Wally Lamb : Nous sommes l’eau / Beau plongeon !
Voici un roman qui présage bien : il est assez consistant – 684 pages – et est doté d’un titre aussi mystérieux que poétique : Nous sommes l’eau. Alors n’attendons pas et plongeons entre les pages de Nous sommes l’eau, roman écrit par Wally Lamb en 2013 et paru en France en 2014 aux éditions Belfond.
Nous sommes à Three Rivers, dans le Connecticut. Annie Oh, mère de trois enfants, artiste, a divorcé de son époux Orion Oh et s’apprête à épouser Viveca, directrice de la galerie qui propose ses œuvres à la vente. Ce mariage homosexuel ne ravit personne, dans la famille Oh. A commencer par Orion, l’ex-mari d’Annie, qui reste très attaché à sa femme et aimerait qu’elle revienne auprès de lui. Il faut dire que l’homme est en pleine tourmente : psychologue et professeur, il est accusé d’harcèlement par une de ses étudiantes qui le fait, par ailleurs, chanter, tandis qu’un de ses patients vient de se donner la mort. Même s’il est invité au mariage, Orion décide de ne pas y aller. Du côté des enfants, ce n’est pas la joie non plus. Andrew, très croyant, ne veut pas entendre parler de ce mariage, jusqu’au moment où il décide de rompre avec sa fiancée et d’aller quand même assister à l’union de sa mère avec une femme. Marissa, sa sœur, arrive à Three Rivers pour la même raison ; elle est cependant, bien mal en point. Désireuse de devenir actrice, elle a couché avec un producteur de films qui l’a tabassée. Par ailleurs, elle souffre d’un grave problème avec l’alcool. Enfin, Ariane, la dernière fille des Oh, attend un heureux événement, mais le fils qu’elle porte n’a pas de père ; il a été conçu grâce à une insémination artificielle. Tout ce petit monde se retrouve dans la maison familiale de Three Rivers qu’Orion a bien voulu laisser à son ex-femme et à ses enfants, le temps du mariage, tandis que lui-même séjournera dans la belle demeure de Viveca. Les retrouvailles entre tous les membres de la famille Oh sont à la fois heureuses et dramatiques. D’abord, Orion, avant de laisser la maison à son ex-femme et ses enfants, apprend que son fils, Andrew, a été maltraité par sa mère lorsqu’il était petit. Il culpabilise de n’avoir rien vu et se demande quel secret cache sa femme pour avoir développé une telle hystérie envers les hommes. Lorsque Kent, le cousin d’Annie, arrive sans crier gare au mariage, le gâchant au passage, le voile se lève sur l’enfance de l’artiste. En effet, la famille d’Annie a recueilli le jeune Kent lorsqu’il était jeune ; sa mère, abandonnée par son mari, s’est momentanément déchargée de l’éducation de son fils sur sa sœur. Le jeune garçon, déjà dévoyé par la fille de sa baby-sitter qui s’est livrée sur lui à des actes sexuels, est attiré par les petites filles et se livre sur sa cousine Annie à des attouchements très poussés. Par ailleurs, il fait chanter l’enfant : lors d’une inondation qui a coûté la vie à sa mère, Annie a laissé tomber à l’eau sa petite sœur, Gracie, qui s’est également noyée. Kent, qui a sauvé la vie d’Annie, prend sur lui la mort de Gracie afin de protéger celle qui lui est désormais redevable et dont il peut abuser comme il veut. Les choses se régleront d’elles-mêmes : Oncle Chick, après la noyade de sa femme, sombre dans l’alcoolisme et la petite Annie sera placée en famille d’accueil tandis que Kent retrouve sa mère et poursuit une vie de prédateur sexuel pédophile qui l’emmène, entre autres, en prison. Inutile de dire que sa venue en pleine cérémonie du mariage d’Annie, va gâcher la fête. Très ébranlée, Annie se confie à son fils, Andrew qui, fou de rage, se lance à la poursuite de Kent et le tue. Il cache ensuite son corps dans le puits qui trône au fond du jardin de la maison