LECTURES VAGABONDES

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Laura Kasischke : En un monde parfait/En un roman presque parfait

 

 

              Continuons notre exploration de l’œuvre de ma désormais bien-aimée Laura Kasischke avec un roman d’anticipation qui s’appuie sur les peurs qui nous habitent depuis plusieurs décennies : celles d’une planète qui s’affole et dont les hommes perdent le contrôle – même si ce dernier est plutôt, et depuis toujours, illusoire. C’est en 2010 que paraît En un monde parfait de Laura Kasischke chez Christian Bourgeois éditeur.

 

          Jiselle est hôtesse de l’air et c’est dans le cadre de son travail qu’elle rencontre le très séduisant Mark Dorn, pilote. Elle l’épouse très vite, malgré les réticences de son entourage et abandonne son métier pour se consacrer à sa nouvelle famille : Mark a, en effet, trois enfants (deux filles, Camilla et Sara, et un fils, Sam). Cependant, une épidémie de fièvre mortelle commence à faire parler d’elle et ostracise les américains au point qu’un jour, Mark est mis en quarantaine en Allemagne et ne peut rejoindre l’Amérique des environs de Chicago, là où habite sa famille. De son côté, Jiselle se bat pour se faire accepter des filles de Mark qui lui sont particulièrement hostiles et restent fidèles à leur mère, Joy, décédée dans un accident d’automobile. Jiselle est hantée par le fantôme de cette si belle femme dont la photo trône dans le salon. De son côté, elle a du mal à avaler le fait que son père ait quitté sa mère pour Ellen, une de ses amies. Mais bientôt, il n’est plus temps de se tracasser pour tous ces petits soucis narcissiques et égocentriques : l’épidémie gagne du terrain ; Mark est de plus en plus difficile à joindre ; il faut survivre. Le supermarché de la petite ville de Ste Sophia est de plus en plus vide ; le carburant fait défaut ; la ville fait l’objet de pillages ; il n’y a plus d’électricité. Cette adversité, Jiselle l'affronte avec les enfants de Mark. Elle doit bientôt recueillir sa voisine, Diane, dont le mari est décédé. Et puis, elle se lie avec Paul Temple et son fils, Bobby, qui malheureusement mourra, contaminé par la maladie. C’est alors que Jiselle apprend que Mark ne reviendra jamais, qu’il a trouvé l’amour, de nouveau, en Allemagne. Cependant, notre mère courage décide de rester avec les enfants de Mark puisqu'elle s’entend bien avec eux, désormais. Et puis, il faut sauver le petit Sam, qui ne mange pas suffisamment. Jiselle apprend à tuer des animaux et trouve des semences et un fusil chez ses voisins – désormais tous deux décédés. C’est en autarcie que la famille vit désormais, savourant pleinement des plaisirs simples comme celui de jouer ensemble aux charades. Mais alors que toute la sainte famille s’adonne à ce jeu, le bruit d’un réacteur d’avion se fait entendre, présage d'un retour au monde civilisé qu'on connait tous. Jiselle se dit que c’est peut-être là la fin d’un monde parfait.

 

              Avec En un monde parfait, Laura Kasischke signe un roman d’anticipation qui surfe sur nos peurs d'humains du XXIème siècle. En effet, tous les jours, on entend parler d'écologie, de réchauffement de la planète, ou encore de pollution. Dans En un monde parfait, le dérèglement climatique qui se fait sentir à toutes les pages. Soit il fait anormalement froid, soit il fait trop chaud, et l'environnement se fait indifférent à la loi des saisons. C'est particulièrement le cas pour la végétation qui désormais obéit aux températures ambiantes, et se fait tantôt exubérante, tantôt rachitique et ce, en dépit du bon sens. 

              Cependant, le début du roman peut paraître conventionnel puisqu'il déroule une love story digne des plus grandes œuvres de la collection Harlequin. Jiselle et Mark sont des personnages totalement stéréotypés : elle, simple hôtesse de l'air, découvre l’amour avec Mark, un beau et séduisant pilote d’avion. Mais le prince charmant fut autrefois marié et la jeune épouse devra composer avec la famille de son chéri et particulièrement avec le souvenir de sa défunte femme. Résultat : on a du mal à s'entendre.  Désormais, on nage en plein scénario pour téléfilm de l'après-midi sur TF1.

              Et puis, rapidement, le roman catastrophe prend le dessus et notre héroïne doit désormais se battre pour sa survie et celle de la famille de Mark, famille qu'elle est en passe d'adopter. Exit l'histoire d’amour convenue ! Place à une mère courage qui gère avec intelligence la situation, s’attirant désormais la sympathie de ceux qui ne l’aimaient pas. Il faut dire que les relations humaines semblent s’assainir lorsqu’il n’y a plus les tracas liés à la civilisation.

              Et c'est ainsi qu'on débouche sur la morale finale : le monde parfait ne semble pas être celui auquel on s'attend, celui qui semble s'inscrire dans la continuité du nôtre et qui voit augmenter la part de la technologie dans notre quotidien. Le roman semble nous dire que le monde parfait, c’est celui d’hier ; un monde sans artifice, un monde où on se préoccupe de choses simples et élémentaires comme le besoin de se nourrir tous les jours, de se chauffer, de se défendre contre les dangers immédiats. Ces préoccupations dont la survie dépend viennent effacer toutes les embrouilles familiales, désormais reléguées loin, très loin ailleurs, pour ne pas dire carrément oubliées.

              Mais attention ! Ne pas prendre ce monde parfait comme celui auquel nous devons absolument souscrire ! Ce retour à la préhistoire n'est certes pas envisageable : le retour de l'avion qui gronde aux oreilles de nos personnages nous indique que ce monde parfait n'était qu'une parenthèse, peut-être une simple expérience qui sera très vite oubliée lorsque le quotidien et ses petits tracas ressurgiront. Sans doute faut-il lire En un monde parfait comme une sorte de conte philosophique à la Candide ; d'ailleurs, la vie en autarcie que pratiquent désormais nos personnages ressemble assez à celle de la petite métairie dans laquelle se retranchent Candide et ses compagnons à la fin du conte de Voltaire. De là à parler d'utopie... une utopie à la Rousseau, où le monde idéal serait basé sur un retour à la vie de l'homme des cavernes.

              De toutes manières, Laura Kasischke joue avec les contraires depuis le début de l'œuvre qui commence en rose, puis s'assombrit jusqu'à devenir noire, puis à nouveau rose. Or, on sait que le rose, c'est la couleur des romans Harlequin, celle du rêve et de l'utopie. En tout cas, le monde parfait de Laura Kasischke ressemble fort à une hypothèse, à une proposition ouverte et discutable.



10/01/2021
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