Victor Hugo : Hernani
On ne présente plus Hernani de Victor Hugo, la fameuse pièce qui a fait l’objet d’une non moins célèbre bataille au cœur du théâtre où elle fut pour la première fois représentée en 1830. Ainsi, cette pièce valait-elle tant de fureur ? Etait-elle scandaleuse au point de justifier une telle foire d’empoigne chez les amateurs de théâtre ?
Acte I : Le roi d’Espagne, Don Carlos, s’introduit chez la belle Dona Sol afin d’espionner ce qui s’y trame. Lorsque Hernani paraît, il se cache dans l’armoire et est témoin des élans amoureux de la belle et de son amant. Or, Dona Sol est déjà promise à son oncle, le très noble Don Ruy Gomez de Silva tandis qu’Hernani n’est qu’un bandit en quête de vengeance : le père de Don Carlos, actuel roi d’Espagne, a envoyé le père d’Hernani à la mort : Hernani est donc bien décidé à faire payer à Don Carlos le crime de son père. Trop à l’étroit dans l’armoire, Don Carlos en sort pour annoncer que l’empereur du Saint-Empire, Maximilien, est mort et que lui, Don Carlos, est sur la liste des prétendants au trône. Cependant, des bandits menés par Hernani cherchent à lui nuire. Pour l’heure, il ne reconnaît pas son ennemi, décide de prendre sa place et de se rendre au rendez-vous qu’il a conclu avec Dona Sol car il est également amoureux de la belle.
Acte II : Don Carlos et quelques courtisans de sa suite font le pied de grue sous les fenêtres de Dona Sol. Lorsque Hernani arrive, les deux hommes s’affrontent verbalement et lorsque le roi découvre qui est réellement Hernani, il refuse le duel tandis que le bandit refuse de l’assassiner lâchement. L’affaire se réglera donc par ailleurs et pour l’heure, c’est le statut quo.
Acte III : Nous sommes chez Don Ruy Gomez que Dona Sol s’apprête à épouser contre son cœur. Lorsque Hernani paraît, Don Sol exprime son désir de partir avec lui au grand dam de Don Ruy Gomez. C’est alors que paraît Don Carlos : il recherche Hernani que, malgré tout, Don Ruy Gomez cache et refuse de livrer au roi. Comme moyen de pression, Don Carlos décide d’enlever Dona Sol. Hernani jure fidélité à Don Ruy Gomez.
Acte IV : Nous sommes dans le tombeau de Charlemagne, là où se cachent les conjurés. Don Carlos exprime son désir de devenir empereur du Saint-Empire romain germanique. Du côté des conjurés, on élit celui qui portera un coup fatal à Don Carlos. C’est Hernani qui est désigné. Mais c’est alors que Don Carlos paraît et arrête les conjurés. Entre temps, le duc de Bavière et le roi de Bohème viennent annoncer à Don Carlos qu’il a été nommé empereur du Saint-Empire romain Germanique. Hernani dévoila alors sa véritable identité : il est Jean d’Aragon. Dona Sol intervient pour demander grâce au roi qui, devenu empereur, la donne en mariage à Hernani, son ennemi, qu’il fait également chevalier ; par ailleurs, il pardonne aux conjurés le fait d’avoir comploté contre lui. Hernani change donc de sentiments à l’égard de l’empereur qui s’est transformé, d’un seul coup, du fait de son élection : il est devenu le grand Charles Quint. Tous lui font honneur, sauf Don Ruy Gomez qui a perdu sa fiancée.
Acte V : Dona Sol et Hernani viennent de se marier et sont heureux. Mais c’est sans compter Don Ruy Gomez, désespéré par la perte de sa fiancée ; il décide d’anéantir son ennemi, Hernani, qui lui est pourtant redevable. Le vieillard lui demande donc sa vie et ne se laisse nullement attendrir par les supplications de Dona Sola. Hernani décide de sacrifier son bonheur à son honneur et à la suite de son épouse, avale le poison que Don Ruy Gomez avait apporté. Les amoureux meurent ensemble, suivis par Don Ruy Gomez qui se tue, désespéré par la mort de Dona Sol.
