LECTURES VAGABONDES

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Margaret Atwood : La voleuse d’hommes/Un roman de haute volée.

 

                On connait l’expression « voleur de poules ». Mais voilà que Margaret Atwood s’attaque aux voleuses d’hommes ! A croire que les femmes sont plus ambitieuses que les hommes au niveau de cette activité pas très recommandable. Mais trêve de méchanceté car nous sommes là pour parler du bon roman de Margaret Atwood, la voleuse d’hommes paru en France en 1994 aux éditions Robert Laffont.

 

                Trois femmes, trois amies de longue date, et un point commun : Zénia. La terrible Zénia qui leur a volé leur mari ou compagnon, naguère. Depuis, la voleuse d’hommes est morte, ratiboisée par une bombe au Liban. Pourtant, alors qu’elles se font une petite bouffe au restaurant Le Toxique, Zénia paraît devant elles, bien vivante.

             C’est l’occasion pour les trois femmes de revenir sur le passé et d’envisager l’avenir en incluant cette incroyable donnée : Zénia est de retour.

 

                La voleuse d’hommes, c’est avant tout le portrait de trois femmes, toutes trois victimes de Zénia.

          Tony est professeure d’histoire à l’université. Sa spécialité et sa passion : la guerre, ses héros, ses stratégies, ses victimes, ses conséquences. La vie ? C’est sous l’angle de la guerre qu’elle l’envisage. Alors qu’elle était étudiante, elle s’est liée d’amitié avec Zénia. A l’époque, elle avait un petit ami, West. Petit ami qui est passé en douceur de Tony à Zénia. Et puis Zénia est partie et West est revenu vers Tony qu’il a épousée. Cependant, notre voleuse d’hommes est revenue, quelques années plus tard, et West est retombé sous son charme avant de se faire à nouveau larguer par cette imprévisible dulcinée. West retourne à nouveau vers Tony et coule des jours heureux auprès d’elle. Mais Zénia est de retour !

          Charis est vendeuse dans un magasin ésotérique. Elle est totalement orientée vers l’occulte. Naguère, elle a vécu avec Billy, un réfugié politique qui refusait de faire la guerre du Vietnam. Zénia la rencontre, un jour, et arguant d’une terrible maladie, elle se fait héberger chez cette dernière. Entre Billy et Zénia, c’est la guerre froide. Mais un beau matin, Charis voit le ferry transportant Billy et Zénia s’éloigner pour toujours. Visiblement, Zénia a dénoncé le jeune homme qui n’a d’autre choix que la fuite.

          Roz est directrice d’un magasine féminin très en vogue. Elle a épousé un avocat dont elle est folle amoureuse : Mitch. Elle rencontre Zénia qui est alors serveuse dans un restaurant. Celle-ci lui promet des révélations sur son père. Ainsi, les deux jeunes femmes se revoient et Roz engage Zénia dans son entreprise. Cette dernière ne tarde pas à imposer sa ligne directrice : assez de tous ces portraits de femmes battantes. Pour vendre le magasine, il faut des rubriques mode, maquillage, psychologie et comment rendre fous tous les hommes. Certes, Mitch n’est pas un mari fidèle, mais toujours, il revenait vers Roz. Cependant, un jour, il fait ses valises. Il décide de vivre avec Zénia. Plus tard, il revient chez Roz, la queue basse. Tout est fini. Roz daignerait-elle le reprendre ? Non. Quelques mois plus tard, Mitch est retrouvé mort, noyé.

          Ces trois femmes ont bien plus en commun que la connaissance de Zénia. Elles ont toutes une histoire familiale malheureuse. Tony n’a jamais eu de véritable contact avec sa mère qui un beau jour s’est envolée du cocon familial pour partir avec son amant. Son père est devenu alcoolique. Charis a perdu sa mère très tôt. Celle-ci, internée dans un hôpital psychiatrique, meurt alors que Charis est encore très jeune. Sa tante et son oncle l’élèvent. Elle devra supporter les assauts de l’oncle qui l’aime un peu trop. Roz vient d’une famille juive au passé trouble. Son père, resté en Europe pendant la guerre, a trafiqué avec les nazis : razzia dans les maisons des juifs déportés. Sa fortune ? Il la doit surtout aux magouilles et au jeu.

