LECTURES VAGABONDES

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Manil Suri : Mother India / Vénérables mères

       

   Aujourd’hui, nous allons nous plonger dans un magnifique roman qui parle d’une mère – Mira – et de son fils – Ashvin – mais aussi d’un pays – la grandiose Inde - et de son peuple. Mother India est écrit par Manil Suri et parait en 2009 aux éditions Albin Michel.

 

         Nous sommes dans le Rajasthan, quelques années après l’indépendance et la partition entre l’Inde et le Pakistan. Mira est amoureuse de Dev, le petit ami de sa sœur Roopa. Celle-ci le délaisse pour un autre et Mira saute sur l’occasion ; mais alors qu’elle le rencontre en secret, le couple est surpris et Mira est obligée d’épouser le jeune homme qui a l’ambition de devenir chanteur pour film bollywoodien. Ceci fait, elle se retrouve au sein d’une famille beaucoup plus modeste et très religieuse. Par exemple, pour la coutume de Karva Chauth, elle doit jeûner pour montrer sa soumission à son mari ; cette pratique est également censée protéger son époux et lui octroyer longue vie. Par ailleurs, elle est soumise au désir d’Arya, son beau-frère et vit parmi les femmes de la famille. Lorsqu’elle tombe enceinte, son époux ne manifeste pas sa joie. Il ambitionne toujours une carrière de chanteur et pour cela, il souhaite s’installer à Bombay. Le père de Mira propose au couple de réaliser ce rêve si sa fille accepte de faire des études et d’avorter. Soumise à la pression des deux hommes, Mira avorte et le couple s’installe dans la grande ville de Bombay. Mais la carrière de Dev ne décolle pas et celui-ci sombre dans l’alcoolisme. De son côté, Mira entreprend des études qui l’ennuient. Elle ne tarde pas à les abandonner d’autant plus que sa sœur, Sharmila, est brillante et comble son père. Mira tombe enceinte et son fils, Ashvin, lui apporte le bonheur qu’elle n’a jamais eu. Mais en grandissant, son fils s’attache à son père désormais au chômage et toujours plus alcoolique. Mira est jalouse et craint que Dev ne lui enlève l’amour d’Ashvin. Par ailleurs, elle ne peut pardonner à son mari l’avortement qu’elle a subi des années auparavant. Mais un jour, alors que la guerre entre l’Inde et le Pakistan fait rage, Dev trouve la mort dans un bombardement. C’est alors que commence une vie de couple bien particulière : celle de Mira et de son fils Ashvin. Couple fusionnel s’il en est. Cependant, l’enfant peine à faire le deuil de son père et s’attache à son oncle, Arya, qui a toujours des vues sur Mira d’autant plus que son épouse, Sandhya, est décédée. Cependant, Mira refuse ses avances et se bat pour son indépendance, espérant que son père, Paji, lui octroie de quoi subvenir à ses besoins d’autant plus que elle décide de rester à Bombay. Mais Paji est beaucoup trop occupé par ses activités politiques : il soutient Indira Gandhi, la « Mother India ». Peu à peu, Ashvin se détache de sa mère et décide d’aller faire ses études loin d’elle. Il est désormais temps pour Mira de laisser son fils vivre sa propre vie. Si elle songe un instant au suicide, maintenant qu’elle est veuve, que son père est mort, qu’elle a l’impression qu’elle n’a plus aucune utilité sur terre, elle y renonce et décide de commencer une nouvelle vie comme institutrice avec des élèves qui ont cet âge d’or où elle et Ashvin étaient fusionnels et s’amusaient à voler des mangues dans la cour de l’école. C’est lors d’un rêve qu’elle comprend qu’il est temps de laisser son fils voler de ses propres ailes : elle le voit se tourner vers une vallée verdoyante, image de la belle vie qui l’attend.

 

        Avec Mother India, Manil Suri nous offre un très beau roman sur l’Inde et la condition de la femme indienne.

