LECTURES VAGABONDES

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Elisabeth Barbier : Les gens de Mogador (tome 1 et 2) – Julia Vernet.

     

  Quelle chance ! J’ai trouvé, dans une ruche à bouquins, les six tomes d’une saga ancrée dans ma mémoire pour avoir fait l’objet d’une adaptation télévisée dans les années 70. Il s’agit des Gens de Mogador, grande saga écrite par Elisabeth Barbier à la fin des années 40, mais aussi feuilleton télévisé réunissant tout un tas de célébrités de l’époque : Jean-Claude Drouot, Marie-France Pisier, ou encore Brigitte Fossey. Me voici face à six tomes assez épais mais finalement très agréables à lire. L’ensemble se découpe selon le règne de trois femmes sur le domaine de Mogador. La première à entrer en scène, c’est Julia Vernet. Suivront Ludivine et Dominique.  Mais commençons par les tomes 1 et 2 consacrés à Julia Vernet, tomes qui paraissent en 1947 aux éditions René Julliard.

 

Tome 1 : Nous sommes non loin d’Arles et d’Avignon, au début de second empire. Julia Angellier est amoureuse de Rodolphe Vernet. Cependant, son père, royaliste, refuse que sa fille épouse cet homme dont la famille doit son ascension grâce à Napoléon 1er. Il a pour elle d’autres ambitions et voudrait la voir épouser Amedé Foucault-Saint-André, union que Julia refuse. Fou de colère, monsieur Angellier met sa fille au couvent tandis que celle-ci est décidée à ne pas céder et à attendre sa majorité pour épouser Rodolphe. Certes, au couvent, elle parvient à communiquer avec son amoureux grâce à des entremetteuses, notamment la très polissonne Herminie. Mais, malgré tout, le temps passe lentement et Julia se morfond d’autant plus que des rumeurs font rage : Rodolphe aurait une maîtresse ; une chanteuse d’opéra nommée La Dunois. Lorsqu’enfin, la mère de Julia, Constance, parvient à faire sortir sa fille du couvent, elle lui fait promettre de rester sage et discrète en ce qui concerne son désir d’épouser Rodolphe, pour ne pas irriter le père Angellier. Julia donne sa parole et attend donc sa majorité pour mettre son père devant le fait accompli : elle épouse Rodolphe. La procédure doit durer trois mois et pendant ce temps, elle habite chez Félicité Peyrissac, une amie, car monsieur Angellier, a chassé sa fille de chez lui et ne veut plus jamais la voir dans sa propriété : La Sarrazine. Après son mariage avec Rodolphe, Julia intègre donc sa propriété : Mogador, propriété rutilante qui contraste avec la simplicité de La Sarrazine. Les premiers temps à Mogador sont durs pour Julia. Elle a du mal à communiquer avec sa très sèche belle-mère, Elodie Vernet. Et puis, sa famille et sa maison natale lui manquent. Très vite, elle tombe enceinte et le petit Cyprien nait. Ensuite, viendra Amélia, puis Henri. Durant ces années, la vie a parfois été dure avec Julia ; une incroyable inondation a tué sa cousine bien-aimée : Olympe ; puis son père est mort sans qu’il y ait eu réconciliation entre elle et lui. Enfin, elle a dû faire face à la trahison de son amie Herminie qui s’est laissée séduire par Rodolphe, sans que les choses ne soient allées trop loin. Malgré tout, la vie est belle à Mogador, propriété florissante. Bientôt, Rodolphe a l’intention de donner une grande fête dans son domaine. En attendant, tous deux sont invités au grand bal de l’empereur.

 

          J’ai été un peu déçue par ce premier tome des Gens de Mogador, même si ce dernier se laisse lire sans véritable déplaisir. L’intrigue est en effet très mince – il s’agit pour Julia, notre héroïne, d’épouser celui qu’elle aime, puis nous découvrons sa vie de tous les jours à Mogador ; par ailleurs, elle est redondante et joue sans arrêt sur les mêmes ressorts : Elisabeth Barbier aligne des histoires de rencontres secrètes entre Julia et Rodolphe, et d’entremetteuses qui leur permettent de s’écrire et de se voir.

          En effet, le scénario est assez classique : un prétendant qui ne plait pas au père de la jeune fille ; le père qui s’oppose aux noces ; mais la jeune fille est bien décidée à épouser son amoureux et l’amour va triompher et l’emporter sur la raison ; quant à la jeunesse fougueuse et passionnée, elle l’emporte sur l’autorité du père. En d’autres termes, le roman exploite sans originalité le thème classique du mariage arrangé et du conflit de génération.

          Cependant, à travers ce premier tome, se dessine un caractère impétueux : celui de Julia, bien décidée à aller jusqu’au bout de sa passion pour Rodolphe et de l’épouser envers et contre tous. Quant à Rodolphe, il affiche un caractère viril, un peu brutal et très macho. Il n’est pas forcément toujours fidèle à sa fiancée – il trompe, par exemple, Julia avec une cocotte lorsque celle-ci est enfermée au couvent - mais l’auteure excuse ce comportement et affiche une tolérance ringarde vis-à-vis des dévoiements qu’on attribue généralement aux hommes ; en effet, selon Elisabeth Barbier, les hommes sont ainsi faits qu’ils ont besoin d’assouvir des besoins physiques et qu’ils savent aimer d’un côté, et coucher de l’autre. Ainsi, si votre fiancé couche avec une cocotte, c’est sans conséquence et il ne faut pas lui en tenir rigueur. Aujourd’hui, ce discours ne passe plus du tout ; mais Elisabeth Barbier écrit cette saga dans les années 40, vingt ans avant la libération de la femme ! Après le mariage, le roman déroule la chronique des années heureuses, une chronique faite des petits événements de la vie courante.

