Henning Mankell : Les chaussures italiennes / mauvaise pointure
Alors, d'après deux collègues, ce roman est extraordinaire : enfin, n'exagérons pas… « Il se lit tout seul » m'a-t-on dit. Aïe ! Je ne partage pas trop cet avis, car cette lecture - les chaussures italiennes d'Henning Mankell, roman paru en 2009 aux éditions du seuil pour la traduction française - m'a plutôt ennuyée, même si je reconnais certaines qualités à l'œuvre, dans son ensemble.
Le narrateur, Fredrik Welin vit reclus sur une île de la Baltique. Il vieillit doucement, seul, avec pour seule activité quotidienne une baignade dans un trou de glace. Un jour, Harriet, un grand amour de jeunesse, débarque sur son île. Atteinte d'un cancer incurable, elle voudrait voir le lac où Fredrik avait promis de l'emmener, jadis. Une fois la petite virée lacustre effectuée, c'est au tour d'Harriet d'emmener Fredrik… rencontrer la fille qu'elle a eue de lui. Louise. Père et fille font connaissance, mais à la suite d'une dispute, Fredrik retourne à sa solitude insulaire. Il décide de retrouver Agnès, une femme dont il a amputé le bras – mais c'était le mauvais ! – histoire de se faire pardonner cette erreur médicale. Agnès a passé l'éponge ; elle a refait sa vie : elle héberge de jeunes délinquantes dont elle s'occupe. De retour chez lui, Fredrik se rend compte qu'il gâche sa vie, seul sur son île. Il voudrait combler le vide ; il a besoin des autres. Mais il ne sait pas trop comment s'y prendre. C'est alors que Sima, une délinquante hébergée par Agnès, débarque… et se suicide sur son île ! Ô rage ! Ô désespoir ! Fredrik retrouve Agnès : il voudrait coucher avec elle, mais la jeune femme le repousse. C'est alors qu'Harriet revient chez lui… Pour mourir. Mais on sait tous qu'après le malheur vient le bonheur ! Louise, puis Agnès et ses délinquantes viendront s'installer sur l'île, tandis que Fredrik se découvre une maladie cardiaque.
Alors, c'est sûr que résumé ainsi, personne ne va se précipiter sur ce roman plutôt déprimant. Dans ce truc, il n'y a que des macchabées… et encore ! J'en ai passé ! Il y a la mort de la chienne, de la chatte, d'une vieille dame… Trop, c'est trop ! De plus, l'univers évoqué : la Suède, la Baltique… ce n'est pas vraiment olé olé. Univers gris, sans soleil. Il est vrai qu'Henning Mankell évoque avec beaucoup de talent cette nature rude des pays nordiques. Déprime profonde que ce roman ! Si j'ajoute à cela l'immense sentiment de solitude qui émane des personnages : quels qu'ils soient, ils ont été écorchés par la vie, ce sont des marginaux asociaux qui mènent leur vie en étant plus ou moins coupés des autres.
Alors bien sûr, il y a les trucs qui font le génie de l'ensemble : la construction tout en écho ! On commence par la découverte d'une vieille dame morte seule chez elle : que faire de son chien ? Après la mort d'Harriet, cette chienne, Carra, prendra place auprès du narrateur cardiaque qui a lui-même perdu son chien : bref, c'est la passation des clébards entre macchabées. Au cœur du roman, Louise, fille du narrateur, emmène son père chez un vieil homme qui fabrique des chaussures sur mesure. L'année prochaine, Fredrik aura ses chaussures haute-couture. Et bien entendu, quand la chaussure va, le pied va ! Eh bien, un an plus tard, notre narrateur aura trouvé de quoi finir idéalement sa vie : entre sa fille, ses filles-délinquantes et Agnès, son nouvel amour. Magnifique symbole que celui des chaussures sur-mesure !
Et puis, il y a Harriet… Personnage magique ! Alors qu'elle est condamnée à brève échéance, elle sauve la vie de son premier amour. Elle offre une seconde vie à celui qui est virtuellement mort, dans son trou d'eau glacé de la Baltique. D'ailleurs, là encore, je peux souligner une très belle scène ! Au bord du lac, Fredrik tombe dans un trou et Harriet le sauve grâce à son déambulateur ! Au cas où on n'aurait pas compris que celle qui va mourir sauve celui… Bref.
Je passe très vite sur les gnangnanteries de l'histoire : quelques-unes quand même : avant de mourir, Harriet confie à Fredrik la plus belle des déclarations d'amour et une fille ! Quel bonheur de se découvrir père d'une fille de 38 ans à 66 ans ! N'est-ce pas messieurs ? Si ça vous arrivait ! Ouah ! Ce serait comme dans les feux de l'amour. Je passe sur l'agonie d'Harriet, avec le changement des couches de la grabataire, etc… On pleure beaucoup dans les chaumières, à ce moment-là. Et puis, les retrouvailles entre père et fille ! Fichtre ! Une fille qui en a vu, qui adore Le Caravage : retrouvailles très intellos entre Fredrik et Louise qui, dans un fast-food, lui débite une thèse sur l'œuvre du Caravage comme emblème de la vie dans tout son naturel de cruauté et de folie. Ah là, là ! Quel ennui ! Enfin, c'est juste que ça sonne très faux !
D'ailleurs, la plupart des personnages sonnent faux : les délinquantes, particulièrement. J'ai passé très vite sur l'histoire de deux d'entre elles, car après plusieurs pages de narration de vie pleines de blessures et de folies concernant la première, j'ai pressenti qu'on était dans le copié-collé pour les autres, et que, par ailleurs on ne retrouverait plus ces personnages. Bref, je pouvais shunter. Et j'ai eu raison : il y a des personnages qui sont là pour faire beau, pour ajouter leur inutile touche à la déprime de l'ensemble. De ces personnages alibis, qui sont là pour faire de la figuration dans ce livre semi-zombitesque, il y en a plein !
Si j'ajoute à tout ceci que le roman est écrit dans une écriture pas mauvaise-pas bonne : normale, c'est-à-dire insipide, fadasse. Mais peut-être est-ce la traduction qui flanche ? Il y a plein de « au final » qui sont incorrects dans la langue française : je déconseille donc fortement à mon collègue Bruno la lecture de ce roman ! Si les fautes ne français ne se cantonnent plus aux coquilles des journaleux mais envahissent aussi les rayonnages de nos bibliothèques, où va-t-on ?
Alors, quelles sont les qualités de ce roman ? Eh bien, je l'ai dit… J'aurais aussi bien pu faire l'éloge d'un livre qui parle de mort, de solitude, de nature rude… une œuvre profonde ! D'aucuns pourraient louer ce livre écrit par un auteur suédois de renommée internationale, je le comprendrais (je dis cela sans ironie aucune) : avec ce genre de livre, c'est toujours pile ou face… sauf que moi, je me suis ennuyée et que j'ai vu toutes les grosses ficelles qui font de ce roman, un roman de pointure standard, qui aurait aussi bien pu être fabriqué en Thaïlande, comme la plupart de nos chaussures.
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