, la peste, c’est aussi par métaphore le nazisme ou encore tous les systèmes qui privent l’homme de liberté, tous les systèmes qui les assassinent. D’ailleurs, on peut, par exemple, faire le lien entre la fumée des crématoriums d’Oran et celle des fours crématoires d’Auschwitz. Ainsi, la leçon finale de La peste, comme un avertissement vigilant à l’humanité qui croit que jamais plus, elle ne revivra d’année noire : 

 

« Le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, (…) il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, (…) il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et (…) peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, le peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».



13/04/2020
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