LECTURES VAGABONDES

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Rana Dasgupta : Tokyo : vol annulé

   

    Voici un roman qui flirte avec le recueil de nouvelles. A la manière des Contes des 1001 nuits ou encore du Décaméron de Boccace, Rana Dasgupta imagine 13 histoires racontées par les 13 passagers prisonniers de l’aéroport de New Delhi pour cause de vol annulé en raison du brouillard et du mauvais temps. C’est la nuit, les passagers vont la passer ensemble, assis dans la salle d’embarquement de l’aéroport. Ils décident alors de se raconter des histoires. Voici donc l’idée de départ qui a animé l’écrivain Rana Dasgupta pour son roman-recueil de nouvelles intitulé Tokyo, vol annulé, paru en 2005 aux éditions Buchet-Chastel.

 

1 – Le tailleur : Le prince Ibrahim demande à un modeste tailleur nommé Mustafa, de lui coudre le plus beau et le plus luxueux vêtement. Ce dernier s’exécute mais une fois l’habit prêt, il ne peut pénétrer dans le palais du prince et enterre la robe au pied d’un arbre pour la cacher. Les années passent pendant lesquelles le tailleur s’appauvrit jusqu’à devenir un loqueteux. Lorsqu’enfin le prince le reçoit, c’est pour l’humilier et le renvoyer. Cependant, Suleiman croit le vieux tailleur et veut voir la robe. Malheureusement, celle-ci a été trouvée et le tailleur doit se résoudre à cette perte. Il devient conteur et s’installe dans une petite ville où il reprend son activité de tailleur et de conteur.

2 – L’arrangeur de souvenirs : Thomas est le troisième d’une fratrie plutôt ambitieuse et désireuse d’accumuler l’argent, ce qui n’est pas son cas. Chassé par son père, il est recruté par une agence destinée à trier les souvenirs des gens, à les enregistrer et à les commercialiser à une époque où l’amnésie menace l’humanité. Thomas doit retirer les mauvais souvenirs, ceux qui sont cruels ou violents. Mais le fardeau est bien lourd et Thomas manque d’être étouffé sous leur poids ! Un jour, son père vient le trouver pour acheter ses souvenirs. Ainsi, la prophétie de Thomas se confirme : son père est plus pauvre que lui puisqu’il n’a plus de souvenirs.

3 – Le sommeil du milliardaire : Rajiv est un très riche entrepreneur indien à qui tout réussit. Cependant, l’homme ne sait pas ce que c’est que le sommeil et en souffre. Il rêve d’avoir un garçon. Un jour, sa femme, Mira, tombe enceinte et met au monde une ravissante fille prénommée Sapna tandis que son jumeau, Imrah, est difforme. Rajiv se débarrasse de l’enfant et le confie à une famille de libraires. Cependant, la petite Sapna est dotée d’un pouvoir surnaturel : pendant qu’elle dort, les végétaux se mettent à pousser et deviennent géants. Ce pouvoir est merveilleux, mais il embête tout le monde alors, la fillette est enfermée dans une robuste tour. De son côté, Imrah devient célèbre grâce à sa laideur. Curieux de ses origines réelles, il retrouve sa sœur qu’il libère et tandis que l’un et l’autre sont réunis comme dans le ventre d’une mère, Rajiv trouve enfin le sommeil.

4 – La maison du cartographe francfortois : Un cartographe du nom de Klaus Kaufmann se rend en Turquie pour y élaborer une carte sur les fins-fonds de l’Anatolie. En route, il tombe en panne et est sauvé de la déshydratation par une femme qui vit dans une grotte. C’est avec sa fille Deniz qui a la particularité de communiquer par transmission de pensée – qu’il rentre chez lui en Allemagne. Dans la fantastique maison truffée d’écrans géants, Deniz est livrée à elle-même ; elle y divague et explore la fameuse salle de cartographie. Elle est bientôt embauchée comme femme de ménage dans un hôtel. Là elle se lie d’amitié avec Klaudia Malesyk. Lorsque celle-ci tombe enceinte puis malade, des événements mystérieux se produisent : une invasion de singes, la chambre 401 inondée de sang, et la duplication de Klaus, le froid cartographe, qui repousse les avances de Deniz. Karl est son sosie et devient l’amant de Deniz. Une dernière duplication de Klaus – nommée Kurt - se manifeste.

