LECTURES VAGABONDES

    Voici  la toute première pièce de théâtre signée Victor Hugo. C’est une pure tragédie, elle s’intitule Irtamène, et Victor Hugo la fait paraître en 1816 ; il a à peine 14 ans !

          Nous sommes en Egypte, à Memphis. Dans le palais des rois occupé désormais par Actor, Irtamène se désole et conspire pour rétablir sur le trône Zobéir, le roi légitime. Cependant, pour l’heure, il est prisonnier d’Actor qui souhaite le condamner à mort. Cependant, Actor aime Phalérie, l’épouse d’Irtamène. C’est pourquoi ce dernier hésite à faire exécuter Irtamène sur lequel il pourrait peut-être exercer une pression pour faire céder Phalérie. Mais la jeune femme refuse toute compromission avec Actor et veut suivre son époux au tombeau. De son côté, le roi privé de royaume par Actor, Zobéir, veut donner, lui aussi, sa vie pour sauver celle d’Irtamène qui refuse, arguant que le peuple d’Egypte a besoin de lui. Ainsi, Actor décide de faire exécuter Irtamène. Mais au moment du supplice, Zobéir intervient et motive le peuple qui se soulève en faveur du condamné. Actor est défait tandis que Zobéir prend place sur le trône.

          Voilà donc l’intrigue d’Irtamène. Autant dire qu’elle est assez légère. Pourtant, il faut bien avoir à l’esprit que Victor Hugo a écrit cette pièce à l’âge de 14 ans ! Alors, là, on se dit : « Chapeau, monsieur Hugo !».

          Cette tragédie est purement classique et respecte la règle classique des trois unités : unité de lieu : nous sommes à Memphis, dans le palais des rois ; unité de temps : la pièce se déroule sur 24 heures, pas plus ; unité d’action : l’exécution d’Irtamène.

          Par ailleurs, la pièce comporte de nombreux monologues dans lesquels les personnages font le point sur leur situation et leurs états d’âme. Elle comprend même, à la fin, un récit façon Théramène (qu’on trouve dans Phèdre de Racine), récit mené par Phorcys, le confident d’Irtamène. Il explique alors le soulèvement du peuple en faveur d’Irtamène et l’éviction d’Actor du trône royal. Certes, cette scène n’est pas montrable et laisse donc place à un récit. En tout cas, Hugo maîtrise parfaitement tous les codes tragiques et même si sa pièce est un peu trop scolaire, elle tient debout.

           Enfin, Irtamène est une pièce intégralement rédigée en alexandrins classiques. Ces derniers ne sont pas encore éclatés comme Hugo aura l’habitude de les composer par la suite.  

              Cependant, il faut bien dire qu’Irtamène est aussi une pièce creuse. Elle comporte de nombreuses redondances. Par exemple, Irtamène ne cesse de clamer sa dévotion au roi légitime, Zobéir, illégalement détrôné. Cette dévotion à Zobéir dépasse l’amour qu’il éprouve pour son épouse Phalérie. D’ailleurs, Zobéir, lui aussi, veut mourir avec Irtamène. Bref, Zobéir et Phalérie veulent mourir pour et avec Irtamène ! Si bien qu’on a l’impression d’assister à une course à celui qui sera le premier à passer l’arme à gauche l  A la fin, c’est un peu lassant.

          Pour le reste, il ne se passe rien dans la pièce.

          Mais pour autant, on admire le talent en devenir de Victor Hugo : à 14 ans, il écrit des tragédies classiques ! Racine n’a qu’à bien se tenir ! Si vous n’êtes pas déjà convaincu du génie de Victor Hugo, lisez Irtamène !