LECTURES VAGABONDES

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Dennis Lehane : Gone, baby, gone / fuis, lecteur, fuis !


                Après m’être délectée des eaux troubles de la Mystic River, je me suis dit que Dennis Lehane devait être une valeur sûre ; aussi ai-je décidé de lire : Gone, baby, gone écrit en 1998 et paru en France en 2003 aux éditions Payot et Rivages, pensant que le roman me comblerait de plaisir. Fichtre ! Quelle déception et quel ennui cet ouvrage ne m’aura-t-il pas plutôt infligé !

                Boston, 1997. La petite Amanda McCready a été enlevée mystérieusement alors qu’elle était tranquillement en train de dormir dans sa chambre. Sa tante, Béatrice McCready engage les détectives privés Patrick Kenzie et Angela Gennaro afin de retrouver l’enfant. La mère, Helene, semble étrangement indifférente au sort de sa fille. Il faut dire qu’elle boit, se drogue, et passe son temps devant la télévision. Bref, c’est une paumée et une mère indigne. Le soir de l’enlèvement, elle se trouvait dans un bar pas très recommandable – le Filmore – en compagnie de Ray, un homme plutôt louche avec lequel elle fait parfois la mule pour Cheddar Olamon. A ce propos, il y a deux mois, Ray et Helene ont détourné de l’argent lors d’une livraison de drogue. Les détectives Kenzie, Gennaro, ainsi que Poole et Broussard, mènent donc l’enquête dans cette direction : ils pensent que Cheddar a enlevé la petite pour se venger d’Helene. Ils retrouvent l’argent et très vite, une femme leur propose une transaction : l’argent contre l’enfant. L’affaire doit se dérouler dans une carrière et se termine par un fiasco pour les détectives : non seulement ils perdent l’argent, mais ne récupèrent pas l’enfant et se font tirer dessus à qui-mieux-mieux. Fin de l’histoire. Quelques mois plus tard, un autre enfant est porté disparu et c’est vers des pédophiles Léon Trett, sa femme et Corwin Earle que les détectives se tournent : descente macabre dans la maison des horreurs pour y retrouver des cadavres d’enfants, mais pas de trace d’Amanda McCready. Décidément ! Au terme d‘une enquête poussive, laborieuse et complètement tordue, Patrick et Angela découvrent que c’est l’oncle d’Amanda – Lionel McCready - qui a enlevé l’enfant à sa mère pour la confier à Broussard, lequel se charge de la confier à une famille aimante : celle de son supérieur Doyle. Et Broussard n’en est pas à son premier coup ! Il veut sauver des enfants qui, élevés par des parents indignes, sont en perdition. Dilemme ! Angela propose de laisser Amanda aux Doyle et de laisser tomber l’affaire, tandis que Patrick veut rendre l’enfant à sa mère. Ce dernier ira jusqu’au bout de l’enquête… La petite Amanda retrouvera sa mère et son existence saccagée tandis qu’Angela quitte Patrick, écœurée par le comportement de ce dernier.

                Inutile de dire que l’enquête des détectives Kenzie et Gennaro s’avère être d’une complexité effarante : je n’ai donné ici que les grandes lignes, omettant bon nombre de personnages qui apparaissent, disparaissent, sont des dealers, mais en réalité des indics, et puis, non, en réalité, sont les flics masqués qui infiltrent des réseaux de drogue ! Fichtre ! Quel salmigondis que toute cette affaire ! Il semble bien que Dennis Lehane prenne plaisir à mener son lecteur dans des méandres aussi compliqués qu’artificiels où tous les personnages portent un nombre incalculable de masques que l’écrivain fait un à un tomber… pour le plus grand déplaisir du lecteur qui en a assez de tous ces retournements de situation qui ne mènent à rien sauf à rendre l’intrigue compliquée, incompréhensible, par moments : bref, à défaut d’une intrigue solide, construite, que l’écrivain déploie en sachant où il va, Dennis Lehane nous a concocté une enquête tortueuse et sans aucune inspiration où le rebondissement gratuit et artificiel remplace la progression rigoureuse et implacable qui doit définir tout bon roman policier.

                En effet, sur les 550 pages que comporte ce roman, plus de 400 s’avèrent être totalement dispensables : nous sommes d’abord embarqués dans une nébuleuse histoire de drogue, de dealers, de rançon et de règlement de compte qui n’aboutit à rien, puis dans une histoire de pédophiles finalement extérieurs à l’enlèvement de la petite Amanda… et puis, sans que rien ne l’annonce, c’est finalement Broussard, le flic au double visage, qui s’avère avoir tout manigancé : et combien de sang il a sur les mains, celui-là, finalement !

                Par ailleurs, le roman compte un nombre incalculables de scènes convenues, racontées avec une minutie qui noie leur intérêt car ce foisonnement de détails les alourdit et leur enlève tout dynamisme : c’est ainsi que nous avons des scènes de filature, des scènes d’embuscades, des scènes d’attaque à main armée avec des « ici 304, ici, 304, policier à terre, je répète, policier à terre, envoyez une ambulance ». Bref, ce genre de truc qu’on trouve à foison dans les séries policières américaines stéréotypées et qui traduit bien le manque d’inspiration de Dennis Lehane dans ce roman.

                Enfin, la résolution de l’énigme paraît totalement parachutée, cousue de fil blanc et empreinte d’une morale à deux balles au point qu’on se demande si Dennis Lehane n’a pas écrit ce roman pour le public de l’Amérique profonde. En effet, les coupables sont des flics mais sont animés d’une volonté farouche : rétablir une possibilité de bonheur et de réussite pour les enfants qui n’ont pas eu la chance de naître dans une famille digne de ce nom ; ainsi a-t-on droit à un défilé noir et sordide de toutes les maltraitances et négligences qu’a eu à subir la petite Amanda lorsqu’elle était avec sa mère tandis que pendant une journée, cachés derrière des buissons, Patrick et Angela peuvent constater à quel point la fillette est heureuse dans la famille Doyle. D’où le dilemme ! Faut-il rendre la fillette à sa mère ou fermer les yeux et laisser Amanda dans la famille qui l’a enlevée ? Et de conclure par les retrouvailles d’Amanda et de sa mère pour une réponse à peine voilée à la question : il est clair que l’enfant était plus heureuse avec les Doyle. Ainsi, les flics-ripoux ne sont-ils pas si pourris que ça !  

                Alors, bien sûr, on retrouve les thèmes chers à Dennis Lehane : l’enfance maltraitée, la pédophilie et la volonté de montrer que, chez l’être humain, bien souvent, rien n’est jamais noir ou blanc. Cependant, dans Gone, baby, gone, la sauce ne prend jamais, rien n’est convaincant, tout est confus. Sans doute la faute revient-elle également à cette propension à l’excessif, très nette dans ce roman, qui finit par verser dans la caricature : pédophiles poisseux, branques et monstrueux, faune patibulaire qui hante les bars louches des bas-fonds de Boston, détectives qui ont la super baraka : mille embuscades et guet-apens dans lesquels ça pétarade de tous côtés et les loustics qui s’en sortent indemnes à chaque fois ! Bref, tous ces stéréotypes du mauvais polar qui font de Gone, baby, gone, un roman à fuir sous peine d’ennui mortel… Quant à moi, je reste encore un peu ici, à Porto, ville coup de cœur, et de manière plus générale, au Portugal, pays où il fait bon séjourner... mais que de romans à fuir ne me suis-je pas tapée durant ces pourtant superbes vacances !



08/12/2012
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