5 - Le magasin de Madison avenue : Quand le fils naturel de Robert de Niro – un taximan new-yorkais prénommé Pavel – croise le chemin de la fille naturelle d’Isabella Rosselini – qui porte le même prénom que sa mère – une histoire d’amour commence. Un jour, en mangeant des Oréo et en suivant le mode d’emploi indiqué sur le paquet, Pavel transforme Isabella en magasin de vêtements qui très vite marche du tonnerre de dieu. Tous les soirs, en suivant la recette du paquet de biscuits, Isabella reprend forme humaine. Les deux amants deviennent très riches. Lorsqu’il ne reste plus que deux biscuits, Pavel et Isabella décident de jouer le tout pour le tout et de profiter une dernière fois d’une journée prometteuse en affaires. Cependant, au moment d’exécuter la phase de retour à la forme humaine, deux hommes se saisissent de Pavel et le jeune homme perd le biscuit Oréo alors qu’Isabella reste dans une forme hybride – mi femme, mi-magasin – sanguinolente. Par ailleurs, il n’existe plus de biscuits Oréo au pouvoir magique. Pavel, après de longues recherches, trouve le secret de la transsubstantiation de la matière. Il rend à Isabella sa forme humaine tandis qu’il transforme Chu Yu Yang et ses treize filles – à l’origine du malheur – en cachots.

6 - L’échangeur : Marlboro est engagé par M Bundu pour veiller sur un florissant marché situé sous un échangeur. Le jour où on décide de murer l’endroit, M Bundu ordonne à Marlboro de tuer le commissaire à l’origine du projet. Marlboro remplit sa mission mais culpabilise tant qu’il décide de se laisser emmurer sous l’échangeur.

7 - Le ralentisseur : Zack et Marie vivent dans une banlieue résidentielle sans histoires. Ils ont deux enfants qui leur posent les classiques soucis de l’âge adolescent - notamment Matt qui ne jure que par sa moto Honda. Un jour, des ralentisseurs sont posés dans la rue qui passe devant la maison de Zack et Marie. Alors qu’ils ne sont pas encore peints, Matt, alors aux commandes de sa Honda, se fracasse la tête sur l’un d’eux. Etrangement, au lieu de s’inquiéter de son fils, Zack peint les ralentisseurs pour les rendre bien visibles.

8 - La poupée : Yukio travaille pour Novartis. C’est un jeune homme ambitieux et brillant. Il épouse la fille du patron de la boîte pour laquelle il travaille ; elle se prénomme Minako. Le bonheur est complet. Mais un jour Yukio décide de se lance dans un projet de recherche et se plonge dans le travail de manière excessive. Son couple commence à battre de l’aile. Yukio prend un appartement à Tokyo pour pouvoir travailler seul, au calme. Cependant, la solitude lui pèse. Pour combattre celle-ci, il fabrique une poupée plus vraie que nature et tombe amoureux d’elle. Très vite, la poupée – prénommée Yukiko – apprend à parler et devient la compagne idéale. Le travail de Yukio pâtit de cette relation. Pour reprendre en main sa vie, le jeune homme consulte un psychothérapeute qui lui demande les clefs de l’appartement où se trouve Yukiko. Lorsque le psychothérapeute couche avec la poupée de Yukio, ce dernier rentre dans une rage folle et casse cette dernière. C’est le début d’une réconciliation entre Yukio et Minako.