          Ainsi, je dirai, pour résumer mon avis sur ce premier tome des Gens de Mogador, que nous avons entre les mains un opus dénué de souffle romanesque, mais qui, malgré tout, a un certain charme. On embraye sans peine sur le second tome de la saga, tome encore consacré à Julia Vernet.

 

Tome 2 : Ce second tome des Gens de Mogador commence dans la légèreté et l’insouciance. Rodolphe court les bals et s’amuse à séduire les belles ; comme réponse à ce comportement, Julia badine avec le lieutenant Montaury, ce qui rend son époux jaloux. Mais bientôt, de nouveaux malheurs vont venir assombrir cette existence frivole. Cyprien, le fils cadet de Julia meurt des suites d’une mauvaise fièvre. Le deuil sera lourd et long à porter, mais d’autres enfants vont naître par la suite. Il y aura d’abord Frédéric, puis Adrienne, et enfin, Hubert. Pendant de belles années, la vie suit son cours à Mogador, selon le rythme des saisons plus ou moins belles, des soucis d’argent, des bonnes ou mauvaises récoltes, des projets d’agrandissement du domaine. Et puis, il y a aussi les bonheurs et les malheurs qui frappent la famille proche des Vernet. A la Sarrazine, par exemple, Constant, le frère de Julia va épouser la coquette Dorothée que cette dernière n’apprécie pas. Après quelques frasques amoureuses – elle ravit le cœur d’un jeune homme dont la benjamine Sophie s’était éprise – elle donne naissance à deux fils avant de mourir prématurément. Julia, de son côté, va perdre sa chère amie Félicité à cause d’une violente dispute qui survient entre leurs deux époux respectifs pour des raisons de divergences politiques. La brouille est définitive car les deux maris ont failli se battre en duel. Et puis, il y a ce grand voyage à Paris, pendant l’exposition universelle de 1867, et l’émerveillement de Julia et de Rodolphe devant tant de bouillonnement. Mais bientôt, la guerre de 1870 survient et Rodolphe s’engage. Julia vit dans la peur et l’inquiétude mais son mari finit par revenir au bercail, amaigri mais vivant. Ce n’est pas le cas du fils et du mari de sa bonne, Philo : la pauvre femme a désormais perdu toute sa famille et considère dorénavant la famille qu’elle sert, les Vernet, comme la sienne. Cependant, Rodolphe n’est plus bien vaillant et le malheur va bientôt s’abattre de nouveau sur Mogador : mal remis d’une blessure au poumon, le cher amour de Julia s’éteint laissant sa veuve dans la solitude et le désespoir. D’ailleurs, Julia vieillit et des soucis de santé viennent assombrir ses jours tandis que ses enfants grandissent. Des épreuves, elle devra encore en subir : Amélia meurt à quelques jours de ses noces, frappée par la variole. Bientôt, c’est Henri, son fils adoré, qui la rend soucieuse : le jeune homme est amoureux d’une fille qui le repousse et peine à se remettre de cette déception. Plus tard, il va lui aussi mourir, frappé à la poitrine par de la mitraille ; c’est un accident de chasse. Désormais, Julia vieillit dans la nostalgie de sa jeunesse, de ses amours avec Rodolphe, du souvenir de toutes ses années heureuses. Son cœur est affaibli et elle respire mal. Cependant, ce tome 2 se termine sur une bien belle image : celle de son fils, Frédéric, qui s’éloigne sur sa monture tandis qu’elle le regarde s’en aller vers l’avenir, derrière la fenêtre de sa chambre. Mogador est entre de bonnes mains mais des mains qui ne sont plus les siennes, désormais. 

 

          J’ai davantage apprécié le second tome des Gens de Mogador car j’ai trouvé cet opus beaucoup plus sombre et plus intéressant.

          Certes, ce second tome est basé sur d’innombrables malheurs qui vont venir frapper les Vernet et d’autres également (par exemple, Philo, la domestique, va perdre ses deux fils et son époux). De nombreux décès surviennent ; certains sont accidentels, d’autres sont dus à la guerre ou à la maladie. 

          Par ailleurs, les portraits des personnages sont mieux dessinés, notamment ceux des enfants de Julia qui vont mourir dans ce tome : Amélia, la coquette, l’impétueuse, frappé au moment de son plus grand bonheur : son mariage ; Cyprien, l’enfant innocent qui meut de la méningite ; Henri, le sombre fils qui ressemble tant à Rodolphe. Et puis, Rodolphe, l’inébranlable, va lui aussi mourir. Ainsi, tous les enfants nés dans le premier tome vont mourir dans ce second tome. Restent donc Frédéric, insouciant et séducteur, Adrienne, un peu trop sage et terne. Hubert, quant à lui, est encore un adolescent mal affirmé.  

          Enfin, le roman dresse aussi le portrait d’une femme qui vieillit petit à petit. D’abord, Julia craint de voir sa beauté partir, de ne plus plaire à son époux ; ensuite, après la mort de ce dernier, elle sombre dans une certaine mélancolie ; la nostalgie la gagne et elle commence à vivre dans le passé et les souvenirs. 

          Désormais, Mogador est aussi un personnage à part entière : les hommes et les générations, qui passent et trépassent sur ce domaine, ont pour ambition de l’accroitre, de le développer, de le rendre luxuriant et riche. Ainsi, les femmes qui vont se succéder à Mogador vont épouser le domaine et c’est aussi de cette histoire d’amour-là qu’il est question dans Les gens de Mogador.



10/06/2025
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