de Three Rivers, puits où, quelques décennies auparavant, Joseph Jones, peintre qu’Annie admire particulièrement et dont certaines œuvres ont été retrouvées dans la cabane près du puits, a été également enseveli après avoir été assassiné. Nous retrouvons Orion 3 ans après ces événements. Lors du mariage de son ex-épouse avec Viveca et alors qu’il séjournait dans la villa de celle-ci, il a été victime d’une agression ; en effet, il a surpris des cambrioleurs à l’œuvre et a été tabassé. Désormais infirme, il retrouve son fils qui ne parvient pas à refaire sa vie, tourmenté qu’il est par le meurtre qu’il a commis tandis que les autres sont parvenus à trouver le bonheur et l’équilibre. Marissa est devenue actrice, Ariane est devenue maman ; quant à Annie qui s’est occupée de son époux après l’agression, elle peut enfin convoler librement avec Viveca. Orion et Andrew se retrouvent au bord de l’océan pour évoquer ce qui les torture et ce qui les apaise.
Avec Nous sommes l’eau, Wally Lamb signe un roman-fleuve en forme de saga familiale et l’ensemble est très prenant.
Ainsi, nous pénétrons au sein de la famille Oh, une famille gangrénée par de multiples secrets parmi lesquels le plus important est celui d’Annie, la mère de famille ; en effet, sur ce secret reposent tous les autres drames de la famille Oh ; une fois découvert, il fera basculer la vie de tous ses membres. En effet, à cause de ce secret – Annie a subi des traumatismes liés aux jeux sexuels auxquels s’est livré sur elle son cousin Kent – elle ressent un certain dégout des hommes, dégout qui fait qu’elle maltraite son fils, Andrew lorsqu’il est encore un enfant, puis, plus tard, qu’elle décide de divorcer d’Orion, son époux, pour épouser une femme. Ce secret, enfin découvert à l’occasion de l’apparition de Kent au mariage de sa mère, va entrainer Andrew à commettre un meurtre pour se rapprocher de sa mère et lui montrer qu’il lui a pardonné les maltraitances auxquelles elle s’est livrée sur lui dans son enfance. Mais ce meurtre va aussi faire basculer sa vie ; désormais, Andrew se sent indigne de fonder une famille et reste seul. Ainsi, pour que tout soit raccommodé avec sa mère, le jeune homme a dû sacrifier un autre pan de sa vie personnelle.
D’une manière générale, le roman offre une vision cruelle des rapports hommes/femmes, rapports régis par les sentiments – l’amour – et le désir – le sexe. On a déjà parlé d’Annie et des attouchements sexuels qu’elle a subis dans son enfance. Son époux, Orion, est accusé d’harcèlement par une de ses étudiantes. Andrew, son fils, rompt avec sa fiancée car il n’est pas sur la même longueur d’onde qu’elle et doit gérer l’homosexualité de sa mère. Enfin, en ce qui concerne les filles de la famille Oh, nous avons Marissa, qui se prostitue pour parvenir à devenir actrice – et se fait tabasser par un homme sur lequel elle croyait pouvoir compter. Quant à Ariane, qui ne croit pas en l’amour, elle décide de faire un bébé toute seule.
Par ailleurs, le roman est doté d’une construction complexe : si l’action principale se situe au momentclef du mariage d’Annie et de Viveca, de nombreux flash-back interviennent, flash-backs qui peu à peu révèlent le secret d’Annie, dramatisent et étoffent ce moment crucial de l’engagement d’une personne dans une nouvelle voie moins conventionnelle : le mariage homosexuel. La construction de ce roman repose également sur la polyphonie ; divers personnages du roman prennent la parole et chacun livre sa tranche de vie personnelle, ses petits secrets que les autres ne connaissent pas. Certes, ce sont surtout Orion et Annie Oh qui ont la parole, mais leurs enfants interviennent également, et Kent lui-même raconte comment il est devenu pédophile.
