LECTURES VAGABONDES

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Françoise Chandernagor : La reine oubliée (tome 1), Les enfants d’Alexandrie

       

      Dire que plus de 35 ans après la mort de Claude François, on continue de danser sur sa célèbre chanson : Alexandrie, Alexandra ! La puissance de l’évocation du nom de la ville Egyptienne n’est peut-être pas étrangère à ce succès. En tout cas, cette magie d’Alexandrie est incontestablement liée à son passé antique prestigieux, passé que Françoise Chandernagor a décidé de ressusciter dans une trilogie consacrée à la fille de Cléopâtre, Séléné. Voici donc le tome 1 de cette trilogie intitulée la reine oubliée : Les enfants d’Alexandrie, paru en 2011 aux éditions Albin Michel.

 

              Cléopâtre, la célèbre reine d’Egypte, a 4 enfants : un fils qu’elle a conçu avec César, surnommé Césarion, et trois enfants nés de son union avec Marc-Antoine, l’Imperator d’Orient : deux jumeaux - Helios (Alexandre), et Séléné ainsi qu’un autre garçon, le petit Ptolémée. Les enfants grandissent plus ou moins aux côtés de leurs parents, principalement à Alexandrie. Cependant, leur destin n’est guère enviable. Marc Antoine a un rival à Rome, Octave, qui entend bien prendre le pouvoir absolu sur l’empire romain… et qui y parviendra. Marc-Antoine est malheureux à la guerre : il reçoit une défaite cuisante contre les Parthes, et son succès en Arménie est éphémère. Vient le jour du combat contre Octave : encore une défaite pour Marc-Antoine, à Pharsale. La déchéance de l’Imperator d’Orient s’achève avec son suicide. Avec lui, Marc-Antoine entraîne Cléopâtre et ses enfants : Césarion est assassiné, les autres sont emmenés à Rome vers un destin qu’on imagine tragique. A suivre !

 

              Sans doute, le résumé que je propose ici met-il l’accent sur le paradoxe de ce premier tome d’une trilogie consacrée à La reine oubliée, c’est-à-dire, à la fille de Cléopâtre et de Marc-Antoine. En effet, quand le titre du livre – Les enfants d’Alexandrie – et l’auteure elle-même promettent de se pencher sur le destin des enfants de ce couple, le roman s’attache en réalité à la destinée tragique de l’Imperator et de la dernière reine d’Egypte. Ce n’est là en aucun cas un défaut car l’ensemble s’avère être malgré tout passionnant. Françoise Chandernagor nous offre une vision nuancée et parfois distanciée de Cléopâtre, de Marc-Antoine et de leurs enfants, pointant du doigt des zones mystérieuses et oubliées de l’Histoire.

              Il semble en effet que Françoise Chandernagor éprouve une véritable fascination pour Marc-Antoine, fascination qui se traduit par un portrait sensible et renouvelé de cet homme de pouvoir. A contrario de l’image traditionnelle de l’Imperator d’Orient considéré comme un homme lascif et quelque peu « looser » face à son rival Octave qui deviendra le premier empereur romain, Françoise Chandernagor dépeint un homme sensible, cultivé, passionné, attaché à son armée et aux valeurs romaines de conquête et de puissance, fidèle à l’héritage de son père spirituel, son prédécesseur dans le lit de Cléopâtre : Jules César. Trahi par ses alliés lors de la guerre contre les Parthes, trahi par Octave qui entend bien régner seul sur l’ensemble de l’empire romain, trahi par ses plus proches compagnons lorsque les choses tournent au vinaigre face à ce dernier, peut-être trahi par son épouse d’Orient, Cléopâtre, qui lorsqu’elle sent la menace de la fin, cherche à sauver son royaume de l’anéantissement, Marc-Antoine est un homme seul, abandonné, désespéré qui ne peut qu’émouvoir le lecteur.

              Cependant, Françoise Chandernagor n’a pas totalement occulté les autres personnages, loin de là ! Cléopâtre, la reine d’Egypte, est une femme de caractère. Amoureuse, certes, mais aussi femme politique affutée. Dans sa passion pour Marc-Antoine, il y a aussi de l’opportunisme, car elle sait que c’est en misant sur l’imperator d’Orient que l’Egypte sera protégée et influente. Ainsi, pour le séduire, Cléopâtre imagine des fêtes splendides où elle se met en scène sous les traits d’Isis ou de Léda, par exemple. Elle use de son influence sur Marc Antoine pour annexer la Judée à l’Egypte : peine perdue ! L’imperator a mis en place Hérode et n’entend pas destituer cet ami fidèle. Elle cherche à évincer Octavie, l’épouse romaine de l’Imperator d’Orient pour affirmer davantage son pouvoir sur ce dernier.

              Restent les enfants. Césarion, fils de César et de Cléopâtre, est le futur pharaon d’Egypte. Il est promis à Séléné, sa demi-sœur. C’est un enfant qui murit très vite, dans la fascination pour son père qu’il entend bien copier. Hélas ! Rome se débarrassera de lui lors de la chute d’Alexandrie. Séléné est une petite fille assez sombre et mystérieuse. Elle voue un véritable amour pour son petit frère, le souffreteux Ptolémé. Son frère jumeau, Alexandre-Hélios est promis à une princesse Mède – Iotapa – et aurait dû devenir roi de Médie. Bien évidemment, il est normal, selon moi, que Françoise Chandernagor se soit davantage penchée sur Marc-Antoine et Cléopâtre, puisque ce sont eux qui scellent le destin des quatre enfants que les tumultes de l’Histoire ont dépossédés dès leur plus jeune âge des promesses que la vie leur offrait.

              Par ailleurs, Françoise Chandernagor entretient avec le passé un dialogue qui le questionne et le sollicite. Les incertitudes de l’Histoire sont ainsi mises en relief : par exemple, on ne sait rien du véritable physique de Cléopâtre, de la manière dont elle s’est suicidée… même si la légende véhicule à ce sujet, des représentations qui apparaissent comme des certitudes.

              Enfin, je soulignerai la magie qui émane des pages de ce roman. La ville d’Alexandrie l’antique renaît sous la plume de Chandernagor dans toute sa magnificence : de la célèbre bibliothèque au phare en passant, par l’île d’Antirhodos, le quartier royal ou encore le cap Lokhias. D’une manière générale, c’est l’empire romain oriental qui respire et reprend vie sous les yeux émerveillés du lecteur. Ecrasé de soleil, plein d’odeurs et de sons caractéristiques, de noms à l’évocation puissante : Cirta, Thèbes, Canope, Volubilis… la Judée, la Syrie… Athènes : une vraie réussite que ce roman qui nous transporte véritablement dans une antiquité majestueuse, à la fois cruelle et raffinée, déchirée et puissante, fascinante et géniale, en tout cas.

              Alors, dans quelques temps, je vois emmènerai dans la Rome antique, avec la suite des aventures de Séléné, à présent orpheline et sans avenir, suite racontée dans Les dames de Rome, tome 2 de la saga intitulée : La reine oubliée. En attendant, je vous quitte sur une note plus contemporaine, mais néanmoins également envoûtante : «les sirènes du port d’Alexandrie, chantent encore la même mélodie, la lumière du port d’Alexandrie, etc….»



21/08/2022
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