Amélie Nothomb : Cosmétique de l’ennemi / démaquillage au vitriol.
Un hall d’aéroport, un dandy cynique et décadent, et un pauvre hère pris entre ces deux feux : c’est avec ces trois ingrédients ultra-minimalistes qu’Amélie Nothomb parvient à tenir son lecteur en haleine dans ce roman paru en 2001 aux éditions Albin Michel et intitulé : Cosmétique de l’ennemi.
Jérôme Angust se trouve dans le hall d’un aéroport, coincé car son avion a du retard. Il est importuné par Textor Texel qui commence à lui causer de tout et de rien alors que notre homme souhaite lire. Il n’arrive guère à se dépêtrer du fâcheux qui peu à peu l’enferme dans un piège terrible qui le conduit au suicide.
Ce brillant petit roman se présente comme une sorte d’huis-clos théâtral en trois actes.
Premier acte : Textor Texel importune Jérôme par des propos déplacés : verbiages en tous sens, bouts de vie sans intérêt racontés de manière soulante… Puis, peu à peu, Textor évoque un viol qu’il aurait commis dans le cimetière de Montmartre, sur une inconnue qui sera la seule femme qu’il aura possédée dans sa vie. De quoi accrocher l’oreille d’Angust et du lecteur, avide de détails croustillants. Ainsi donc, Textor avoue son crime : dix ans plus tard, il retrouve la femme qu’il avait violée, qui ne le reconnaît pas et sympathise avec lui… elle l’invite chez elle, et comme elle finit par le reconnaître et veut le mettre à la porte, il la zigouille.
Acte deux : Angust se rend compte qu’Isabelle, la femme assassinée par Textor, n’est autre que sa propre épouse. Comment donc régler son compte à Texel ? Angust refuse de l’assassiner… mais il n’a guère d’autre solution : Texel a pris toutes les précautions. Le dénoncer à la police ? Impossible : tout le monde le prendrait pour un fou.
Acte trois : Texel est en réalité une voix… Il n’est autre que la conscience torturée d’Angust, qui, pris d’un coup de folie il y a dix ans, a assassiné sa propre femme. Une seule solution pour être convaincu de cette insoutenable révélation : tuer Texel, la voix de la conscience torturée d’Angust. C’est ainsi que les badauds découvrent Angust mort, après s’être violemment cogné la tête contre la vitre.
Rien à reprocher à ce roman d’une virtuosité étourdissante qui entraîne son lecteur à travers des dialogues apparemment légers, mais qui s’enchainent selon une mécanique tragique implacable. Au départ, on a l’impression qu’Amélie Nothomb fait un clin d’œil à Sartre et à son fameux « l’enfer, c’est les autres », lâché dans sa célèbre pièce : huis-clos. Mais par la suite, la thèse d’Amélie évolue : l’enfer, c’est en soi qu’on le porte. L’ennemi est tapi en soi : il est ce mister Hyde que l’on brime et qui aime tout ce qui est socialement répréhensible : manger du pâté pour chat, violer une femme, l’assassiner. Cet ennemi, ce sont toutes nos pulsions malsaines que l’on réprime.
Par ailleurs, le lecteur est tenu en haleine jusqu’au bout car le roman est construit selon un crescendo bien maîtrisé. Au départ bien anodine, la conversation devient de plus en plus prenante et débouche finalement sur une intrigue policière qui mêle amour, jalousie et désir comme mobile du meurtre.
Par ailleurs, si Texel – qui porte plutôt bien son nom, puisqu’il fait référence au texte – mène les hostilités de A à Z, son statut évolue au fil de l’œuvre : au départ, harceleur antipathique et hautement cynique, qui sait justifier l’injustifiable par une rhétorique implacable, maître des mots et de la discussion, il finit par devenir, non pas victime, mais un féroce démaquillant au vitriol, un accoucheur de l’âme : il mène Angust vers sa vérité profonde, vers la révélation de sa personnalité monstrueuse. Pourtant, jamais on n’est horrifié par l’acte d’Angust qui apparaît jusqu’au bout comme une victime manipulée par ses démons, la voix de Texel.
Ce roman, bien évidemment, est aussi un clin d’œil à tous les schizophrènes que nous sommes : n’y a-t-il pas parfois une petite voix diabolique, au fond de nous qui nous pousserait à faire n’importe quoi si on l’écoutait ? On adore le final très psychotique de ce roman !
Attention donc à ne pas céder à la belle voix de la sirène, l’ennemi bien maquillé qui sommeille en nous et qui, si nous n’y prenons garde, peut venir susurrer à nos oreilles toutes les bonnes raisons pour lesquelles il est délicieux d’être un démon !
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