Alors, certes, le roman est un peu trop foisonnant ; il va dans tous les sens et n’explore pas vraiment toutes les directions dans lesquelles il cherche pourtant à mener le lecteur. De plus, à la toute fin du roman, Wally Lamb débite maladroitement tous les thèmes qui sont censés constituer les différents fils directeurs du roman…. Sauf qu’on se rend compte, à ce moment-là que tous ces fils directeurs n’étaient soit pas bien solides, soit, tellement ténus qu’ils sont passés inaperçus.
Ainsi, bien évidemment, vient en premier le thème de l’eau qui est l’élément d’où l’on vient quand on nait ; l’eau est aussi l’élément qui provoque plusieurs morts dans le roman puisqu’il y a eu la mort de la mère d’Annie lors d’une gigantesque inondation, et celle de ceux qu’on a enfouis dans le puits du jardin de la maison familiale des Oh ; enfin, l’eau est un élément apaisant puisque père et fils, à la fin du roman se confient l’un à l’autre alors qu’ils se trouvent sur les rivages de l’océan. Quant à Annie et à Viveca, c’est à Mykonos, une île située au cœur des Cyclades, île baignée par la mer Egée, qu’elles vont en voyage de noces. Ainsi, l’eau est-elle un élément qui lie et relie les êtres mais ce n’est qu’à la fin du roman qu’on entrevoit ce pouvoir positif de l’eau.
Vient ensuite, le thème du labyrinthe, évoqué à la toute fin du roman et qui se présente ainsi : la vie serait comme un labyrinthe et on la passe à en chercher la sortie en suivant le fil d’Ariane. Cependant, si je me retourne sur ce qui je viens de lire en amont, je ne vois pas en quoi l’ensemble du roman met à jour et exploite ce thème. Enfin, on peut trouver le thème de l’art comme moyen possible pour exorciser les névroses, thème qui, lui non plus, n’est pas bien développé dans le corps du roman. Certes, Annie, la névrosée, est artiste ; elle a la rage de composer des choses un peu étranges et pour ce faire, elle néglige sa famille… mais le thème de l’art s’arrête à ces considérations un peu légères. Certes, il y a aussi l’histoire de Joseph Jones, un noir qui, dans les années soixante, a été retrouvé mort assassiné dans un puits, ce même puits qu’Andrew va utiliser pour cacher le cadavre de Kent. Avec l’évocation de l’assassinat de Joseph Jones, un peintre, au début du roman, je m’attendais à retrouver des fils qui auraient relié Joseph à Annie. Il n’y en a guère et je ne vois pas bien ce que l’histoire de Joseph Jones – qui n’a guère été exploitée - amène de plus au roman. Elle paraît bien finalement être une sorte de digression totalement inutile et gratuite.
Mais j’arrête là avec toute ces critiques sur Nous sommes l’eau car ce roman, en réalité, captive par sa densité, par le travail de l’écrivain autour de la psychologie des personnages. En effet, Wally Lamb dessine leurs névroses de manière passionnante. Et si en eux, il y a le malheur et le désespoir, il y a aussi le bonheur et la force des liens familiaux qui les unissent. Orion et Annie Oh restent attachés l’un à l’autre, même si leur vie prend des voies différentes. Quant à leurs enfants, ils restent attachés à leurs parents et toute la famille se retrouve pour le mariage d’Annie dans la maison d’enfance, là où s’est joué un drame dans le passé, et là où un autre drame va se dérouler.
Alors définitivement, et malgré les critiques que j’ai pu formuler sur Nous sommes l’eau, je conseille de plonger tête la première dans ce roman. On prend beaucoup de plaisir à nager entre ces pages sur le dos, ou sur le ventre.
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