Frédérique Hébrard : Le Grand Batre/Quand le bât blesse
On aime les grandes sagas télévisées qui ont marqué la fin du siècle dernier ! Le château des oliviers, par exemple, est signé de Frédérique Hébrard. Le grand Batre est également signé de cette auteure, mais a connu un succès plus mitigé. Le roman parait en 1997 aux éditions Plon.
Nous sommes en Camargue, peu avant la première guerre mondiale dans la grande et prestigieuse famille de manadiers les Cabreyrolle d’Azerac. Faustine d’Azerac doit épouser l’héritier de la riche famille Bourriech. Mais la jeune fille s’enfuit au Mexique avec le toréador dont elle est éprise. Le fiancé, Charles Bourriech, se suicide et cette mort entraine une malédiction qui va frapper la famille d’Azerac pendant des décennies. En effet, le château va être mis en vente si on ne trouve pas alliance lucrative au plus vite. C’est donc à Guilhem, le frère de Faustine, que revient la lourde tâche de remettre le domaine sur pied. Après une jeunesse instable au niveau sentimental, il épouse la riche Amélie dont il aura un fils : Arnault. Mais un moment de folie suffit pour ruiner ce mariage, ce bonheur, et cette famille : Guilhem viole Isabé, la meilleure amie d’Amélie qui concevra elle aussi, un fils : Pierre. Amélie meurt de chagrin tandis qu’Arnault ne veut plus entendre parler de son père. Quelques années plus tard, Guilhem veut se remarier avec la riche héritière Bourriech : Zanie. Mais la jeune fille part avec Arnault qui songe à l’épouser. Cependant, lors d’un voyage en Espagne destiné à l’achat de taureaux, Arnault rencontre Isaure et en tombe amoureux. Zanie évincée, il l’épouse et monte une manade avec elle : l’endroit se nomme le mas d’Isaure. Malheureusement, la jeune femme est stérile. N’importe ! C’est l’amour. Un amour qui sera interrompu par la mort, encore une fois. Soupçonnant son mari de vouloir courtiser une autre femme, Isaure s’enfuit à cheval et fait une chute mortelle. Endeuillé, Arnault se réconcilie avec son demi-frère : Pierre, enfant issu du viol ci-dessus évoqué, et trouve réconfort auprès de ce dernier. Du côté de Guilhem, les fiançailles avec Zanie Bourriech sont annoncées, mais le père d’Arnault, vieillissant, meurt d’une attaque avant le mariage. Après un deuil difficile, Arnault se remarie avec une lingère nommée Cosette. Avec elle, l’amour physique est intense, mais la jeune femme peine à s’intégrer à la famille d’Azérac : elle déteste le château dans lequel Arnault veut désormais habiter. Elle est obsédée par la défunte épouse de son mari, Isaure, dont elle sent la présence partout. Elle se rend d’ailleurs régulièrement et en cachette au mas d’Isaure. Cosette a une fille, Marie, qui est adoptée par son mari et qui, quant à elle, s’intègre très bien. Esseulée, dépressive et alcoolique, Cosette sombre dans la démence, d’autant plus que son mari fait chambre à part depuis qu’elle a insulté Isaure, sa défunte épouse. Par ailleurs, Arnault est toujours parti en Arabie où il fait fortune dans le pétrole avec son ami Sélim. Marie, passionnée par le métier de manadier, va servir en Espagne où elle retrouve, par hasard, une comtesse qui s’avère être… Faustine ! De retour en France, elle découvre Azérac en plein chaos. Sa mère est morte : folle, ivre, Cosette a entrainé Pierre, le frère d’Arnault, dans le mas d’Isaure alors que le feu se déclare. Elle a aussi tué des chevaux, pour se venger de l’indifférence de son mari à son égard. Et puis, si Pierre est sauvé in extremis du feu, ce n’est pas le cas du château qui doit être mis en vente : Arnault a vu ses biens confisqués après un coup d’état dans le pays arabe où il avait engagé sa fortune. Heureusement, Marie et Faustine sont là : cette dernière rachète Azérac au nez et à la barbe de Zanie Bourriech qui espérait bien voir Arnault tomber dans ses filets.
Le grand Batre accumule jusqu’à écœurement tous les ingrédients des sagas populaires : une famille ancrée depuis la nuit des temps dans un terroir bien typé et traditionnel– ici, la Camargue et ses chevaux, ses taureaux – une supposée malédiction – le suicide de Charles Bourriech – des mariages, des naissances, des décès, des problèmes d’argent qui mettent en danger la propriété.
Peut-être l’ensemble aurait pu paraître digeste si tous les éléments s’inscrivaient dans une histoire prenante dotée de personnages touchants et accessibles. Mais il n’en est rien ; résultat : indigestion. Les personnages sont froids, ne suscitent aucune empathie ; certains sont même assez invraisemblables, notamment Guilhem. L’homme jeune est plein d’énergie, passionné par la tradition familiale et l’élevage des taureaux ; assez volage, il s’assagit lorsqu’il rencontre celle qu’il aime : Amélie. On ne comprend absolument pas ce coup de folie qui le pousse à violer la meilleure amie de sa femme, à renier le fils qu’il a eu d’elle. Par la suite, il restera tout aussi noir dans la brouille qui détruit ses relations avec son fils Arnault. Zanie, Cosette, Isaure, ne sont pas plus crédibles… d’une manière générale, aucun de tous ces personnages ne sont intéressants ; tous, ils paraissent creux et sans intérêt.
Je passerai rapidement sur l’invraisemblance de certains épisodes : le pire est, selon moi, le retournement final. Faustine, qui a abandonné le château familial pour suivre l’homme qu’elle aime, réapparait subitement à la fin du roman sous les traits de la richissime marquise de Algobanto de la Médina y los Attoyos Castibiando qui rachète le domaine, lui permettant ainsi de rester dans la famille. Bien évidemment, il y a bien longtemps, elle avait écrit une lettre dans laquelle elle demandait secours aux Azerac, mais la lettre s’était égarée et n’a été ouverte que quelques temps avant sa réapparition.
Enfin, le style de Frédérique Hébrard est particulièrement indigeste : le roman est truffé de vers et d’expressions provençaux, de rappels généalogiques, de détails sur les us et coutumes des magnaneries et surtout, d’envolées lyriques très lourdes. L’auteure ne cesse d’intervenir dans son histoire, la commentant et la soulignant lourdement. Toutes ses intrusions étouffent la narration et la rigidifient.
Bref, on l’aura compris, ce roman n’est à conseiller qu’à ceux qui ont une passion pour la Camargue… et encore. Mener grand Batre, c’est mener grand train mais en ce qui concerne ce roman, l’auteure se traine à petit train dans un roman lambinant.
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