Anita Nair : La mangeuse de guêpes / Quelques bouchées d’un nectar sucré-salé
Depuis mon voyage en Inde, j’ai envie de découvrir la célèbre auteure de Compartiment pour dames, Anita Nair. C’est chose faite avec La mangeuse de guêpes, roman – ou recueil de nouvelles, on s’y perd un peu – paru en 2028 aux éditions Albin Michel.
Difficile de proposer un résumé de La mangeuse de guêpes. En effet, l’œuvre se situe à la croisée des chemins du roman et du recueil de nouvelles. A la base de l’ensemble, il y a deux femmes.
La première, c’est Sreelakshmi, une écrivaine et scientifique indienne qui s’est mystérieusement suicidée au début des années 60. Un de ses doigts a été préservé de la crémation et dort dans une armoire depuis des années. Mais lorsqu’une petite fille déniche ce dernier, Sreelakshmi sort de son sommeil pour raconter son histoire.
La seconde, c’est Urvashi, journaliste séjournant à l’hôtel Near the Nila, dans le Kérala, hôtel tenu par Shyam et Radha. Mariée à Mahesh qu’elle n’aime plus, elle est harcelée par son amant. Par ailleurs, elle est en relation avec certaines personnes présentes dans l’hôtel.
Autour de ces deux personnages gravitent donc de nombreuses femmes présentes dans l’hôtel, femmes dont le destin est relaté dans un chapitre à part. C’est en cela que La mangeuse de guêpes s’apparente au recueil de nouvelles.
Le temps de la peur : La petite Megha prend le bus tous les jours pour aller à l’école. L’agent de sécurité, tonton Prem, a des intentions et des gestes déplacés à son égard. La petite fille est sous emprise et prise dans un engrenage.
Najma : Najma refuse d’épouser Imtiaz. Dépité, ce dernier lui jette de l’acide à la figure. Dès lors débute un long combat pour Najma : celui qui l’amènera à accepter son nouveau visage.
Un demi péché : Theresa – l’ainée – déteste Molly – la cadette. Selon elle, cette dernière lui a volé son mari. Cependant, rien de tout cela n’est vrai : Anto est l’époux de Molly et il est décédé. En réalité, Molly accompagne sa sœur, aveugle, dans un pèlerinage… Mais elle est responsable d’un demi péché : elle lui ment sur le nom des églises dans lesquelles, ensemble, elles vont prier car son état de santé ne lui permet plus d’accomplir de longs trajets.
L’instinct de tueuse : Brinda est championne de badminton. Elle est doté d’un tempérament de tueuse lorsqu’il s’agit de gagner.
La femme du diplomate : Rupa est mariée à Keshav, un diplomate assez souvent absent. Elle passe sa vie alanguie, la tête dans les fantasmes. Elle se souvient d’un barman indien rencontré à Istanbul : Haris. Entre eux nait un désir trouble et inassouvi. Jusqu’au jour où elle apprend de la bouche de son époux, par hasard, qu’Haris est un dangereux terroriste.
Bouche de salope : Pour avoir eu un comportement indécent lors d’une soirée et parce la vidéo a été postée sur les réseaux sociaux, Liliana a désormais un surnom : Bouche de salope. Comme elle ne sait se défaire de cette réputation – et les femmes sont les premières à l’insulter - elle décide de l’assumer.
La recette des contes de fées : Maya est veuve et seule, elle doit assumer son fils, autiste de 39 ans, très attardé. Le fardeau est trop lourd pour elle et elle décide de l’assassiner en lui faisant manger de la mort-aux-rats. Mais au moment où elle lui donne le gâteau empoisonné, Naveen entre pour la première fois en communication avec elle. C’est ainsi qu’elle décide de poursuivre sa route avec lui.
La mangeuse de guêpes : C’est au tour de Sreelakshmi de raconter son histoire. Enfant, elle a mangé une guêpe, croyant que l’insecte aurait un goût de miel : c’est un goût bien amer qu’elle a eu en bouche. Passionnée par les guêpes, Sreelakshmi se met à les étudier avec ferveur tandis qu’elle s’adonne aussi à l’écriture. Par ailleurs, elle tombe amoureuse de Markhose, un prêtre déjà marié. Ensemble, ils connaitront une journée d’amour au terme de laquelle l’homme disparait brusquement. Parce qu’elle a publié un roman sur le désir et la passion amoureuse, Sreelakshmi est rejetée par tous. Parce qu’elle a été abandonnée par son amant, Sreelakshmi est désespérée. Voilà pourquoi elle finit par se suicider.
