LECTURES VAGABONDES

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Léon Tolstoï : Anna Karénine /Carrément…. Bof

     

    Voici un grand classique de la littérature russe. Comme c’est aussi un pavé, je m’apprête, pour lui rendre hommage comme il se doit, à jeter un pavé dans la mare en émettant quelques réserves quant au plaisir de s’engager dans la lecture de cette œuvre. Mais avant de commencer, il me reste à préciser qu’Anna Karénine – puisqu’il s’agit de ce roman – est écrit par Léon Tolstoï en 1878… et qu’on peut trouver l’œuvre dans de nombreuses éditions.

 

          Tout commence à Moscou, dans la seconde partie du XIXème siècle. La jeune Dolly Oblonsky songe bien à quitter son époux, le très volage Stepane Arcadievitch Oblonsky. C’est pour cette raison qu’auprès de ce couple se rendent deux personnes qui cherchent à l’aider dans la crise qu’il traverse. Le premier, c’est Constantin Levine : très amoureux de Kitty, la sœur de Dolly, il vient aussi là pour se déclarer à la jeune fille. Puis, c’est au tour de la sœur de Stepane de se rendre auprès de Dolly pour la supplier de pardonner l’infidélité de son frère : cette sœur porte le nom d’Anna Karénine. A la gare de Moscou, elle rencontre le comte Vronsky : les deux jeunes gens se remarquent. Mais un terrible accident – le suicide d’un homme qui se jette sous les rails – bouleverse la jeune femme. C’est au bal donné par la princesse Betsy que les choses vont se préciser : Levine demande Kitty en mariage, mais celle-ci décline la proposition : il faut dire qu’elle est amoureuse de Vronsky et qu’elle a de bonnes raisons de croire en un avenir commun avec le jeune officier. Malheureusement, au bal, les choses vont changer : si, jusqu’à présent, Vronsky s’intéressait, il est vrai, un peu à Kitty, désormais, il n’a plus d’yeux que pour Anna et c’est visiblement réciproque. Tandis que Levine rentre dans sa campagne, Anna repart pour Pétersbourg où elle vit, marié à Alexis Karénine, un ministre d’Etat avec lequel elle a eu un enfant : Serge. Dans le train, Vronsky déclare son amour à Anna qui est bouleversée et ne tardera pas à céder. Kitty, ivre de douleur, se laisse dépérir et doit se rendre dans une ville d’eau en Allemagne, à Bunden, pour se soigner. Là, elle s’entiche d’une demoiselle Varinka et s’ouvre à la religion. Elle aide à soigner les malades ; parmi eux se trouve le frère de Lévine : Nicolas. Très malade, il trouve auprès de la jeune femme le réconfort. De son côté, Lévine travaille dur dans son domaine agricole. Il faut dire que les choses ont bien changé depuis l’émancipation des serfs : devenus libres, ils sont désormais des ouvriers qu’il faut payer. Mais le poids des traditions est fort et la plupart accomplissent un travail imparfait, peu motivés qu’ils sont à travailler sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Levine cherche à trouver la solution parfaite qui lui permettrait de tirer le maximum de profit du travail de ses paysans. Un jour, il va travailler parmi eux et fauche le foin, comme eux, pendant plusieurs jours d’affilés : la chose est cocasse pour les paysans, et même si Lévine a aimé cette expérience, il sent bien que quelque chose le sépare des paysans, qu’il ne sera jamais de leur monde. Il décide donc de travailler en collaboration avec eux. C’est, croit-il, la meilleure manière de s’entendre avec eux et de tirer un meilleur travail de ces derniers. De son côté, Anna et Vronsky s’aiment passionnément, et la jeune femme tombe enceinte. C’est alors qu’elle décide de tout avouer à son époux, Alexis Karénine, un homme froid et calculateur qui lui déclare qu’il fermera les yeux sur son infidélité à condition qu’elle ne compromette pas son honneur. Anna ne comprend pas : elle souhaiterait une séparation qui lui laisserait la possibilité de vivre avec son amant. A la naissance de sa fille, Anny, Anna tombe très malade et manque de ne pas se relever de ses couches. Pris soudain de pitié et sentant que la foi et l’esprit divin pénètre et façonne son âme, Karénine accepte que sa femme le quitte pour partir avec Vronsky : il veut son bonheur. Du côté de Kitty, les choses aussi ont bien changé : elle a revu Lévine, et ayant totalement oublié Vronsky, elle est tombée amoureuse de lui. Les noces ont eu lieu bien vite et les deux époux sont heureux. Cependant, un événement va venir bouleverser l’âme de Levine : son frère Nicolas, meurt chez lui. Dès lors, Levine est torturé par l’idée de la mort : à quoi bon travailler, avoir des projets, si c’est pour que tout s’arrête brusquement, un jour, de manière absurde ? Il tente de réfléchir à cette question et part à la quête de la foi, lui, le matérialiste, scientifique et libre-penseur. Certes, sa femme Kitty est croyante, mais c’est après la naissance de son premier fils Mitia, qu’il sentira progressivement la foi s’introduire dans son cœur, même si, au départ, il éprouve de la jalousie et du dégoût pour ce fils trop adoré de Kitty. Mais retournons auprès d’Anna et de Vronsky : pour elle, le jeune officier a renoncé à toute ambition, mais ce n’est pas suffisant selon Anna qui exige un amour exclusif. Les deux amants voyagent en Europe et Vronsky s’intéresse à diverses choses, comme la peinture ou les chevaux de course, ce qui exaspère Anna qui voudrait être la seule occupation de son amant. Lorsque celui-ci se met à sortir dans des clubs ou des réunions, voire même des soirées organisées par la princesse Betsy, celle-ci devient folle. Pour retenir son amant, elle souhaite divorcer d’avec Karénine, afin de pouvoir épouser Vronsky et l’avoir tout à elle. Il faut dire aussi que la jeune femme a beau venir du beau monde de Pétersbourg, elle n’en est pas moins mise au ban de la société, résultat de sa vie dissolue. Lorsque Karénine finit par accepter le divorce, il est trop tard : Anna se suicide en se jetant sous un train. C’est un geste d’orgueil car elle songe ainsi qu’elle s’attachera pour toujours l’amour coupable de Vronsky. Plus tard, nous retrouvons le jeune officier, vieilli et le visage marqué par la douleur : il part pour la guerre en Serbie, soutenir leurs alliés contre les Turcs.

