LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Arthur Golden : Geisha/Honorables filles du Japon.

     

         Cette semaine, nous partons pour un long voyage au cœur des mystérieuses traditions du Japon, en particulier celles des geishas qu’on associe trop souvent à des prostituées. Arthur Golden – avec son roman, Geisha, paru en 1999 aux éditions Jean-Claude Lattès - nous livre quelques secrets de la vie de ces femmes si singulières.

 

          Nous sommes dans les années 20 au Japon, dans la petite ville de pécheurs de Yoroido. La petite Chiyo, ainsi que sa sœur, Satsu, sont vendues à un certain monsieur Tanaka par leur père qui ne peut élever ses filles alors que sa femme est sur le point de mourir. A Kyoto, dans le quartier de Gion, Chiyo est laissée dans une okiya tandis que Satsu est abandonnée dans une maison de passe. La vie commence durement pour Chiyo qui fait ses débuts comme servante dans l’okiya tout en allant à l’école pour apprendre à devenir geisha. Alors qu’elle a voulu s’évader de cette maison pour aller retrouver sa sœur Satsu, Chiyo est retrouvée et désormais, n’est plus bonne qu’à faire les corvées. La vie est d’autant plus dure que la fillette doit supporter l’attitude antipathique de la geisha en place dans l’okiya : Hatsumomo. Et puis, Chiyo apprend aussi la nouvelle de la mort de ses deux parents. Alors qu’elle est désespérée, elle croise le chemin d’un homme qu’elle appelle président et qui lui a ouvert les yeux sur l’intérêt de devenir geisha. Peu après, Mahema, une geisha très en vue à Kyoto et dans le quartier de Gion, propose à Chiyo de devenir sa sœur : c’est elle, donc, qui est chargée d’ouvrir devant Chiyo le monde des geishas, tout d’abord en la faisant connaître des maisons de thé et des hommes qui les fréquentent. Dès lors, Chiyo doit se battre pour ne pas se laisser manger par Hatsumomo qui a, elle aussi, une apprentie geisha sous sa coupe : Pumpkin. Il faut dire que Chiyo est belle, elle possède des yeux gris clair magnifiques ; il faut dire que Chiyo a du talent pour jouer du shamisen, pour chanter et danser. C’est après de vives négociations auprès de la mère qui tient l’okiya dans laquelle vit Chiyo que Mahema parvient à faire de celle-ci une apprentie geisha très en vue. Elle retrouve ça et là, dans les maisons de thé, l’homme dont elle est secrètement amoureuse et qu’elle appelle Président. En réalité, il s’agit du Président d’Iwamura Electric ; ce dernier est souvent accompagné de son bras droit : monsieur Nobu. Ce dernier tombe très amoureux de Sayuri – c’est ainsi que se prénomme désormais Chiyo, devenue geisha. Il songe à devenir son « danna » – disons qu’il s’agit là d’un protecteur de la geisha. Cependant, très en vue, Sayuri vend son pucelage très cher à un certain docteur Crab ; un général devient son « danna ». Il faut dire que Sayuri repousse l’idée que Nobu devienne son « danna ». D’abord, elle rêve au Président, et puis, si elle éprouve une profonde amitié pour Nobu, elle le trouve repoussant physiquement – l’homme a été blessé au visage et un bras lui manque. Lorsque la guerre 39-45 éclate, la vie devient impossible pour les geishas qui ne trouvent plus de travail, car alors tout le Japon est tourné vers l’effort de guerre. Nobu protège Sayuri en l’envoyant travailler chez un ancien fabricant de kimonos devenu fabricant de parachutes. Après la guerre, et le retour de Sayuri dans les maisons de thé de Gion, à Kyoto, Nobu songe toujours à devenir son danna ; mais c’est alors que le Président lui révèle qu’il l’a toujours aimée, que c’est lui qui a demandé à Mahema de la protéger et d’en faire son apprentie. Sayuri devient la maîtresse du Président. Elle renonce à son travail de geisha pour s’installer avec lui aux Etats-Unis où elle ouvre une sorte de maison de thé. Elle aura aimé cet homme jusqu’à sa mort.

 

          Si le roman Geisha n’est pas une biographie, il s’inspire néanmoins de la vie d’une vraie geisha appelée Mineko Iwasaki. Grâce à elle et aux informations qu’Arthur Golden a su recueillir à son sujet, nous plongeons dans le monde très fermé des geishas des années 20 au début des années 50. Le roman couvre toute la vie de la geisha Sayuri, mais plus particulièrement les années fastes : de son apprentissage aux débuts de son histoire d’amour partagée avec le Président. Ce roman s’intéresse donc à la manière dont on devient geisha. D’abord, il y a le lieu : le quartier de Gion, à Kyoto, plus particulièrement dans une maison adaptée aux geishas et futures geishas : l’okiya – c’est une maison tenue par une ancienne geisha qui est chargée de former et de protéger les geishas. Ce qui caractérise ce petit monde mystérieux de femmes, c’est la concurrence entre les geishas et les humiliations que subissent les apprenties geisha. Ainsi, durant tout son apprentissage et bien au-delà, lors de ses premières années en tant que geisha confirmée, Sayuri aura des problèmes et des démêlées avec Hatsumomo, la geisha qui tient le haut du pavé à l’okiya de madame Satti où notre héroïne reçoit sa formation.

          De plus, les geishas entretiennent avec le reste du monde des relations compliquées car tout en elles est artifice et protocole. Ainsi, la geisha doit-elle paraître humble, ne pas regarder ses clients dans les yeux ; elle ne peut pas s’exprimer librement et adopter une gestuelle codifiée qui montre qui son poignet, qui son avant-bras… afin de troubler les hommes.   

          Mais la question que tout le monde se pose est la suivante : une geisha est-elle une prostituée ? Oui et non, réponds-je, selon les critères qui sont les nôtres. Car d’abord, la geisha est une artiste. Elle joue du shamisen, elle danse, elle chante. Pourtant, tout cet art traditionnel japonais est mis à la disposition d’hommes plus ou moins vulgaires, dans le seul but de les divertir. La chose se passe dans des maisons de thé, là où par ailleurs, les hommes s’enivrent de saké lorsqu’ils jouent à «qui boit le plus ». Par moments, on se croirait dans un bordel de luxe. Enfin, les geishas ont aussi des « danna », sorte d’amants protecteurs dont l’intérêt est aussi financier. En contrepartie, le danna jouit de privautés de la part de la geisha qu’il finance. On est en plein dans l’escorting avant l’heure. 

          Si Geisha est un roman intéressant et agréable à lire, il souffre cependant d’une mauvaise gestion des séquences : le roman avance lentement avec toujours les mêmes histoires de rivalité entre les geishas, ainsi que des histoires de soirées dans les maisons de thé. Et puis la fin est totalement escamotée. Alors qu’Arthur Golden nous avait habitués à de nombreuses scènes très lentes, la fin est un résumé très rapide de dizaines d’années de vie. Il est vrai qu’après la seconde guerre mondiale, c’est la décadence pour le monde des geishas qui n’est plus le même. Et puis, Sayuri part vivre aux Etats-Unis, ce qui n’offre plus tellement d’intérêt eu égard au sujet du livre. Ainsi, ce défaut est-il sans doute explicable, voire pardonnable.

          J’ai donc bien aimé ce roman qui, s’il n’est pas un chef d’œuvre, reste très dépaysant, ce qui est bien appréciable lorsqu’on ouvre un livre après une terne journée de travail.



17/10/2021
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 37 autres membres