LECTURES VAGABONDES

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Georges Perec : Les choses / A en rester tout chose

            

              Depuis longtemps, j’avais en tête de relire Les choses que Georges Perec a fait paraître en 1965 aux éditions Julliard. Ce roman – ou récit – très court est éminemment original et ne manque pas de frapper les esprits. Voyons donc ce qu’on peut dire aujourd’hui – en 2021 - de cette œuvre que l’auteur définit comme étant « une histoire des années 60 ».

               Impossible de résumer Les choses de Georges Perec. D’ailleurs, peut-on appeler Les choses un roman ? Certes, nous sommes dans les années 60 et à l’époque, la littérature vivait la révolution du nouveau roman, mouvement qui explorait la déconstruction du genre. Ainsi, pouvait-on se retrouver face à un roman sans personnage, sans intrigue, sans chronologie… Il s’agissait de renverser tous les codes sur lesquels le genre romanesque repose. Ainsi, dans Les choses de Georges Perec, les objets de consommation courante deviennent, plus que les protagonistes Jérôme et Sylvie, les véritables héros du roman. Pourtant, l’homme n’est pas oublié et peu à peu, du récit, émerge un portrait des aspirations de jeunes adultes qui débutent dans la vie et appartiennent à une classe qu’on pourrait qualifier de « moyenne », ni riche, ni pauvre. Pourtant, nous allons quand même tenter de donner un aperçu de ce qu’on peut lire lorsqu’on s’attaque à ce roman.

 

                Tout commence avec la description de l’appartement rêvé : un appartement cossu qui croule sous les objets hétéroclites. Les futurs propriétaires de cet appartement rêvé sont sociologues ou travaillent dans la publicité et vivent actuellement dans un petit logement sans style dans lequel ils ne sont pas heureux puisqu’ils aspirent à autre chose. Ce rêve de posséder correspond aussi à un certain mode de vie, rêvé, lui aussi. Ce mode de vie, il est façonné par leurs lectures : des magazines à destination des bobos ou encore L’Express, journal qui formate les idées générales de nos personnages sur ce qu’est et doit être le bonheur. Au moment de la guerre d’Algérie, ils auraient pu épouser une idéologie, s’engager dans un parti politique, militer pour des principes. Mais les idées ne sont pas des choses et ils passent à côté de ce qui aurait pu donner sens et but à leur vie. Pour changer de vie et tester un nouveau travail, ils partent pour Sfax, en Tunisie. Là, ils végètent, vivent chichement dans un logement qui ne correspond pas à leurs aspirations et ne retrouvent pas, dans ce pays, les repères qui définissent leur conception du bonheur. De retour en France, ils retrouvent leur environnement et leurs aspirations d’avant. Rêvant toujours d’autre chose et d’ailleurs, ils partiront pour Bordeaux et continueront d’aspirer à d’autres choses, matérielles, bien sûr, et ce, indéfiniment.

   

                Georges Perec, dans le titre complet de son roman, le définit ainsi : Les choses – une histoire des années 60. Cependant, il se défend d’avoir écrit là une œuvre qui critiquerait la société de consommation. Ceux qui le pensent, dit-il, n’ont rien compris au roman. Pourtant, moi, je crois qu’on peut interpréter Les choses comme étant un constat – sinon une critique – des changements moraux induits par l’avènement de la société de consommation de masse. Acheter encore et toujours plus, avoir constamment envie de choses diverses et variées, voilà donc ce à quoi se résume la vie des individus nommés « consommateurs ».

                Pour cette raison, Les choses, c’est un roman qui fait froid dans le dos. En effet, on est face à des personnages qui ne font qu’aspirer à posséder des choses, et rien d’autre. C’est là le moteur et le but de leur vie. Où est donc passé leur cerveau ? Leur existence est vide et à ce vide correspond aussi un terrible vide intellectuel.

                Dès lors, quid de la question du bonheur ? Le bonheur paraît bien être impossible car dès lors que l’on acquiert la chose qui nous a fait rêver pendant un certain temps, voilà qu’une nouvelle chose nous fait à son tour de l’œil et suscite notre désir de possession. Cette inexorable fuite en avant nous empêche de nous contenter de ce qu’on a. On passe sa vie à être prisonnier d’un mécanisme de constant désir inassouvi.

                Ainsi, comme je l’ai déjà dit, les choses sont les personnages principaux de ce roman. Sylvie et Jérôme ne sont que des silhouettes esquissées et interchangeables. Ils n’existent qu’à travers leur désir de choses. En conséquence, ils n’ont aucune consistance et si Georges Perec les a dotés d’un prénom, ils n’ont aucune identité propre, aucune personnalité sinon celle de s’inscrire dans tel ou tel groupe social suivant le profil des choses qu’ils désirent. Par-là, Perec, ainsi qu’il le déclare lorsqu’on l’interroge à propos de ce roman, se fait le porte-parole de la sociologie, science qui a le vent en poupe après la guerre. Les individus sont donc ici appréhendés en tant qu’acteurs dans le fonctionnement des sociétés. Ironie de l’histoire ? Sylvie et Jérôme sont sociologues et passent leur temps à faire des enquêtes de consommation, à évaluer le potentiel et l’impact de différentes choses dans la vie des gens.

                Comme je l’ai déjà dit, Les choses, c’est un roman éminemment original. Il a eu, en son temps, un grand succès et a remporté le prix Renaudot en 1965. Cependant, il est également intemporel et questionne notre appétence à la  possession. Lecture encore conseillée encore aujourd’hui, donc, pour ne pas tourner chose !

 

 

 



22/07/2024
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