9 – Le rendez-vous à Istanbul : A Istanbul, Natalia et Riad tombent amoureux. Cependant, pour gagner sa vie, Riad doit partir. Natalia lui donne rendez-vous dans un café d’Istanbul six mois plus tard, le 13 janvier. Cependant, le bateau sur lequel Riad a embarqué est bloqué à Marseille et le jeune homme ne peut se rendre au rendez-vous prévu par Natalia. C’est alors qu’un oiseau sort de la bouche de Riad et va à la rencontre de Natalia qui se laisse guider par lui jusqu’à Riad. C’est en Italie que le couple décide de poursuivre sa vie.

10 – L’enfant de fée : Bernard Dussoulier est un enfant de fée. Il peut prendre forme humaine et c’est sous cette forme qu’il épouse Claire. Mais lorsque celle-ci découvre que Bernard n’est pas un être humain véritable, elle le quitte. Seul et démuni, Bernard rencontre dans la rue un vieil homme malade : Fareed. Ce dernier est atteint d’un mal : des fleurs poussent à l’intérieur de son corps. Pour pouvoir mourir tranquille, Fareed demande à Bernard de lui rapporter un mot. Alors qu’une épidémie de variole décime la ville, Bernard part à la chasse aux mots. Au bout de 13 jours - pendant lesquels il chante - Fareed meurt et se transforme en plante qui finit par aspirer le corps de Bernard et l’emmener dans la plénitude de la mort. 

11 – Le pacte du caveau : Katia nait à Bytom, une petite ville de haute Silésie. Abandonnée à sa naissance, elle est recueillie par une famille qui lui apprend la couture. Elle se met à fabriquer des dessus de lit qui font bientôt fureur car ils sont dotés de pouvoir surnaturels. Forte de ce succès, Katia part pour Varsovie et fait la connaissance de Magda qui lui fait découvrir un nouveau métier un peu particulier puisqu’il s’agit d’assouvir les fantasmes masochistes de certains hommes. Dans le caveau où se déroulent ces activités, Katia rencontre K dont elle tombe amoureuse. Parmi ses clients, un certain W lui assure qu’il peut réaliser ses vœux. Katia lui demande alors de lui donner l’apparence de la femme de K afin qu’elle puisse se glisser dans le lit de ce dernier et concevoir avec lui un enfant. L’affaire tourne mal car Katia découvre que K maltraite sa femme et ne couche plus avec elle. Pour se venger de W, elle se décide à le tuer. Cependant, c’est son vrai père, Wiktor qui, en voulant retrouver sa fille, se trouve à l’endroit où celle-ci avait rendez-vous avec W. Katia tire sur son père dont le cerveau est irrémédiablement touché ; ce dernier retombe en enfance et c’est Katia qui s’occupe de lui.

12 – Le nettoyeur d’oreilles qui avait de la chance : Xiaosong est un coiffeur et un nettoyeur d’oreilles doué. Ambitieux, il quitte sa Chine natale pour faire fortune à New York. Là, il rencontre M WU qui l’embauche dans son entreprise. Xiaosong monte les échelons très vite. C’est alors qu’il commence à voir des formes d’oreilles planer dans les airs. Il reconnait l’oreille de Yingfang, son amie chinoise. C’est alors que Xiaosong décide de renoncer à New York et à sa réussite pour retourner auprès de Yingfang.

13 – Le recycleur de rêves : A Buenos Aires, Gustavo est passionné de cinéma. Il commence par ouvrir un commerce de DVD, puis un ciné-club. Bientôt, il se lance dans l’enregistrement de rêves : avec des électrodes, il enregistre les rêves des gens. Lorsqu’il rencontre Carla, c’est le coup de foudre. Cependant, très vite, leur histoire tourne au tragique : ni l’un ni l’autre ne peuvent plus manger. C’est alors la descente aux enfers. Gustavo et Carla deviennent SDF. En triant des détritus, ils découvrent un congélateur. Carla décide de s’y coucher : peut-être qu’un un jour, on la ressuscitera. Gustavo, désormais seul, entre dans une pension gratuite si, en échange, il accepte d’offrir ses rêves. C’est alors qu’un homme qui a son physique le réveille. Il publie donc une compilation de treize rêves, œuvre qui rencontre un certain succès. C’est alors qu’il se réveille avec mal au ventre. Est-il malade ou a-t-il seulement faim ? Il décide de se rendormir.

