Raymond Castells : Hôpital psychiatrique / Complétement fou !
Je sais bien que personne n’a tellement envie d’aller passer un séjour, même de courte durée, dans un hôpital psychiatrique. Pourtant, avec Raymond Castells comme guide, on aurait tort de ne pas se laisser tenter par un petit voyage au sein de ce milieu secret qu’est l’univers de l’hôpital psychiatrique. Ainsi, pour commencer, on se procure ce roman – Hôpital psychiatrique – dont Raymond Castells est l’auteur et qui paraît en 2012 aux éditions Payot & Rivages.
C’est en 1937 que Louis Dantezzi est interné à l’hôpital psychiatrique de Murmont, près de Toulouse. La raison de cet internement est que notre héros aurait tué son beau-père, sa mère et sa sœur ; cependant, le doute plane sur la culpabilité de Louis. Aussitôt, après un séjour de quelques semaines en cellule d’isolement, notre homme est placé dans le quartier des agités et des criminels dangereux où il rencontre celui qui y règne et qu’il n’est pas conseillé d’affronter - Tony et ses deux acolytes : Hippopo et Rhino. Dans cet univers dangereux et inhumain, Louis va cependant faire connaissance avec un médecin pétri d’humanité : le docteur Elie Bronstein qui le fait rapidement admettre dans un quartier plus calme : le quartier des débiles et des séniles. Là, il rencontre un fou qui se prend pour Jésus et qui, comme Tony dans le quartier des agités et des criminels dangereux, est celui que tout le monde écoute et admire et qui le prend sous sa protection. Il rencontre également Justin qui s’occupe du jardinage dans l’hôpital. Grâce à ces deux personnes, et à la protection du docteur Bronstein, Louis est chargé de faire la comptabilité au sein de l’hôpital. Mais notre homme n’a pas dit son dernier mot et il fait bientôt part de ses projets de développement concernant l’hôpital au directeur qui, conquis par l’intelligence de notre héros, le nomme secrétaire général de l’hôpital ; il intègre donc le pavillon de la direction et travaille auprès de Crochu, l’intendant qu’il a vite fait d’évincer. En effet, Tony et ses acolytes se sont évadés de l’hôpital et Crochu est accusé d’avoir favoriser cette évasion. Louis rencontre également celle qui sera le grand amour de sa vie : Louise, internée dans la section des femmes. La jeune femme a été bien malmenée par les hommes desquels, toute sa vie, elle a eu à subir les viols et violences… et le calvaire continue aussi à l’hôpital où presque tout le personnel masculin est passé sur elle. Louis, de son côté, n’ose toucher la jeune femme qui tombe amoureuse de lui. Cependant, la guerre éclate et de nombreux hommes, membres du personnel de l’hôpital, sont réquisitionnés. Par ailleurs, des malades, issus d’autres hôpitaux qui doivent fermer par manque de personnel, affluent à Murmont. Enfin, le directeur profite de cette situation trouble pour s’enrichir en vendant la production de viande et de légumes de l’hôpital au marché noir – soit-dit en passant : notre directeur chéri collabore également avec l’Allemagne nazie ; de plus, il profite de l’ambiance générale - qui n’est guère à la compassion pour les handicapés mentaux - pour se livrer à des expériences médicales sur les malades (électrochocs, insulinothérapie, ou encore ligatures des trompes de Fallope). Puisqu’il a découvert l’endroit où le directeur planquait sa fortune, Louis n’a désormais plus qu’une seule idée en tête : s’évader de cet hôpital avec sa bien-aimée Louise, malheureusement enceinte d’un de ces hommes qui lui passent dessus à longueur de temps. Ce projet est encore renforcé par le fait que le bon docteur Bronstein, juif, a été dénoncé à la milice par le directeur de l’hôpital et qu’on est venu le chercher ; par ailleurs, l’infirmier Cloporte, désormais engagé dans la résistance, et Tony, désormais engagé dans la collaboration active avec l’ennemi, sont revenus à l’hôpital pour y poursuivre leurs petites affaires personnelles en toute quiétude. Cette situation explosive va encore se renforcer par le fait que Louis se voit contraint de tuer le directeur de l’hôpital, bien décidé à procéder à une ligature de trompes de Fallope sur Louise. Aussitôt, il prend sa place mais aussitôt également, l’hôpital est envahi par l’occupant : des milliers d’hommes intègrent l’endroit sous la direction du colonel Herr Oberst Von Katz. Ce dernier déteste cordialement la guerre et Hitler, mais lorsque, à cause d’un sabotage dont le résistant Cloporte est responsable, on amène des otages dans la cour de l’hôpital pour les fusiller en représailles, et lorsque Louis aperçoit le docteur Bronstein parmi eux et qu’il le supplie d’épargner ce dernier, le colonel ne cède pas et le docteur Bronstein est exécuté. Dès lors, Louis conçoit deux projets : il veut toujours s’évader de l’hôpital, mais auparavant, il veut venger la mort du docteur Bronstein. Pour ce faire, il élabore un plan : organiser une grande fête de Noël à l’hôpital et profiter de ce grand rassemblement pour tout faire sauter. Pour ce faire, il joue avec les différentes communautés et s’appuie sur les résistants pour effectuer certaines tâches, sur les collabos pour d’autres, mais le grand chef d’orchestre, c’est lui. Il va sans dire que l’évasion de Louis et de Louise est spectaculaire et dotée de nombreux rebondissements ; mais finalement, tous les méchants – c’est-à-dire tous ceux qui ne sont ni Louise ni Louis – trouvent la mort dans l’explosion de l’hôpital. Le couple parvient à s’évader grâce à monsieur Picarel et à monsieur Thouzalin – respectivement ancien employeur et ancien instituteur de Louis qui, ni l’un ni l’autre, n’a jamais cru en la culpabilité de Louis dans l’assassinat de sa famille – et partent attendre la fin de la guerre en Espagne. Le couple aura par la suite, un fils – Elie - qui aura lui-même un fils – Louis. Tous deux feront de belles carrières dans la fonction publique. Quant à Louis, devenu très riche grâce aux valises remplies des trésors du directeur de l’hôpital, il sera philanthrope et fiancera un nouvel hôpital destiné à mieux soigner les malades mentaux à Murmont : le centre hospitalier Elie Bronstein.
