Henri Troyat : Les semailles et les moissons (tome 1) : Les semailles et les moissons.
Et c’est reparti pour une grande saga d’Henri Troyat. Nous quittons la Russie de La lumière des justes pour la France (en Corrèze et à Paris) du début du XXème siècle. Les semailles et les moissons, c’est le titre de cette saga familiale, c’est également le titre du premier tome, publié en 1989 aux éditions Presses de la cité.
Amélie est une jeune fille bien sage et travailleuse. Elle a grandi en Corrèze, entre une mère qui tient une petite épicerie et un père forgeron. Elle a également un frère : Denis. Lors d’un bal, elle rencontre un certain Jean Eyrolles avec lequel elle se fiance. Mais la mort de sa mère la bouleverse et la jeune fille, en deuil, devant faire face à de nouvelles responsabilités, se rend compte qu’elle n’aime pas vraiment Jean. Elle rompt avec lui. Mais il ne lui faut pas longtemps pour tomber vraiment amoureuse. Il s’appelle Pierre Mazalaigue et il tient le bistrot du village. Pour cette raison, elle hésite à s’engager dans une histoire d’amour avec lui ; en effet, elle considère les cafés comme un lieu de perdition. Cependant, les sentiments sont les plus forts et Amélie se met à fréquenter Pierre. Lorsqu’il lui révèle qu’il veut s’installer à Paris, c’est à nouveau la crise : Amélie ne veut pas laisser son père et son frère seuls. Mais la présence au village d’une veuve, madame Pinteau, acceptant de venir s’occuper du ménage et de la boutique, fait basculer la donne : Amélie épouse Pierre et part s’installer avec lui à Paris. Les débuts sont difficiles : Pierre travaille sur des chantiers et n’est pas souvent là. Alors le couple décide de reprendre un café laissé à l’abandon. L’affaire est une belle réussite. Le couple modernise l’endroit qui devient fréquentable. Mais très vite, les nuages s’amoncellent : alors qu’Amélie tombe enceinte, la guerre de 1914 éclate et Pierre est envoyé sur le front en Meuse. Amélie rentre au village de La Chapelle-aux-bois en Corrèze pour mettre son enfant au monde. C’est une fille qu’elle prénomme Elizabeth. Ainsi se termine le premier tome de la saga.
Quel plaisir de retrouver Henri Troyat, un des maîtres des grandes sagas familiales du XXème siècle.
Le point de départ de Les semailles et les moissons, c’est le début du XXème siècle et une famille française honnête et modeste. Je ne sais pas trop à quoi cela tient, mais l’auteur restitue vraiment bien l’atmosphère « début de siècle », à la campagne, chez des gens simples. Se déroule donc sous nos yeux la vie quotidienne de la famille Aubernat, rythmée par les événements familiaux (mariages, fiançailles, enterrements…), le travail, mais aussi par les évènements du petit village de La Chapelle-aux-bois, en Corrèze. Le lecteur est aussi amené à rencontrer les autres villageois : le maire, le curé, les autres habitants. Certes, il ne faut pas s’attendre, de la part du bienveillant Henri Troyat, à une satire de la vie rurale : ici, point de cancans, point de jalousies, point de vieilles querelles qui remontent à Mathusalem. L’ambiance au village est bon enfant : l’entraide et la compassion pour le malheur du voisin sont de mise.
Dans sa préface, Henri Troyat dit vouloir, dans cette saga, dresser le portrait de trois femmes Maria (mère d’Amélie), Amélie, puis, plus tard, sa fille, Elizabeth. Il déclare : « elles incarnent pour moi l’admirable opiniâtreté féminine dans la construction du bonheur ». C’est vrai qu’Henri Troyat aime particulièrement les personnages féminins (on se souvient de Sophie, dans La lumière des justes). Dans Les semailles et les moissons, c’est autour d’Amélie que se concentre l’intrigue du roman, et je dois dire qu’Henri Troyat donne de la femme une image assez convenue, un peu « vieille France », et surtout, totalement nunuche. Amélie, c’est une « femme courage ». Elle est vertueuse, travailleuse ; elle affronte les difficultés de la vie sans jamais faiblir. Elle est aussi prête à sacrifier son bonheur personnel pour celui de son père et de son frère. Ainsi envisage-t-elle de renoncer à Pierre pour ne pas laisser dans la douleur et la solitude son père, désormais veuf. Pour autant, lorsqu’elle épouse Pierre, elle se laisse mener par son mari et se plie à ses volontés : partir pour Paris alors qu’elle est très attachée à sa famille et à son village, tenir un café alors qu’elle n’aime pas ce que représente ce lieu. Bref, on est loin de l’image que moi, j’ai de ma grand-mère paternelle : une femme autoritaire, le chef de famille devant laquelle tout le monde filait droit, à commencer par mon grand-père. Ainsi, même au début du siècle, la femme n’est pas forcément soumise à son mari ; tout est question de symbiose des caractères. Mais dans le cas d’Amélie, on a droit à la femme qui tente de contester les décisions de son mari qui la taquine gentiment lorsqu’elle donne son avis ; bien évidemment, écouter sa faible femme ne serait pas bien sérieux pour le très viril Pierre : « Va à ta niche, ma doucette, et tiens-toi tranquille, c’est moi le boss ».
De plus, Amélie est une belle nunuche (une femme naïve et très pudique) : bien évidemment, avec elle, c’est « pas avant le mariage » : elle fait toute une histoire à Pierre lorsqu’il veut l’embrasser dans le cou ; elle déteste les cafés qui sont des lieux de perdition ; à Paris où, dans le coin où elle s’installe avec Pierre, trainent parfois « des filles qui font le trottoir », d’abord, elle ne sait pas ce que c’est, puis elle se demande comment c’est possible, puis elle rougit et ne veut pas en parler. Quand elle tombe enceinte, elle a peur de montrer son ventre qui grossit parce que tout le monde va voir qu’elle a couché avec son mari.
Bref, si j’aime vraiment beaucoup les sagas d’Henri Troyat, je déplore quand même cet hommage qu’il prétend rendre aux femmes dans Les semailles et les moissons. Pour autant, je crois sa démarche sincère : il ne s’est pas rendu compte que cette image de la femme idéale qu’il porte dans son cœur est singulièrement façonnée par un regard machiste et n’existe pas vraiment : Amélie est faite d’un seul tenant : courage, vertu, naïveté, soumission. Mais si l’on sonde un peu son âme ? N’a-t-elle aucun défaut ? Quelles sont ses pensées les plus profondes ? A voir peut-être dans le second tome de la saga intitulé Amélie.
A découvrir aussi
- Claude Michelet : Les gens de Saint-Libéral - Tome 3 – L’appel des engoulevents.
- Henri Troyat : La lumière des justes (tome 3) - La gloire des vaincus
- Victor Hugo : Les Misérables (tome 2) – Cosette.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 38 autres membres