Hernani, c’est donc la pièce de théâtre qui a donné lieu à la célèbre bataille des romantiques contre les classiques. Si les deux camps se sont battus en plein dans la première représentation, c’est que le jeune Victor Hugo en proposant cette pièce, bouleversait tous les codes sur lesquels reposaient jusqu’alors le théâtre. Est-ce donc une révolution que cette pièce ?
Dans la forme, oui, certes. Le théâtre classique reposait sur la règle des 3 unités – lieu, temps, action – et Hernani, avant même les premiers vers, brise tous ces codes. L’action commence dans la chambre d’une femme, lieu trop intime pour que l’ensemble de l’intrigue puisse y tenir. Ainsi le changement de décor à l’acte suivant est implicitement indiqué. De la même manière, le fait de commencer l’action en pleine nuit est une entorse aux habitudes de l’unité de temps qui implique que l’action commence à l’aube pour se terminer au soir de la même journée. Restent encore quelques nouveautés : l’alexandrin classique est ici éclaté, le choix du sujet est historique et concerne, non pas l’antiquité, mais la Renaissance espagnole.
Ainsi, avec Hernani, on assiste à une vraie révolution… dans la forme, seulement.
Car dans le fond, tous les ingrédients d’une tragédie classique sont réunis. D’abord, le thème général de la pièce concerne des amours contrariées par des questions de vengeance et des questions d’honneur. Par ailleurs, on évolue dans le monde des puissants qui dirigent le monde puisqu’un des personnages principaux de la pièce n’est autre que le roi d’Espagne, Don Carlos qui deviendra au troisième acte Charles Quint. Bref, l’univers d’Hernani est d’un tragique tout à fait classique.
Par ailleurs, comme dans toute tragédie qui se respecte, la pièce contient de nombreux monologues où les personnages font le point sur leur destin et leurs aspirations. Ainsi, on pourra lire le célèbre monologue d’Hernani : « je suis une force qui va », ou encore les monologues déchirants de Don Ruy Gomez qui se lamente sur son âge et l’injustice du temps qui passe, et le rend désormais indigne d’être aimé par la jeune femme dont il est épris. Enfin, on trouvera aussi le monologue de Don Carlos qui, de roi d’Espagne, se métamorphose en empereur du Saint-Empire romain. Cette élévation bouleversera son âme puisque, d’homme sensuel et tourmenté par ses petites histoires personnelles et celles de sa cour, il devient magnanime et impérial ; il pardonne ainsi à tous les conjurés le complot qu’ils étaient en train de mener contre lui.
De plus, la pièce propose aussi une vision assez corrosive de la cour du roi Don Carlos. Ainsi, de manière comique, Hugo propose des personnages comme Don Ricardo et tutti quanti qui ne pensent qu’aux titres honorifiques qu’ils peuvent obtenir en restant auprès du roi.
Mais Hernani, c’est aussi un drame romantique qui présente le héros dit romantique dans toute sa splendeur. En effet, Hernani est un jeune homme aux origines obscures doté d’un cœur noble. En ce sens, il préfère son honneur à son bonheur. Son existence est régie par une vieille vengeance qui concerne son père et le père de Don Carlos. Cependant, pour rien au monde, il ne veut lâcher l’affaire. C’est donc un personnage sombre et entier, doté de toutes les caractéristiques du héros romantique.
Enfin, je déplore le fait qu’encore une fois dans le théâtre de Victor Hugo, l’héroïne féminine n’occupe qu’une toute petite place dans la pièce. Dona Sol est certes l’objet de la convoitise de trois hommes, mais le drame se joue entre eux et la jeune femme assiste à des débats qui la concernent, mais n’y prend pas véritablement part.
Ainsi, Hernani, c’est une pièce qui a marqué l’histoire du théâtre… peut-être de manière exagérée car dans le fond, elle propose une intrigue tragique tout à fait classique. Elle parait aujourd’hui un peu datée, mais peu importe : le génie de Victor Hugo y est présent et c’est avec délectation qu’on le retrouve ici encore.
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