Avec Hôpital psychiatrique, Raymond Castells signe un roman noir qui dépeint le fonctionnement d’un hôpital psychiatrique aux heures sombres de la seconde guerre mondiale et du nazisme, époque où on ne soigne pas vraiment les malades mais bien plutôt où on les parque pour qu’ils ne troublent pas la société qui préfère ne pas les voir, qui préfère les oublier. De manière plus précise, sous le règne maudit d’Hitler, on va même jusqu’à assassiner les malades mentaux considérés comme des bouches inutiles à nourrir, comme une insulte à l’humanité et particulièrement à la perfection de la race aryenne.
Ainsi, l’hôpital psychiatrique fonctionne sur un mode qui rappelle celui des prisons. On y pratique certaines formes de torture et Louis va subir l’épreuve de la baignoire ou encore l’expérience de la cellule d’isolement. Par ailleurs, là sévissent des caïds, là les malades sont soumis à la toute-puissance des infirmiers, infirmières ou encore surveillants, qui n’hésitent pas à le livrer à toutes sortes d’abus sur eux, notamment en ce qui concerne les femmes qui, pour peu qu’elles soient jeunes et jolies, sont violées à tour de bras.
Ainsi, Hôpital psychiatrique offre une vision bien noire des personnels qui y sévissent. Certes, on y rencontre le très humain docteur Bronstein, mais tous les autres employés qui travaillent entre les murs de l’hôpital psychiatrique de Murmont sont des êtres égoïstes qui se servent de leur pouvoir pour assouvir des pulsions violentes. Le pire parmi tous ces sinistres individus, c’est le directeur : très imbu de son pouvoir, il est arrogant et croit être un grand médecin ; en effet, il se livre à des expériences médicales qui conduisent à la mort certaines patientes qu’il utilise comme cobayes. Par ailleurs, il collabore avec les nazis ou encore avec la milice française et s’enrichit sur le dos des patients qu’il laisse mourir de faim.
Reste à évoquer le héros de ce roman, le très intelligent Louis Dantezzi. C’est lui qui dirige réellement l’hôpital et il met en œuvre des projets concrets de développement des activités de production qui permettent aux malades d’occuper leur temps et de participer au bon fonctionnement de la communauté. Il sait contenir sa haine, notamment celle envers le directeur, et attendre son heure : avec Louis, la vengeance est un plat qui se mange froid. Son plan d’évasion, il l’a conçu tout seul et a su manipuler et utiliser tous les acteurs de l’hôpital pour s’octroyer leur aide dans ce grand projet de tout faire sauter avant de déguerpir. Tel un marionnettiste, il tire les ficelles et orchestre le grand spectacle final. Certes, il a un passé trouble : il est accusé d’avoir assassiné sa famille - beau-père, mère et sœur – même si finalement, les choses se révèlent n’être pas aussi simples. Quoiqu’il en soit, Louis comme Louise ont subi des violences familiales qui les ont poussés au meurtre et l’un comme l’autre a assassiné un membre de leur famille, certes, mais celui-ci terrorisait les autres.
Enfin, considérons la construction originale d’Hôpital psychiatrique. Elle consiste en de petits chapitres dont l’action commence en 2010 ; le journal la République du Midi publie un article sur les exploits passés de Louis et de Louise : ils ont fait sauter l’hôpital de Murmont en 1942. Sur ce, le roman opère un grand flash-back : Louis et Louise racontent à deux voix (même si c’est Louis qui a le plus souvent la parole), leur expérience et leur vécu à l’hôpital de Murmont. Ainsi seront expliquées les différentes raisons qui ont poussé nos deux héros à commettre l’irréparable : l’explosion finale de l’hôpital.
Ainsi, j’ai beaucoup aimé cette petite virée entre les murs de l’hôpital psychiatrique de Murmont. Il y règne une bonne dose d’humour noir et on y voit s’agiter de vrais gros méchants et un héros plein de cynisme et de malice. Je recommande donc cette petite hospitalisation qui guérira assurément le lecteur de toute mélancolie et autre dépression dont il pourrait être l’objet.
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