Mais c’est le petit matin. Les 13 passagers se séparent pour prendre le vol qui les amènera à Tokyo.

 

          Quelle déception que ce roman aux multiples histoires ! Quel ennui que cette lecture ! Certes, les histoires sont variées et nombreuses, ce qui atténue un peu la sensation d’inintérêt et allège le pesant temps passé à mastiquer ce livre-pensum.

          En effet, d’un bout à l’autre de ces centaines de page, se déroulent des histoires sans inspiration et sans queue ni tête. Tout d’abord, ces histoires sont mal construites - voire pas du tout construites - et Rana Dasgupta donne l’impression d’écrire n’importe quoi, au fil des lignes, sans réfléchir à la page suivante, à la phrase suivante, au mot suivant. D’une situation initiale donnée, il dévie vers des perspectives sans grand rapport avec celle-ci et l’ensemble donne un impression de gratuité. Bref, l’auteur improvise, se livre à de la permanente digression. Par ailleurs, on attend d’un conte ou d’une nouvelle une fin bien pensée et vigoureuse que l’on appelle « chute de l’histoire ». Dans Tokyo, vol annulé, rien de tel ! Pas de chute, pas de morale finale.

          Par ailleurs, Rana Dasgupta tente d’allier le réel et le merveilleux, suivant la coutume des contes orientaux, à ceci près que l’imbrication entre ces deux pôles extrêmes ne fonctionne pas. Au lieu de nous transporter dans un univers certes onirique, mais qui serait quand même porteur d’un sens, Rana Dasgupta donne l’impression d’avoir fumé la moquette et nous entraine dans des visions tout aussi baroques qu’invraisemblables et gratuites où il est question de biscuits Oréo aux pouvoirs magiques ou encore d’oreilles qui planent dans le ciel. Ajoutons à cela que les personnages n’ont aucune envergure et que l’écriture se complait dans une pseudo-poésie et nous aurons un cocktail assez écœurant auquel il est déconseillé de goûter.

          Enfin, reste le fil directeur censé unifier les différents contes et histoires proposés dans Tokyo, vol annulé. Des voyageurs en partance pour Tokyo se racontent des histoires pour tuer le temps dans l’aéroport de New Dehli où la météo les contraint d’attendre. Pour le coup, on attend qu’il y ait là aussi une vraie histoire qui relierait des treize récits entre eux. Car eh oui ! On attend de connaître les personnages qui prennent la parole, on attend de les voir évoluer au fil de la nuit, au fil des récits proposés, on attend des liens qui se créeraient entre eux, on attend une justification de chaque récit. Rien de tout cela ici ! Le fil directeur semble être un simple prétexte au défilé des récits. D’ailleurs, on est bien content quand on a trois ou quatre lignes à se mettre sous la dent en guise de lien entre les différentes histoires ! La plupart du temps, il n’y a rien entre la fin d’un récit et le début du suivant.

          Certes, à la fin du livre, on a une sorte de mise en abyme bâtie de guingois : le recycleur de rêves mentionne qu’il va faire paraître un recueil de treize rêves enregistrés dans les cerveaux de treize dormeurs. Cette mention laisse à penser que peut-être, les récits présentés comme oraux au début du roman seraient en réalité les rêves qu’ont fait nos treize passagers qui n’ont ainsi rien communiqué par la parole ; d’où l’absence de liens entre les récits, d’où le grand n’importe quoi des récits (car nos rêves sont bien souvent dénués de sens). D’où aussi la question : un tel recueil de rêves est-il intéressant ? Quand on pense à l’intérêt suscité, dans la vie réelle, par une personne qui insiste pour raconter le rêve extraordinaire qu’elle a fait la nuit passée ! Voilà qui est édifiant ! Tokyo, vol annulé, c’est un méli-mélo de rêves sans queue ni tête qui font de cette œuvre un ovni, certes, mais ennuyeuse et sans intérêt. Voyage à annuler !



25/07/2021
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