 

          Voici un bien ample roman qui porte le titre éponyme d’Anna Karénine. Cependant, Anna n’est pas la seule héroïne de l’œuvre : son mari – Alexis Karénine – son amant, le comte Vronsky, Kitty et Lévine sont eux aussi, des personnages aussi importants qu’elle. Ajoutons-y Stépane Oblonsky, frère d’Anna Karénine, et sa femme Dolly, sœur de Kitty, et nous aurons fait à peu près le tour des grands personnages du roman, personnages dont les pensées et les destins respectifs sont amplement évoqués, et ne cessent de se croiser.

          Car un des nœuds du roman, c’est l’amour et le fonctionnement de différents couples. Nous avons tout d’abord, avec Anna Karénine et son amant Vronsky, le cas d’un couple fusionnel, rongé par un amour destructeur et exclusif. Mais avec Kitty et Lévine, c’est un amour plus équilibré qui unit ces deux personnages ; cet amour débouche sur le bonheur et la construction d’une famille solide. Enfin, Dolly et Stepane forment un couple à la dérive, rongé par le caractère volage de Stépane et sa propension à s’endetter.  

          La seconde veine du roman, c’est de proposer une peinture de la Russie au moment où ce pays est sujet à de nombreux changements. En effet, l’abolition du servage – et par conséquent l’émancipation des serfs - a changé la donne socio-économique de ce vaste empire : comment faire pour rendre les paysans – anciens serfs soumis à leurs propriétaires - les plus performants possible ? car désormais libres, ils ne sont pas très courageux et ont tendance à fournir un travail de mauvaise qualité. De nombreux débats ont lieu un peu partout en Russie et nos personnages partagent, eux aussi, leurs idées. Serge, le frère de Lévine, pense qu’il faut éduquer les paysans pour les rendre plus responsables. Lévine, de son côté, pense qu’il faut changer les rapports de travail avec eux, notamment, en se rapprochant d’eux. Et puis il y a l’éternelle question qui taraude les peuples slaves : comment assimiler à la Russie – car en l’occurrence, c’est d’elle qu’il s’agit - des peuples qui ne sont pas russes d’origine, mais qui lui ont été annexés ? D’autres questions plus métaphysiques sont également débattues dans le roman : la foi, la science… Inutile de dire que ces longues digressions abstraites et purement intellectuelle sont parfois indigestes et soporifiques. Mais c’est aussi un des aspects de l’âme russe que d’être torturée par des questions philosophiques et métaphysiques.

          Par conséquent, Anna Karénine est un roman basé sur les dialogues entre les personnages qui exposent et partagent entre eux leurs états d’âme. Les uns et les autres se rendent visite, discutent, et c’est ainsi qu’évolue l’intrigue. Si bien qu’on n’a guère l’impression d’être immergé dans un grand et vaste empire mis plutôt dans un petit monde – celui de l’aristocratie russe du XIXème siècle – qui vit dans l’entre-soi et d’y tourner allégrement en rond !

          Par ailleurs, Anna Karénine me parait être une œuvre transitoire, charnière entre le mouvement romantique et le réalisme. Si les amours d’Anna et de Vronsky sont passionnées et tourmentées, elles se heurtent aussi au réel. Certes, Anna a tout de la figure romantique de l’amoureuse sublime aux sentiments absolus et excessifs ; mais Vronsky est, quant à lui, beaucoup plus terre à terre et il est capable d’envisager une vie sociale dans laquelle Anna n’a pas de place. Cette opposition des caractères s’explique sans doute également par la différente éducation que reçoivent les filles et les garçons ; on apprend aux unes à tout attendre d’un époux, tandis que les autres ont une existence sociale affirmée. Ainsi, un personnage romantique comme l’est Anna est voué à l’échec dans un monde où le réalisme et la rationalité gagnent immanquablement du terrain. Le couple qui réussit, dans Anna Karénine, c’est celui de Lévine et de Kitty : deux personnages qui savent envisager les choses concrètement. Certes, ils ne font pas rêver, mais le monde industrieux qui commence à s’imposer, dénué de valeurs spirituelles et de sens de l’absolu, ne fait pas, lui non plus, rêver.

          Malgré tous ces centres d’intérêt certains, Anna Karénine a bien failli me tomber des mains plusieurs fois. Dieu, qu’elles sont longues, toutes ces digressions métaphysiques ! En réalité, je crois bien qu’il existe des versions expurgées de ce roman dans le commerce. Peut-être est-il possible de prendre du plaisir à lire ce roman dans ce format-là ?



10/04/2022
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