Primo Lévi : Si c'est un homme/ S'il est des mots.
A l'occasion du 75ème anniversaire de la libération des camps de l'horreur nazie, je me suis replongée dans Si c'est un homme que Primo Levi a écrit en 1947 et qui paraîtra en France en 1987 aux éditions Julliard.
Dans ce récit, Primo Lévi témoigne de l'année qu'il a passée en détention dans le camp d'Auschwitz. C'est en janvier 44 qu'il arrive dans cet enfer. Il fut arrêté pour résistance et déporté d'Italie en Pologne. Une fois arrivé au camp d'Auschwitz, il a la chance d'être retenu pour travailler. Affecté à un block, il raconte la lutte quotidienne pour la survie ; entre autres, garder sur soi les maigres possessions qui sont permises - les chaussures, la gamelle, les gants – sous peine de se les faire voler; savoir dormir debout ; choisir la bonne place dans la queue pour avoir la meilleure soupe, celle du fond, plus épaisse que celle du dessus... Il raconte aussi comment on dépouille un individu de toute humanité : on lui retire tout ce qu'il possède, jusqu'à son identité, jusqu'à ses cheveux et ses poils pubiens. Il raconte aussi la vie quotidienne rythmée par le travail, l'appel, les repas, la toilette, et les nuits où on rêve, entassés à deux par couchette. Enfin, Primo Levi évoque les combines qui permettrent de manger, de dormir, de rester propre. Certes, il faut être futé et plein de ressources : ce sont ceux qu'il appelle "les élus" qui survivront. Celui qui ne le comprend pas, qui ne sait pas se débrouiller – et ce au prix de la morale, mais à Auschwitz, on se situe au delà du bien et du mal – est condamné et se retrouve parmi « les damnés ». Dans le camp, Primo Lévi effectue des travaux de force comme celui qui consiste à transporter des traverses de chemin de fer. Un jour, il est blessé au pied et fait l'expérience de l'infirmerie, le KB, endroit où il se retape mais où le danger de finir gazé plane quotidiennement sur les malades. D'ailleurs, il échappera à la grande sélection d'Octobre 44. Et puis, dans son grand malheur, il a de la chance. En tant que chimiste, il intéresse l'usine de La Buna et passe un examen auprès du docteur Pannwitz afin d'intégrer une équipe de spécialistes. La réponse n'est pas immédiate, mais après plusieurs mois, il est recruté, ce qui lui permet de travailler au chaud et d'avoir accès à tout un tas de matériel à voler qu'il troque ensuite contre de la nourriture. Alors qu'on entend distinctement les bombardements et les tirs qui annoncent la présence proche des alliés, Primo Levi tombe malade. Il échappe à la longue marche d'évacuation du camp dans laquelle son ami Alberto trouve la mort. S'ensuivent alors 10 jours dans un camp laissé à l'abandon où seuls les malades et les trop faibles ont été laissés. Il faut survivre, s'organiser, trouver de quoi se chauffer et de quoi se nourrir. Mais désormais, ils sont des hommes libres. Bien peu parmi les déportés à Auschwitz auront la chance de faire de nouveau partie des « élus ».
J'ai très peu lu de témoignages sur l'horreur des camps nazis. Aussi, j'ai très peu de points de repères. Ce que je peux néanmoins affirmer, c'est que Si c'est un homme de Primo Levi est une parole forte.
D'abord, Primo Levi a la force de proposer un témoignage dépassionné, exempt de toute haine envers ses tortionnaires. D'ailleurs, ainsi qu'il le dit dans l'annexe présente à la fin du récit, il a très peu eu l'occasion de rencontrer les SS. Le seul souvenir qu'il a d'eux, c'est lors de l'exécution d'un membre des Sonder Kommandos qui a tenté de dynamiter un crématorium dans le camp de Birkenau. Le reste du temps, ce sont de prisonniers – souvent non juifs – qui commandent les blocks et surveillent les détenus juifs.
Par ailleurs, Primo Levi a aussi su éviter les écueils du trash et du pathos. C'est un récit clinique qu'il propose. Et c'est bien peut-être ce parti-pris du dépassionné qui fait froid dans le dos. Le chapitre consacré à la sélection d'octobre 44 est terrible. Dans les baraquements, les déportés doivent se déshabiller et passer devant un médecin qui les fait mettre à droite ou à gauche. Parfois, il y a erreur sur la personne car il faut aller vite et le médecin indique la file des sélectionnés à un détenu en bonne santé. De toutes manières, une fois la sélection faite, chacun retourne à sa couchette dans l'attente du grand départ – au travail ou à la chambre à gaz.
Enfin, Primo Levi ne raconte pas seulement le quotidien des détenus à Auschwitz. Il tente aussi d'analyser l'âme de ces détenus : que peut-on apprendre sur l'homme de cette grande entreprise de deshumanisation ? Qu'est-ce qu'un homme qu'on a privé de son humanité ? Une pauvre chose hâve, vide de tout : d’émotion, de pensée, et même de désir de vivre tant l'épuisement est intense. De cette expérience de la détention à Auschwitz, le lecteur ne peut rien se figurer exactement. Il ne peut que comprendre de manière abstraite les souffrances physiques et morales endurées. La faim ressentie est sans commune mesure avec ce qu'on peut éprouver lorsqu'on se prive de quelques repas. La fatigue est sans commune mesure avec celle qu'on peut éprouver après quelques nuits d'insomnies.
Que puis-je dire d'autre sinon qu'il faut lire Si c'est un homme de Primo Levi. Je conseille aussi le lire l'appendice que Primo Levi a écrit en 1976 et qui contient les réponses face aux questions les plus banales posées à propos de Si c'est un homme. On y trouve des réflexions complémentaires sur cette horrible expérience de détention dans le camp d'Auschwitz.
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