        Avant tout, le roman offre un portrait de la femme indienne emblématique des premières années qui ont suivi l’indépendance du pays. Mira est tiraillée entre son aspiration à la maternité et à la vie d’épouse et celle de son père qui voudrait faire d’elle une femme indépendante et cultivée.

        Avant tout, Mira est une mère. Comme pour la plupart des femmes en Inde, la maternité, c’est le Saint-Graal. Notre héroïne est d’ailleurs très affectée par la mort d’un premier enfant dont elle a été contrainte d’avorter. Jamais, elle ne parviendra à oublier ce traumatisme et elle en voudra jusqu’au bout à ceux qui l’ont forcée à ce geste : son père, Paji, et son époux, Dev.  C’est sans doute pour cette raison que Mira est si attachée à Ashvin, son fils, qu’elle tutoie dans le roman.

        Si Mira est originaire d’une famille aisée qui prend ses distances avec la tradition, son mariage la fait basculer dans une famille modeste et traditionnelle. Au sein de la famille de son époux Dev, elle découvre la vie entre femmes. Elle s’attache à sa belle-sœur Sandhya et accepte la loi de sa belle-mère Mataji car elle lui doit obéissance.

        Cependant, notre héroïne sera déchirée entre les aspirations d’un père qui souhaite l’émancipation de sa fille, émancipation qui passe par les études, celles de son mari Dev qui rêve de devenir chanteur et tourner dans des films à Bollywood, et les siennes propres. En effet, Mira aspire bien plus simplement à devenir mère et épouse. La distorsion entre ces aspirations aura pour conséquence la mort d’un premier enfant dont Mira devra avorter pour plaire à son père et à son mari. Dans cette Inde en pleine évolution, la femme est et reste sous l’emprise des hommes.

        Nous découvrons ensuite, à travers Mother India, la vie à Bombay, mégalopole où tout semble possible. Dev rêve de réussite à Bollywood, se laisse happer par ce mirage et ne parviendra pas à percer dans la chanson, malgré sa jolie voix. Il devra se contenter de petits boulots et se mettra à boire par désespoir. Et puis, à Bombay, il y a la mer qui fascine Mira qui vit là de belles heures avec Dev ou avec son fils. Ces promenades au bord de l’océan sont des parenthèses enchantées qui coupent avec la vie urbaine intense et agressive de Bombay.

        Le roman nous plonge également dans le quotidien hindou. Il y a les fêtes : Holi, la fête des couleurs qui annonce le printemps, ou encore Diwali, fête des lumières, couleurs ou encore le Karva Chauth, période pendant laquelle les femmes jeunent du lever au coucher du soleil afin de préserver la santé et la longévité de leur mari et parfois de leurs fiancés. Les repas et leurs épices, l’habillement des femmes, si particuliers, sont aussi évoqués. Ainsi, ce sont toutes les couleurs de l’Inde qui explosent à travers les pages de Mother India.

        Mais ce n’est pas tout ! Ce très riche et dense roman de Manil Suri nous plonge dans l’Inde des années 50 A 70 ; une Inde en plein bouleversement depuis qu’elle a gagné son indépendance. Le pays est tiraillé entre les communautés indoues et musulmanes : la partition entre l’Inde et le Pakistan est encore toute fraiche et la famille de Dev a dû quitter Lahore, devenue pakistanaise. Et puis, les tensions entre les traditionnalistes religieux (Arya, le beau-frère de Mira, est un activiste d’un parti traditionnel le HRM) et les républicains laïques menés par Indira Ghandi déchirent le pays.

         Pour terminer, nous dirons que Mother India, c’est un roman d’amour pour un pays, l’Inde ; c’est aussi le surnom donné à une femme pas comme les autres : Indira Ghandi qui a gouverné le pays d’une main de fer, luttant contre les fanatismes religieux, menant des guerres et réprimant diverses insurrections ; c’est aussi l’histoire d’une femme comme il y en a tant en Inde et dans le monde, une femme qui se bat pour son indépendance mais qui reste pleine de douceur et d’amour pour les siens. C’est l’histoire d’une mère.



22/12/2024
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