          Alors, avec ce lourd passé et passif, comment les trois femmes vont-elles appréhender le retour de Zénia ? Si toutes ont des envies d’assassinat, aucune ne passera à l’acte. Elles vont se retrouver face à face avec leur ennemie qui leur livrera une version inattendue de l’histoire. Mais Zénia est fondamentalement une menteuse. Où est la vérité ?

Reste Zénia, la voleuse d’homme. Son portrait est très flou. Zénia ment et s’invente une histoire différente selon sa victime : émigrée russe violée et prostituée, rescapée de l’holocauste, malade et condamnée, journaliste… elle est protéiforme. Elle souille l’image des hommes qu’elle a volés : West était un très mauvais amant, ennuyeux comme la pluie, Billy était un dealer qui s’est toujours servi de Charis, Mitch était un obsédé sexuel. Zénia renvoie aux trois femmes un visage étranger des hommes qu’elles ont aimés. D’elle, on ne saura rien de très tangible. On entrevoit cependant une vie désespérée et déséquilibrée. Ainsi, sans le dire ouvertement, Margaret Atwood a de la compassion pour ces femmes qui passent leur temps à détruire des couples : profondément malheureuses, elles ne peuvent supporter le bonheur des autres femmes. Bien plus qu’à l’homme qu’elles dérobent, c’est à sa femme qu’elles s’attaquent. C’est elle, leur ennemie. L’homme, c’est l’enjeu de la guerre, mais la guerre, c’est une affaire de femmes. L’homme n’est que le butin de la guerre.

          Par ailleurs, Tony, Charis et Roz ont toutes voulu se lier d’amitié avec Zénia : elles sont fascinées par elle, par ses histoires, son mystère. Zénia est dangereuse et comme le papillon est attiré vers la flamme qui va le brûler, Tony, Charis et Roz se jettent dans les griffes de Zénia. C’est comme un défi. Et l’homme entre elles est l’enjeu du défi. Pourtant, entre la sécurité du couple stable et l’aventureuse Zénia, c’est toujours vers le mystère et le danger que les hommes se dirigent. Reste à dire que Margaret Atwood offre une vision noire du couple, des hommes et des femmes. En effet, le couple établi est bien peu de chose face à une aventurière qui a décidé de gagner la guerre et l’homme-trophée qui se laisse prendre comme un bleu.  Attirance vers l’inconnu, vers le danger, vers le mirage et le fantasme qui met à mal le quotidien bien établi et sécurisant, balayé d’une chiquenaude. Quant aux femmes, il semble bien que leurs relations soient bien plus troubles qu’on le pense et que tout est affaire de rivalité, de guerre, chose primordiale. Certes, il y a un homme, mais que vaut-il s’il est tout acquis ? S’il n’est pas objet de désir d’une autre ? S’il n’est pas prenable ? Ce qu’aiment les femmes, c’est aussi une forme de danger plus sournois : garder un homme tout acquis n’a aucun intérêt. Le mettre en jeu comme des cartes au poker, voilà qui est excitant !

          J’avoue que j’ai beaucoup aimé ce roman de Margaret Atwood qui offre une vision originale de la guerre des sexes : tout se décline de manière conflictuelle entre femmes, mais aussi entre hommes et femmes. Je ne partage absolument pas cette vision des rapports humains, mais je sais qu’elle existe, qu’elle est fondamentale dans la vie de certaines femmes et de certains couples. Des voleuses d’hommes ? J’en connais. Ces femmes s’attaquent à des couples particuliers, des couples qui sont prêts à intégrer cette donnée, je pense.

          Ainsi, même si je ne me suis pas vraiment sentie concernée par cette problématique du couple décrite dans La voleuse d’hommes, j’ai trouvé ce roman fascinant ; sans doute celui-ci capte-t-il et traduit-il une certaine vérité des rapports de certaines personnes avec la séduction et le pouvoir.



27/01/2020
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