Comme je l’ai déjà dit, La mangeuse de guêpes est une œuvre assez inclassable puisqu’elle réunit des destins de femmes qui ne se connaissent pas, chacun faisant l’objet d’un chapitre bien défini. Cependant, ces différentes histoires s’insèrent dans une armature unique qui les réunit : toutes se retrouvent au Kerala, à l’hôtel Near the Nila. Par ailleurs, le lieu est hanté par l’esprit de Sreelakshmi, une écrivaine qui s’est mystérieusement suicidée dans les années 60. C’est une petite fille – sans doute Megha – qui, en ouvrant la boîte où son doigt dort depuis des dizaines d’années, a réveillé le fantôme de Sreelakshmi. C’est elle qui donne à l’œuvre son titre, puisqu’elle est la mangeuse de guêpes, celle qui, dans son enfance a mangé une guêpe pensant que l’insecte serait un délice.
Ainsi peut-on imaginer que toutes ces histoires de femmes sont comme autant de guêpes au goût amer, insectes piquants qui tournent autour de Sreelakshmi, la mangeuse de guêpes, la reine d’entre elles.
Cependant, La mangeuse de guêpes, c’est aussi un roman qui traite de la condition féminine. En effet, les différents personnages – de différents âges et de conditions sociales diverses - sont des femmes souvent victimes – directes ou indirectes - des hommes. Megha, la petite fille, est la victime d’un pédophile déguisé sous les traits d’un sympathique gardien de sécurité sur un trajet scolaire. A l’âge où la beauté explose, Najma est défigurée à vie par un jet d’acide lancé par un prétendant éconduit. Sreelakshmi, quant à elle, a été abandonnée par l’homme qu’elle aimait, la laissant dans un grand désespoir.. Parfois, les femmes sont aussi des victimes indirectes des hommes (lorsqu’elles sont rivales dans le cœur d’un homme, par exemple, ou encore lorsque le désir d’un homme se fait pressant et qu’il envahi le quotidien d’une bourgeoise) ….
Par ailleurs, les femmes sont aussi visées par la critique de l’auteure : certaines d’entre elles ne vivent que pour pourrir la vie des autres. Et Anita Nair n’oublie pas d’évoquer les tensions familiales, qu’elles soient au sein des couples ou au sein d’une même famille, elles ruinent toute possibilité de bonheur.
Par ailleurs, Anita Nair brosse aussi le portrait culturel de l’Inde quant à la manière dont y sont appréhendées les femmes. Le cas de Sreelakshmi est révélateur : dans une société dominée par les hommes et le pouvoir masculin, les femmes sont opprimées : que ce soit sur le plan de leur désir, considéré comme une chose sale, coupable ; que ce soit sur le plan de leur vie, rivées qu’elles sont à un mari, à un père, à un fils (y fait référence, l’histoire la plus réussie et la plus effroyable de toutes : La recette des contes de fées). La réussite sociale des femmes est rare : on peut citer le cas de Brinda, championne de badminton. Cependant, pour réussir, elle a dû adopter un tempérament d’homme et ravaler sa féminité. Sreelakshmi, quant à elle, incarne la femme qui a voulu s’émanciper, tant sur le plan sentimental que sur le plan social ; cependant, elle ne supportera pas les pressions sociales et familiales qui l’accusent d’être une putain, et elle se retrouve ainsi, guêpes parmi les guêpes, à raconter son histoire pour un lecteur avide de son nectar.
Enfin, je dois dire que je me suis un peu perdue dans tous les personnages qui hantent La mangeuse de guêpes. Leur histoire est racontée dans des chapitres très courts et on n’a pas le temps de les graver dans notre mémoire. Par ailleurs, ils manquent d’étoffe et de densité. C’est bien dommage en vérité : on aurait aimé gober des guêpes plus dodues et peut-être un chouïa plus féroces.
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